Выбрать главу

— Je vous rappellerai demain, ça urge. Excusez-moi.

Ma correspondante raccroche. Je l’imite. Le couple me défrime avec des airs simultanément apeurés et interrogateurs.

— Qui est Thérèse ? questionné-je.

Je m’adresse tout particulièrement au marchand de bagouzes. Un homme, en général, c’est plus spontané qu’une gerce.

Il secoue la tête.

— Je ne sais pas.

Puis à sa femme :

— Tu connais une Thérèse, toi, trésor ?

— Non.

Sans blague, mais ils me berlurent, ces crêpes ! Dites, la Grosse n’aurait pas raison, mine de rien ? Ce bon ménage d’effondrés ne nous empaillerait pas sur les bords ?

Je me laisse chuter dans un fauteuil qui crie au secours. Je croise mes mains sur mon estomac et considère paisiblement mes hôtes.

— Peut-être n’êtes-vous pas ce que vous avez l’air d’être, après tout, murmuré-je. En ce cas, je vais devoir vous montrer qui je suis, ainsi nous serons quittes. Une femme vient d’appeler. Elle a réclamé Mme Naidisse. Je me suis permis de contrefaire votre voix pour répondre affirmativement. Elle a déclaré alors qu’elle était Thérèse, comme l’aurait lancé un familier et elle a demandé si vous aviez des nouvelles. Vous ne croyez toujours pas ?

Les bijouteux secouent la tête.

— Mais non, c’est à n’y rien comprendre, renchérit la femelle, Thérèse ?

Elle réfléchit (ou fait semblant).

— Non… Je ne vois pas. Thérèse… Ça ne me dit rien. J’ai connu une Marie-Thérèse, à l’école, mais je ne l’ai jamais revue depuis le brevet. Elle n’a rien dit d’autre, cette personne ?

— Si : qu’elle était très ennuyée et que ça urgeait.

— Qu’est-ce qui urge ?

— Je vous le demande.

La bijoutière semble vouloir conclure une alliance avec moi (si je puis dire).

— Ecoutez, graillonne-t-elle après s’être raclé le gosier à plusieurs reprises pour tenter de se décamoter les muqueuses et les ficelles, écoutez, monsieur le commissaire, je vois bien que vous nous soupçonnez de je ne sais quoi. Que vous nous prenez pour des menteurs… Il ne faut pas. Nous avons un malheureux enfant qui a mal tourné. Tout petit il avait des instincts pervers et ne se comportait pas comme les autres. On l’a montré à des docteurs, des neurologues… Aucun résultat. C’est pas notre faute. Oh, que non. Une année je l’ai même emmené à Lourdes, pour voir… Nous sommes d’honnêtes gens, monsieur le commissaire, tout le monde vous le dira dans le pays. Nous portons notre croix le plus vaillamment que nous pouvons. Si nous vous affirmons que ma sœur n’est pas venue ce soir et n’a pas téléphoné, c’est parce que c’est vrai. Si nous vous jurons nos grands dieux ne pas connaître cette Thérèse, c’est encore parce que c’est la vérité. J’ignore ce qui a pu se produire chez ma sœur et ce que vous cherchez, toujours est-il que nous ne savons rien et que vous perdez votre temps ici !

— Pas sûr ! déclame la célèbre Berthagoche en réapparaissant avec un maximum d’effets théâtraux.

— Vous avez trouvé quelqu’un dans l’appartement, ma chère amie ? m’empressé-je.

— Pas quéqu’un, quéque chose ! affirme la mystérieuse.

Son regard vorace flamboie au-dessus de ses bouffissures. Une bride de son monte-charge a dû flancher car une de ses pastèques pend sur la jupette frivole. Ah, la noble guerrière que cette houri ! Moi, y a des moments, je me demande si Jeanne d’Arc ressemblait pas à Berthe dans le fond. Vous ne croyez pas ?

La frêle mômasse de Donrémy, j’ai jamais mordu à bloc. Je la vois plutôt solide truande, miss d’Arc. Mafflue, fessue, nichonnante et altière, forte en gueule, généreuse du derche et franche-buveuse. Jeanne d’Arc, la vérité vraie, c’est qu’elle n’était pas un personnage de Péguy mais de Rabelais. Berthe, je vous affirme ! Terrible, volumineuse, gueuleuse. Crevant hommes et chevaux ! Couchant son adversaire d’une torgnole, passant à la casserole douze mâles ardents et hardant les soirs de bivouac. Une nature ! Son imagerie aurait mieux convenu aux fresques de salles de garde qu’aux vitraux de cathédrales. Un certain aspect de la France, somme toute. Plus vivant, plus généreux que celui qu’on nous a fignolé dans les manuels scolaires supervisés par notre sainte mère l’Eglise. Elle a pas obéi à ses voix, Jeannette, mais à sa nature bouillonnante. Elle était pas mythowoman, elle était seulement pétardière, c’est-à-dire bien française. Plus tard, quand je serai très schnock, au soir, à la chandelle, je me l’écrirai, ma Jeanne d’Arc, comme tout le monde. En trois actes et un tombé. Je la ferai représenter au « Palais des Sports » avec Yvan Rebroff dans le rôle principal. Vous pouvez déjà retenir vos places, la location est open. Mais tout ça, je vous l’ai déjà bonni dans des ailleurs que je me rappelle seulement plus la référence du catalogue. Pardonnez-moi, on a tous ses dadas. Jeanne d’Arc aussi avait le sien !

Donc Berthe, je vous y reviens…

Elle ramène sa main droite de ses fesses à sa face. Un geste de prestidigitateur. Les francforts de la grosse tiennent une photographie.

— Regardez ! barrit la Dubarry du Béru[15].

— C’est la photo de notre pauvre Charles ! lamente dame Naidisse et tendant la main pour reprendre son bien.

Notre Bérurière a une esquive.

— Pas touche ! mugit la moujik amusante[16]. Ce document est à verser au dossier !

Je chope l’image. C’est vrai qu’il est marqué par le destin, le fils Naidisse. Une bouille pareille, c’est un label ; elle annonce la couleur. Y a écrit « Prenez garde à la vermine » sur sa frite de gouape. Vicieux, pernicieux à bloc. On le devine nuisible jusqu’à l’os. Et visiblement, il ne peut être autrement, c’est plus fort que lui, que tout ! Pas guérissable.

Sur la photo Charles Naidisse monte un solex comme un cow-boy de rodéo grimpe un alezan sauvage. On dirait qu’il vient de le dompter.

Je m’explique mal la jubilation de la Baleine. Elle se pourléche les paupières, guettant mes réactions, s’étonnant qu’elles tardassent.

— Hein ? Hmmm ? Eh bien ?… gémit-elle de la narine.

Pour elle, c’est une espèce de prise de guerre. Elle a le triomphe du soldat allemand de 40 qui ramenait un régiment français au bout de sa mitraillette, après avoir recommandé aux autres (régiments) de faire la vaisselle en attendant son retour.

Je me perplexe la nénette. Certes il n’est pas inintéressant de contempler cette frime de malfrat dont le cynisme constitue la force de (petite) frappe. Mais de là à pavoiser, à glousser, à se mettre la queue en trompette, à geindre de plaisir, y a un pas, un détroit, un golfe !

— Enfin quoi, nom d’Dieu, vous voyez donc pas ! s’emporte Berthe aux grands pieds[17].

— Mille regrets, ma charmante, mais il s’agit d’une devinette : je donne ma langue au chat.

— SA veste !

— Qu’est-ce qu’elle a ?

— Enfin quoi, nom d’Dieu, vous avez besoin de porter des lunettes ! Quand je pense que mon gros lard d’Alexandre-Benoît ne tarif pas d’horloge sur votre paire pire qu’à citer, causons-z’en ! C’est pas encore demain que vous surplanterez Chermokolès ! Moi, à vot’place, je rendrais une petite visite aux frères Lissac.

Fouaillé par les durs sarcasmes de la Monstrueuse, je bigloche le cliché à m’en faire pleurer les glandes salivaires.

Et brusquement mon irritation se mue en confusion. Je sens poindre en moi une certaine admiration pour Berthe. Confuse et mal acceptée au début, celle-ci croit et s’épanouit. Bientôt elle rayonne comme un miroir soleil sur un mur tendu de velours noir.

вернуться

15

Quel poète, ce San-Antonio, s'il rimait à quelque chose ! Lamartine.

вернуться

16

C'est pourtant vrai, ce que disait Lamartine à propos de San-Antonio ! Paul Claudel.

вернуться

17

Moins singulière que Madame Charlemagne mère qui disait toujours en montrant son panard plus bot que son visage : « J'ai eu un Pépin. »