Выбрать главу

En me voyant rabouler avec sa hallebarde, elle plisse son front génial.

— Tiens, ricane-t-elle, parodiant Fernand Raynaud, voilà l’hallebardier !

Je dirige la pointe de l’arme vers le compositeur à succès.

— Il y a longtemps que vous possédez ce cure-dent, Nini ?

— Pff, des années… Et même davantage, c’était un bijou de famille. Mon vieux collectionnait ce genre de truc.

D’un geste tellement sec qu’il conviendrait de l’humidifier, j’arrache le fer de son manche. L’opération est fantoche car le premier n’était pas très bien arrimé au second.

— Hé ! cassez pas le matériel, mon vieux, rouscaille Nini. J’ai eu assez de bris de meubles comme ça, ce soir !

Je fais miroiter la partie tranchante de l’arme sous les yeux de mon interlocutrice.

— Vous m’avez prévenu que vous étiez miro, camarade, aussi je vous supplie d’avoir l’obligeance de regarder attentivement, très attentivement ce bout de ferraille.

Elle obtempère. La voici qui tripote la lame en se la collant à bout portant des vaistas.

— Mais ! Mais ! exclame-t-elle…

— Plus la même, hein ? Seul le manche est pareil. On a changé la broche à faire reluire les intestins.

— Exact, convient le fameux auteur de « Si tu t’en vas, ne te trompe pas de brosse à dents ». Je me demande bien qui a opéré cette substitution et pourquoi.

— Je dois pouvoir fournir des réponses valables à ces deux questions, assuré-je. A présent, parlons du tapis qui se trouvait dans votre chambre et qui n’y est plus.

Sa stupeur va croissant, comme disent les pâtissiers turcs.

— Comment diantre savez-vous qu’il y avait un tapis dans notre piaule ?

— Mon infernal petit doigt de flic…

— Effectivement, nous avons un tapis.

— Qui se trouve où ?

— Chez le teinturier. Il y a trois ou quatre jours cette idiote de Rebecca a renversé un encrier dessus. Tiens donc !

En voilà une, mes amis, je donnerais la vertu de votre grande fille, plus le soutien-gorge de votre belle-mère, pour la récupérer d’urgence. Dire que je l’avais sous la main et que je l’ai laissée s’envoler comme une perruche dont on nettoie la cage ! Pas fiérot, le San-A. En matière de police, des couenneries pareilles sont inexcusables. Généralement, ceux qui les commettent se retrouvent dans la filature privée avant l’âge de la retraite. Elle m’a mochement chambré, la friponne, avec ses simagrées de donzelle effarouchée. Pendant que je me posais des questions à son sujet, elle, elle me posait un lapin.

Enfin, on se retrouvera !

Je lève la main droite et je le jure sur la tête chercheuse de ma fusée opérationnelle Terre-Lune.

— Ainsi donc, soliloqué-je, la lame de votre hallebarde familiale a disparu, le tapis de votre chambre a disparu et Rebecca a disparu. Ça fait beaucoup, vous ne trouvez pas ?

— Parlons net, grommelle celle qui ne prend pas les chats pour des cons, vous estimez que mon amie est mêlée à cette sale histoire ?

— Pour répondre net, oui ! lui dis-je. Je ne prétends pas qu’elle ait bousillé ce type, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’elle a aidé l’assassin.

Mon entrecutrice ne répond pas.

Confondue. Chagrine… Elle va nous composer un de ces requiems à côté duquel celui de Mozart ressemblera à la « Petite Tonkinoise ». Les grands tourments intérieurs facilitent la création artistique. Le malheur est à l’art ce que le fumier est à la culture maraîchère.

La redescente de mes deux « extra » ramène un semblant de vie dans le regard exténué de Mme Ecartefigue. Visiblement, Berthe Bérurier la commotionne. Elle est sensible à la puissance de cet être d’exception. Faut admettre qu’il émane de la Baleine une sensualité animale. Elle est fumante comme un frais labour, Berthaga. Son insolence hardie, ses volumes tonitruants forcent l’admiration.

La voilà qui s’approche de Nini et lui donne une caresse voyouse sur la nuque.

— Inquiétez-vous pas, mon gars, déclare la Bérurière, on est sur la bonne voie et on te va vous arranger vos gamelles. Faites pas c’te triste bouille, Garnement, ajoute la chaleureuse, qu’après vous allez nous composer des marches funéraires.

Elle hésite, puis roule une galoche vorace à Nini.

— Quand un homme désempare, fait-elle ensuite sur un ton d’excuse, je voudrais pouvoir le réchauffer dans mon sein comme un oiseau tombé du nid.

La Terrifie chasse sa délicate métaphore d’un geste de bouchère débitant l’escalope.

La réalité commande. Elle sait bien, la vaillante Guerrière, que l’attendrissement est un frein.

— C’est pas le tout, soupire-t-elle en laissant filer du regard moite dans son intonation, Mâme Pinaud, vous avez fait part de notre découverte au commissaire ?

— Pas encore ! grince la vieille girouette.

Déjà professionnelle, la suppléante m’attire à l’écart.

— Voilà ce que nous avons trouvé dans la bouche de cet affreux cadavre, dit-elle.

Elle ouvre sa main gantée de fil gris et me propose un bouton de blazer cousu de fil blanc. Le bouton est en métal argenté orné d’une ancre marine en relief. Je considère l’objet d’un œil incrédule.

— Dans sa bouche ! hébété-je.

— Ça brillait sur le côté, on aurait dit une dent de métal…

M’est avis qu’il a un peu bâclé le turbin, Mathias. Probable qu’il était mal réveillé ou déjà rendormi. Faut reconnaître que sur cette terrasse obscure, il n’était pas équipé de première.

Dites, elles sont pas si locdues que ça, mes nouvelles coéquipières, après tout.

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE PREMIER

BANG !

On ne peut pas se gourer : y a qu’un seul bijoutier à Saint-Franc-la-Père.

Et il tient effectivement boutique Nouvelle Avenue du Général-de-Gaulle.

Pour aller à Saint-Franc-la-Père, vous ne pouvez pas vous tromper : c’est tout droit pour commencer, ensuite vous tournerez quatre fois à droite et vous recontinuez tout droit jusqu’à ce que vous obliquiez sur la gauche. D’ailleurs c’est indiqué sur la Nationale.

Saint-Franc-la-Père est une charmante localité vieillotte alanguie autour de son église romane de toute beauté. Sur les guides elle est signalée par une tête de mort, l’église, c’est vous dire[14] !

La montre-bracelet de deux mètres servant d’enseigne à la bijouterie indique qu’il est une heure moins dix lorsque j’arrête ma calèche devant le magasin.

Chemin faisant, j’ai expliqué à mes deux participatrices l’objet de ce voyage nocturne, et elles discutaillent de l’affaire en termes vigoureux, ces dadames. Construisent une version des événements qui, mon Dieu, en vaudrait une autre, si j’en avais une autre. Selon elles, Rebecca doublait son mari (car elles continuent de considérer Nini comme un homme et moi, histoire de m’amuser, je les laisse se confiner dans leur berlue). Vladimir Kelloustik a voulu la faire chanter et elle l’a tué d’un coup de hallebarde. Après quoi, elle a tenté de faire basculer le cadavre dans la cour pour s’en débarrasser ; malheureusement, un crochet de gouttière a stoppé la culbute du vilain. La gosse a attendu, se demandant comment s’en tirer. Elle a évacué le tapis sanglant et remplacé la lame meurtrière par une autre à peu près semblable trouvée chez un antiquaire… Et puis, comprenant qu’il fallait à tout prix « faire quelque chose », elle s’est décidée à me mettre tout doucettement au parfum.

Leurs élucubrations offrent le mérite de m’aider à réfléchir. Elles servent de support à ma propre gamberge. C’est une toile nantie d’une couche de fond sur laquelle il fait bon peindre.

вернуться

14

Je vous rappelle qu'une tête de mort, sur un guide, ça veut dire : « Mérite un accident de voiture. »