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Plus que l’éclat brillant du jour plein de splendeur J’aime l’heure douteuse, où la lune projette De son pâle rayon la rêveuse douceur. J’aime d’un ciel serein la majesté muette Et le calme imposant d’un beau soir de l’été Et j’aime à veiller seule à l’heure où tout sommeille, A sentir s’élever la douce volupté Qu’un rêve, une prière en mon âme réveille. C’est l’heure, où tout repose, où la nature dort, Seule l’âme s’élève au-dessus de la terre Oubliant tous ses maux, et perce avec transport Les voiles ténébreux, pour trouver la lumière. Le calme de la nuit se répand dans mon cœur, Je le sens palpiter d’un frisson plein de charmes. Mon être est traversé par un souffle enchanteur Qui me fait voir le Ciel, et qui tarit mes larmes. Et dans mon cœur résonne un son mélodieux, Car tu descends alors, divine poésie, Et mon âme en extase en s’élançant aux Cieux Par un douleureux charme est touchée et ravie! O! moment plein d’ivresse! ô suave douleur Qui frappe en tons réveurs, les cordes de ma lyre. Le cœur sait te comprendre et sentir ta douceur, Hélas, l’esprit n’a pas de mots pour te décrire!

Je me trouve dans un de ces moments de la vie, où on voudrait la passer à contempler une belle nuit étoilée, à lire des poésies inspirées, à écouter les accords d’une voix s’élançant vers le Ciel, accompagnant le son grave d’une orgue réligieuse; dans un de ces moments aussi où l’on sent le manque dans votre coeur de la plénitude de vie que vous trouvez dans la nature. Oh! s’il était permis à ce coeur de former un désir!.. O doux, mais irréalisable rêve, quitte moi — une sphère étroite est tracée autour de ma vie. Que ma pensée s’y renferme aussi.

8 Juillet. J’ai eu une conversation sur la poésie avec Fredro, dont j’ai infiniment joui. Il a un esprit sérieux et médidatif sous l’apparence comique, dont il l’enveloppe, et je lui trouve beaucoup de charme. Il m’a appris une jolie énigme de Jean Jacques Rousseau dont le mot est Portrait.

Enfant de l’art, rival de la nature Sans prolonger les jours, j’empêche de mourir. Plus je suis vrai, plus je fais imposture Et je deviens trop jeune à force de vieillir.

Le duc est de nouveau parti et pour son retour on prépare une nouvelle surprise.

Samedi 13 Juillet. La grande-duchesse est pour moi d’une bonté qui me touche, je me promène presque tous tes jours avec elle, et nous causons beaucoup. Aujourd’hui, je l’ai accompagnée à une visite qu’elle a faite à la p[rince]sse d’Oldenbourg. Comme je rentrais à pied du pavillion Chinois je vis Hélène à sa fenêtre qui me cria d’entrer chez elle. Je le fis et après une petite causerie, elle me pria de venir jouer du piano à la Кавалерская, où Fredro devait faire son portrait. Comme cela avait été mon intention, je consentis avec plaisir et Fredro dessinant Hélène posant, moi, jouant, et tous les trois causant par intervalles, nous passâmes une heure fort agréable. Après le dîner chez la grande-duchesse, nous fîmes une courte promenade à pied avec Fredro. Tout en causant gaiement, nous depassâmes un banc, sur lequel deux messieurs étaient assis. Nous en étions à quelques pas, lorsque l’un d’eux, un militaire se leva vivement et d’une voix haute s’adressa à nous: „Pardon messieurs et mesdames, faites moi la grâce de vous arrêter un moment“. Un peu surpris, nous fîmes ce qu’il voulait et lui et son compagnon s’approchèrent de nous. Fredro prit la parole et lui demanda ce qu’il désirait: „Je suis aveugle“, monsieur, répondit il, „j’ai perdu mes yeux à la guerre: une pension que la grande-duchesse m’accorde aide à ma subsistance ainsi qu’à celle de ma famille, mais depuis quelque temps j’ai cessé de la recevoir. J’etais venu à Oranienbaum pour voir m-r Numers et lui demander de ne pas m’oublier, mais voilà trois jours que je cherche en vain à le voir; on me dit toujours qu’il est en ville. Faites-moi la grâce de me dire, si la grande-duchesse doit passer par cette allée, je l’attends depuis plusieurs heures pour me jeter à ses pieds et lui exposer ma demande“. Ce récit fait avec l’accent de la vérité nous toucha tous beaucoup. Fredro parla au malheureux officier avec une bienveillance qui me donna une bien bonne opinion de son coeur. Il lui dit de venir le lendemain le trouver au palais et d’y demander m-r Fredro. „Le c[om]te Fredro?“ — demanda le pauvre aveugle en se decouvrant. „Oui, monsieur“, répondit Fredro en rendant son salut au malheureux qui cependant ne pouvait pas le voir. Maman promit de parler de lui à la grande-duchesse, Fredro, de faire de même à l’égard de Numers, et j’espère que ce pauvre homme sera consolé. Nous continuâmes notre promenade en silence; cette rencontre nous avait attristés. Moi pour ma part, j’y réfléchis longuement et douloureusement. A coté du luxe et de l’insouciance d’une vie heureuse, que de misères inconnues! Quel contraste avec la manière dont nous avions passé la journée avec les angoisses du pauvre homme pendant qu’il épiait la grande-duchesse pour lui adresser sa requête. Quand nous rentrâmes on se rendait aux parterres, où le thé était servi. La fraicheur de la soirée nous fit rentrer au salon. On fit de la musique, je jouai, la grande-duchesse chanta.

Lundi 15 Juillet. Enfin, enfin, la surprise prend des formes définies. Voici ce qu’on a arrêté. Premièrement, on aura Mignon de Goethe en trois tableaux. Un air de Beethoven se trouve parfaitement adapté aux délicieuses paroles: „Kennst Du das Land“[352]. — Mignon sera représenté par Hélène Strandman, le barde par Jorry, Wilhelm-Meister par Jean Rumine, dont on ne verra que le chapeau caché comme il doit l’être par les arbres. Sur une estrade un tableau Italien imité du repos de Winterhalter[353], sera formé par la grande-duchesse, m-me Timachef, la c[omte]sse Pouchkine[354], Schérémétieff[355], Sacha et moi en fait de dames et quelques hommes. Dans le second tableau, toutes les italiennes deviendront des statues à l’aide de draps de lit, de gaze roulée autour des cheveux et de force poudre de riz, sur la figure. Un clair de lune doit les éclairer d’une lumière fantastique. Enfin pour le 3-me tableau, la lumière rose de l’aurore remplacera la bleuâtre clarté de la lune, une colline sera simulée par un banc deguisé par un massif de fleurs. C’est l’arrivée des voyageurs qui appellent Mignon vers eux. Les tableaux seront suivis d’une pantomime inventée par Fredro. Une jeune personne (m-me Weymarn) aime et est aimée d’un jeune homme (Fredro), le grand-père (m-r Weymarn) consent à leur union. De joie ils exécutent une danse. La grand-mère (le c[om]te Dmitry Nesselrode) bourrue et grondeuse entre en fureur de les trouver ensemble, elle chasse le soupirant, gronde sa petite fille, bat son mari et finit par avoir une attaque de nerfs. Pour la calmer on fait venir un magnétiseur qui reussit à l’endormir. Alors le rideau du fond se lève et on voit apparaître les songes qui la bercent dans son sommeil en lui retraçant son passé. Le premier tableau la montre enfant (Sacha) jouant avec un compagnon de son âge (Jean Rumine), derrière eux leur ange gardien (la grande-duchesse) les protège et veille sur eux. Puis plusieurs tableaux représentant des scènes de la jeunesse lorsqu’un tuteur barbare veut la condamner à un mariage contre son inclination. Alors elle sera représentée par Hélène. La vieille femme sera réveillée par une sérénade, adressée à sa petite fille et chantée par Sokoloff. La grande-duchesse у répondra pour m-me Weymarn par cette délicieuse romance du c[om]te Vielhorsky „Je ne mens pas“. L’effet en sera charmant. L’influence du rêve amollit le coeur de la vieille mégère qui consent à tout et le résultat final sera une styrienne dansée par tous les personnages, et que la grande-duchesse doit nous apprendre. Pendant toute la durée de la pantomime une musique adaptée au sujet se fera entendre. Voilà le programme detaillé de la surprise qui doit être exécutée après-demain. Nous répétons avec zèle jusque-là.

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352

Песня Миньоны из романа Гете «Ученические годы Вильгельма Мейстера».

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353

Речь идет о картине Ф. К. Винтергальтера 1836 г. «Il dolce far niente» («Сладостное ничегонеделание»), где изображены итальянские крестьяне, отдыхающие в полдень.

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354

Графиня О. А. Мусина-Пушкина, родная сестра Е. А. Тимашевой.

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355

Графиня С. А. Шереметева.