— Impeccable ! soupiré-je.
— N’est-ce pas !
— Vous êtes douée, Berthe.
— Je le savais ! répond l’immodeste femme.
Je me tourne vers la bijoutière. Ce que je vais lui demander est grave, très grave. Si elle répond à ma question par l’affirmative, il sera à peu près établi que son fils est devenu un assassin. N’est-ce point effrayant d’attendre d’une mère ce genre de preuve ? D’user de son innocence ? Et cependant le métier commande.
— Votre fils portait-il cette veste au moment de son arrestation ?
Son instinct la met en garde. Elle hésite. Elle fait une moue dubitative, presque négative. Mais les bonshommes, vous savez comme ils sont glands ? Gaffeurs, cornards, fougueux, prêts à débloquer dès qu’une occasion s’offre.
Jean Naidisse a regardé l’image brandie.
— Oui, il égosille ! Son blazer… Oui, trésor, souviens-toi… Son blazer bleu avec les boutons de marine…
CHAPITRE II
PLAOFF !
La guerre des boutons, somme toute !
J’ai réclamé une loupe à l’horloger et, accoudé au marbre de sa cheminée qui ressemble à une entrecôte crue, je compare les boutons du blazer avec celui que ces dames policières ont déniché dans le bec de l’hallebarde.
Aucune erreur n’est possible ! Celui que j’ai en main provient bel et bien du blazer de Charles Naidisse.
Conclusion formelle : le jeune dévoyé se trouvait chez sa jeune tante au moment du meurtre. Intéressant, non ?
Si Berthe était rasée de frais, je l’embrasserais pour sa trouvaille.
— Y a quelque chose ? demande la bijoutière d’un ton angoissé.
— Ma pauvre dame, soupiré-je en empochant la photographie, je crois que vous n’êtes pas au bout de vos malheurs.
Elle se tasse un peu. Ses cheveux ternes pendent devant son désespoir comme un rideau d’algues séchées.
— Il a fait d’autres bêtises ?
— Je le crains. Si vous avez des nouvelles de votre sœur, téléphonez-moi, voici mon numéro.
Je m’en vais, confusément accablé par l’atmosphère de détresse qui règne chez les Naidisse. Berthe a déjà filé pour raconter ses exploits à la mère Pinuche. Pourtant elle est seule quand, à mon tour, je déboule de la maison.
Les poings aux hanches, la ballerine de la Villette sonde la rue déserte avec une perplexité préoccupante.
— La mère Tatezy a disparu ! m’annonce-t-elle.
Mon incrédulité doit produire de la fumée.
— Que me dites-vous là, Berthe !
— La stridente vérité, commissaire. Voiliez plutôt : la bagnole est vide et l’horizon de même, tante à gauche que tante à droite…
— Se serait-elle impatientée ?
— Foutraise ! proclame l’éléphantasque. Si elle se serait impatientée, elle nous eusse relancés. Où voudriez-vous qu’elle allasse, dans ce bled, en pleine nuit ?
— Un petit besoin à satisfaire, peut-être ? hasardé-je encore, sans grande conviction.
— Petit besoin, mes fesses ! récrie (fort judicieusement) l’orange-outange. Le casier chéant, elle se fusse soulagée sur le trottoir, vu que la rue est vide, ou bien étant de nature chichiteuse, elle eusse demandé le petit endroit chez les gens qu’on était ! Tous les cafés sont fermés et les chiottes publiques ne doivent pas abonner ! Si je vous causais que j’ai un mauvais pressentiment, San-Antonio ?
Comme pour donner de la substance à ces sinistres paroles, une voix (y a toujours plein de voix dans mes livres, comme dans Jeanne d’Arc story. Seulement, elle, c’étaient les voix de la Providence, tandis qu’ici c’est la voix au chapitre) tombe d’un premier étage pas très haut.
Nous levons nos chefs accablés et découvrons un fantôme dans un entrebâillement de volets. Une figure de vieillarde toute blanche, avec des yeux velus, pareils à deux mouches à merde sur une meringue.
— C’est la dame qu’était restée dehors que vous cherchez ?
Je vous parie une rage de dents contre un dentiste hydrophobe que cette taupe vétusté doit passer ses nuits à épier la Nouvelle Avenue du Général-de-Gaulle. Elle sait tout ce qui s’y passe, connaît par cœur les allées et venues des amants, les titubances des pochards, les algarades des couples harassés, les maladies des enfants, les agonies des vieillards, les promenades nocturnes des chiens, les polissonneries des jeunes gens du samedi. C’est la gazette du patelin, sa vigie, son vigile. Son œil !
— En effet, conviens-je, où est-elle passée ?
Au lieu de répondre d’une manière franche et directe à ma question, la chouette embusquée biaise.
Donnant-donnant un tuyau contre un autre… C’est toujours pareil avec les commères de village. On en revient au système élémentaire du troc. Une indiscrétion contre un cancan, une confidence contre un ragot, un sous-entendu contre une allusion. Passe-moi un peu de ta bile, je te refilerai un brin de mon pus. Tape dans mes miasmes et je goûterai à tes cancrelats. On s’entraide les bas instincts. On s’assiste, on se compatit mutuellement. C’est du boulot de collectionneur, seulement, au lieu de philatéler, de copoclépher, de numismater, on bave. On sécrète du secret. Tiens, fume : c’est du perfide ! Et des comme celle-là, tu la savais ?
— Y a du grabuge, chez les Naidisse ? interroge la vioque. Leur gamin qui a encore fait des siennes, je parie ?
— Plus ou moins, évasifié-je, conscient de devoir lâcher du lest. Vous disiez donc, notre amie ?
— Elle est partie. Qu’est-ce qu’il a fait le petit salopard ? Une attaque à main armée, au moins, non ?
— Pas tout à fait, mais y a de ça. Avec qui est-elle partie ?
— Avec deux messieurs dans une auto ! Il est toujours en fuite, le Charles, ou on l’a arrêté ?
Cette fois je ne songe plus à composer.
— Il faut que je vous parle ! lancé-je vivement.
— Parlez ! invite placidement la meringue mouchetée.
— Ouvrez-moi !
— Sûrement pas. J’ouvre jamais la nuit, à personne.
— Je suis de la police !
— A personne ! réitère la voix. Hein, vous l’avez arrêté, ce voyou ?
— Pas encore !
— C’est ce que je pensais, parce qu’y me semb’bien l’avoir vu au volant de l’auto tout à l’heure.
— Une auto comment ?
— Noire, m’a-t-il semblé.
— Quelle marque ?
— Je connais pas les marques.
— Que s’est-il passé ?
— C’est allé très vite…
— Mais encore ?
— La dame était descendue de votre auto. Elle se tenait à l’entrée du couloir de chez les Naidisse. Je suppose qu’elle écoutait ce que vous causiez.
— Ensuite ?
— La voiture en question est survenue et s’est arrêtée à la hauteur de la bijouterie. Les deux hommes qui se trouvaient à l’intérieur sont restés un moment sans bouger. On aurait dit qu’ils observaient.
— Et alors ?
— Au bout d’un moment, çui qui conduisait pas est descendu sans bruit et il a couru sur la pointe des pieds jusqu’à la maison de ces pauvres Naidisse. Il a posé une question à la bonne femme. J’ai pas entendu quoi. Il causait bas. Elle, elle a riposté un truc que j’ai pas très bien compris non plus, dans le genre : « Non mais dites donc, qu’est-ce qui vous prend ? » Alors le type a sorti quelque chose de sa poche.
— Quoi donc ?
— J’ai pas vu : il me tournait le dos. La dame a regardé. Ils se sont mis à chuchoter, après quoi elle l’a suivi jusqu’à l’auto. Ils sont montés tous les deux derrière et la voiture a démarré.
— Dans quelle direction ?