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Troisième. Droite.

Sur un bristol, on s’est complu à écrire « Vladimir Kelloustik » en gothique bicolore-à-poils-longs. Un gus qu’avait le temps. Un calligraphe. La vie est pleine de minus qui se prennent pour des artistes parce qu’ils savent écrire un titre en ronde.

Vous allez prétendre que je charge, mais ce petit rectangle de carton blanc m’en apprend plus sur la personnalité de feu Kelloustik que ne le ferait le rapport d’un psychiatre.

Je sonne trois petits coups brefs, manière de créer une ambiance. Quand on réveille quelqu’un, faut essayer de le faire avec un maximum de tact.

En l’occurrence, je ne réveille personne. Le silence épais de la vieille baraque ventrue reste total. Je carillonne derechef, en pure perte.

— On a grimpé tout ça pour la peau ! soupire la baleine.

— Voire ! laconé-je.

Et de tirer mon fameux sésame[21] pour m’expliquer avec la serrure. De la bricole. Quelques coffïots plus bardés d’astuces que les mots croisés de Max Favalelli mis à part, peu de lourdes résistent longtemps aux guiliguili de cet appareil qui est au métier de super-flic ce que la couleur bleue est aux toiles de Vlaminck.

J’ouvre.

— Pardonnez-moi de ne pas vous prier d’entrer, Berthe, dis-je à la mangeuse d’hommes, mais quand on pénètre quelque part avec effraction, la politesse consiste précisément à passer le premier, tout comme au Pont de Lodi.

Sur ce charmant avertissement, j’entre dans le logement du regretté Vladimir. Il y fait chaud. Une odeur de bouillie Guigoz à quoi se mêlent des remugles de vomissure me pince le pique-bise. Délibérément j’actionne le commutateur. Une misérable entrée me saute à la frime. C’est tout petit, tout triste, tout tragique à force de médiocrité. Trois portes prennent sur ce chétif quadrilatère : une porte de gogues, entrouverte, avec vue imprenable sur une cuvette jaune foie. Une porte vitrée, donnant sur une cuisine dont le compteur à gaz obèse occupe les deux tiers du volume : enfin une troisième porte, fermée celle-là, mais qui, sous l’impulsion de ma curiosité, ne le reste pas longtemps.

Et je pénètre dans une chambre-studio. Assez vaste.

J‘sais pas si vous l’avez déjà constaté, mais la médiocrité rend ingénieux. L’appartement d’un mec sans moyens ressemble à un couteau suisse, lequel remplace avantageusement un atelier de mécanique et une batterie de cuisine au complet (t cv n c b erdS, k hgu, qè)[22].

Chez Kelloustik, je découvre : un canapé-lit, une table-machine à coudre, un tabouret-escabeau, une commode-salle de bains, un tampon-buvard faisant pendule et poste de radio, et un bébé endormi dans un berceau qui aboie peut-être lorsqu’il est réveillé.

Je sors la photographie découverte dans le larfouillet de Kelloustik. C’est bien le bébé figurant sur le cliché. Sans doute a-t-il un ou deux mois de plus qu’au moment où l’on a tiré cet instantané, mais je le reconnais. Un chouette blondinet, rose et dodu, avec des fossettes partout. Il dort à poings crispés, son souffle est calme et la lumière tombant de l’entrée fait scintiller ses mèches d’or.

— Un chérubin ! susurre le bovidé en m’écrasant dix kilos de nichons contre la hanche.

Je la sens émue, Berthy. Je le suis également, en songeant au cadavre du papa dans un tiroir de l’Institut médico-légal. A peine au monde il est déjà orphelin de père. Tu parles d’un départ foireux. Notez qu’avec un father pareil il n’était pas sorti de l’auberge…

— Il est seul dans l’appartement ! gronde la houri, comment se peut-ce, un bébé de cet âge ! Et si le feu prendrait ? Et s’il aurait des convulsions ?

Mon haussement d’épaules, pour fataliste qu’il soit, ne calme pas pour autant l’indignation de la vachasse : en termes soignés, elle continue de déclamer son opprobre. Pendant qu’elle récite un beau chapitre de puériculture parlée, je soulève l’édredon du mignonnet. Ce que je suis venu chercher ici s’y trouve. Un hochet, mes jolies. Un beau hochet rouge et jaune. Je l’empare et vais l’essayer dans le vestibule. Il a une sonorité particulière. Au lieu de faire « dreling dreling », comme la plupart des hochets, il produit un bruit plus cassant, un peu crachoteur.

« Un bruit de crécelle », you see ? Ou plutôt you hear ? Bravo, San-Antonio. Quelle subtilité dans l’évolution de la pensée ! Quelle sûreté dans sa trajectoire ! Quelle perfection dans l’analyse ! Ah ! si je n’étais pas moi-même, comme je m’admirerais !

— Vous faites joujou, commissaire ? questionne le Gravosse.

Je cesse de cigogner le hochet.

— La maman de ce petit ange doit se prénommer Thérèse, assuré-je à la vorace interloquée.

Là-dessus, je continue d’explorer la cambuse pour tenter d’y dégauchir un appareil téléphonique. Il n’y en a pas.

Donc, Mme Kelloustik est allée téléphoner ailleurs aux Naidisse. En emmenant son bébé qui ne dormait pas. Après quoi elle est revenue ici, l’a couché et s’est tirée de nouveau.

Pour aller où ? Téléphoner encore ? En ce cas, elle ne va pas tarder.

Dame Berthe aux grands panards, au grand prose et à l’immense chaglaglate n’est pas si melone que je trouve qu’elle en a l’air puisque aussi bien elle demande :

— On attend la mère ?

— Bien vu, ma chère. En effet, je voudrais avoir une conversation avec la maman, déclaré-je.

Je me laisse tomber sur le canapé. La nuit commence à se faire longue.

— J’échangerais volontiers mon droit d’aînesse de fils unique contre une bonne tasse de café, avoué-je.

— Casse la tienne, s’empresse la Bérurière, je peux nous en préparer. Doit bien y en avoir dans c’t appartement !

J’imagine la frime de Thérèse lorsqu’elle va revenir. Trouver une Berthe en minijupe et à aubergine dans sa kitchenette, en pleine noye, ça doit commotionner le circuit nerveux. Il est vrai que la pauvre fille va avoir bien d’autres surprises plus désagréables.

— Si vous mettez la main sur un paquet de moka, préparez-moi un jus aussi épais que du miel, recommandé-je. Je veux pouvoir le boire en tartines.

— Faites-moi confiance, mon cher Antoine, flûtise mon module d’étable, le café, c’est ma spécialité.

Elle s’efface dans un froufrou de jupette.

Votre bon camarade San-A. ferme ses jolis yeux enjôleurs, histoire de récupérer un chouïe. Il suffit souvent de quelques secondes de totale relaxation pour se refaire une santé. Si tu parviens à t’abstraire un instant, ta fatigue met les adjas.

Notez que c’est délicat à réussir, une abstraction San-Antoniaise.

Il est si tellement présent, le bonhomme ! Pour l’effacer, faut beaucoup plus qu’une gomme à crayon.

J’espère pourtant y parvenir, lorsque Mme Alexandre-Benoît Bérurier, dite Berthy, dite Berthaga, dite la Gravosse, pousse une exclamation dont j’aurais honte qu’elle la proférât lors d’une réception à l’Elysée, en présence d’une once apostolique :

— Bordel de Dieu ! exclame la personne ci-dessus nommée…

Puis un silence succède, lequel contient en énergie la suite de l’imprécation.

« Cette énormité de la nature, cette excroissance de dame a dû renverser le paquet de café ou se prendre une pointe de sein dans l’engrenage du moulin », décidé-je.

Le bruit de sa présence (car Berthe fait du bruit en existant, fût-ce au ralenti) m’oblige à remonter les volets de sécurité de ma vitrine.

La molosse est là, livide, moustache en détresse, œil en verre dépoli, poitrine répandue, tifs défrisés, nez désamorcé, langue dardée, oreilles épagneulées.

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21

Beaucoup de lecteurs, et particulièrement ceux qui sont spécialisés dans le cassement, me demandent en quoi consiste ce « sésame ». Les dures exigences du secret professionnel m'empêchent de leur répondre ; toutefois, qu'il me soit permis de leur révéler que l'outil en question est en vente libre au sous-sol du Bazar de l'Hôtel de Ville. S-A.

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22

Ceci n'est pas un message codé. Un ange est venu déposer cette ligne incohérente en apparence dans mon horrible livre et j'entends l'y laisser. Sans y changer un seul mot ! S-A.