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On dirait qu’elle vient : soit de recevoir une décharge électrique d’au moins 1000 volts dans le rectum, soit de faire l’amour avec un marteau-pilon ! Une bave blanchâtre lui débadine de la gouttière.

— Santonio, chuchote-t-elle, j’aimerais que vous vinssiez voir.

Je vinsse.

Elle m’indique d’un geste récamiesque la petite cuisine qu’elle vient de quitter. Je m’y hasarde.

Les portes des placards béent. Mais mon regard infaillible va droit au minuscule frigidaire mural peint en faux bois.

Outre quelques biberons emplis de bouillie et un reste de ragoût, il contient une tête humaine décollée au ras du menton.

CHAPITRE III

FLOC !

— Vous ne dites rien ? remarque doucettement Berthe au bout d’un silence qui, vu de l’extérieur, doit sembler interminable.

— J’entre en moi-même, réponds-je.

— Pour quoi faire ? demande la chérie.

C’est quelqu’un, Berthy. Une nature ! Un tempérament ! Une santé !

En pareil cas, n’importe quelle femme aurait paré au plus pressé et se serait évanouie.

Pas elle.

Sa pâleur lui suffit et son horreur s’exprime par un léger tremblement. Elle est forte ! Gaillarde !

Connaître un être humain, c’est un voyage. Mieux qu’un voyage. On n’en revient pas. Moi, tant qu’il restera un autre individu sur la planète, je serai certain de ne pas m’emmerder. Y aura du spectacle : assez pour m’intéresser à la fuite du temps. Les gus, quand on veut les étudier, faut s’occuper comme pour la pêche à la ligne. Se munir d’un pliant. Choisir un coin à l’ombre. Un endroit du cours de vie où ça ne galope pas trop, où le courant fait une trêve. Et puis s’installer et attendre.

Moi, des tronches sectionnées, j’en ai déjà trouvé quèques z‘unes sur ma route. Tenez, je me rappelle d’un matin, aux Halles, quand elles étaient encore au ventre de Paris… Parmi des têtes de veaux, une tête d’homme[23]. Et d’autres encore, dans je sais plus quelles circonstances. Mais c’est la première fois que je déniche une bouille dans un frigo, parmi des biberons.

Je fixe cet effroyable débris exsangue. Le plus cocasse, faut que je vous le bonnisse, manière de vous faire poiler : il est posé sur une assiette.

Servez froid ! Avec une vinaigrette de préférence. Vous vous rendez compte ? Une tête coupée, dans un réfrigérateur… Avec un bébé doré qui pionce dans la pièce voisine.

Je vous ai dit que c’était une tête d’homme ? Non ? Ben, je vous le dis, in extenso pour que ça fasse plus exotique.

— Vous connaissez ce monsieur ? demande la Bérurière.

— Je n’ai pas cet honneur, ma bonne, je lui rétorque, comme je le ferais si je marnais dans un truc de la comtesse of Ségur.

— Vous ne pouvez pas savoir l’effet que cela m’a fait, reprend la donzelle : je ne savais pas que ce placard était un frigo. Déjà là j’ai été surprise. Et puis quand j’ai vu ! Je me médusais de regarder cette horreur. Je me disais : c’est pas possible… Il eût été blond j’aurais cru a une tête de veau. Mais brun pareil ! Selon vous, y n‘serait pas comme qui dirait plus ou moins nègre de l’antécédent ?

Je considère le trophée.

— A quoi vous pensez ? insiste ma brillante collaboratrice.

— A la mort de Louis XVI, affirmé-je.

Elle ne se goure pas en supposant que la victime était négroïde. Les cheveux drus crêpent. Les lèvres sont très charnues. La peau est bistre foncé et le regard agonique jaune-cheval-malade.

— Selon vous, s’agirait d’un meurtre ? s’enquiert la pertinente.

— Ou peut-être d’un suicide, dis-je en lourdant la porte du réfrigérateur pour ne plus voir l’atroce chose.

La baleine en jupe courte me sermonne d’un doigt mutin de rosière taquinée, style « M’sieur Raymond, si vous continuez d’ouvrir grande votre braguette j’appelle maman ! ». Sans doute va-t-elle déballer une tirade flamboyante comme du gothique, mais un bruit sur le palier mobilise mon attention.

— Chut ! dis-je, à l’impératif.

Je prend la mégère par un brandillon et l’attire dans la cuisine. Après quoi j’éteins la loupiote de l’entrée.

La Gravosse profite de l’obscurité pour se plaquer à moi, salace. En v’là une qu’abuse des situations critiques. Je veux pas vous paraître grossier, mes canardes, mais je vous jure qu’elle pratique un frotti-frotta si savant que je suis à deux doigts de la prise d’arme, toute Berthe qu’elle soit. Y a une chose aussi, faut dire : la fatigue affûte le sensoriel comme une lame de rasoir. Une nuit blanche, et t’as le monstre tricotin. Le goumi bien féroce, renforcé tige d’acier. Si tu t’effaces pas deux gertrudes dans la journée t’es obligé de te promener avec une brouette pour te charrier le surplus d’émoi.

Un cric-crac maladroit dans la lourde. Celle-ci s’ouvre. Je me dis que la maman du petit trésor est de retour, comme les cigognes alsacos.

On éclaire. On tousse. Toux de femme. Puis on se rend dans la chambre du bébé.

Vous remarquerez, pour parler à un mouflet, les adultes se croient tous obligés de prendre une voix de chat. Ils lui miaulent des conneries, lui inventent des onomatopées.

L’arrivante souscrit à la tradition. Faut l’entendre réveiller le loupiot d’un petit ton pointu qui agacerait un pinson :

— C’était le pitit petit mignon joli ahrrre, ahrre ! Le babounet troufigni gouzi ! Le bouli goulou gligli gogo ! Une tite pitite merveille, ça madame ! Oh, oui, ça n’ouvait ses gands zieux bleus ! Bonzou, cousou ! Dites ahrrre !

La pression de Berthe s’affirmant, sa dextre investigant dans ces régions de moi-même que je réserve de préférence à des personnes méritantes, je décide d’intervenir. J’ouvre la lourde sans trop de brait et m’avance dans l’encadrement de la pièce voisine.

Je croyais y trouver la jeune femme blonde de la photo. Maldonne, mes brutos, c’est une vieillarde qui s’active au-dessus du berceau. Et quelle vioque ! Une pocharde, bel et bien. En hardes ! Elle a un fichu troué sur les épaules. Un jupon déchiqueté du bout, comme celui de la fée Carabosse dans les livres pour enfants. Ses cheveux gris sont probablement des cheveux blancs qu’on n’a jamais lavés. Ils tire-bouchonnent sur ses épaules. Déjà, et bien que je sois à deux mètres d’elle, sa forte odeur de vinasse me saute au gésier, m’agresse les muqueuses, porte atteinte à l’estime que j’éprouve pour le bon vin.

— Vous êtes la nurse, peut-être ? demandé-je.

La vioque ne sursaute pas. Elle a les réflexes cisaillés par l’alcoolisme. En entendant ma voix délectable, elle se retourne péniblement.

T’out compte fait, je crois que la tête sectionnée du frigo est plus ragoûtante que celle de ce monstre. Imaginez une morille pourrie, peinte en violet. Y a plus que des pores à sa peau. D’énormes pores lie-de-vin reliés entre eux par un réseau de veines bleues.

Le regard est pareil à deux vilains boutons qu’on viendrait de presser. Sa bouche tordue s’ouvre sur un trou ténébreux qui ne se rappelle plus avoir hébergé des dents.

Elle grommelle un truc dans le genre de : « Cake sec ça ? » que je traduis illico, bien que je n’aie pas mes écouteurs par : « Qu’est-ce que c’est que ça ? »

— Quoi ? demandé-je.

Elle me braque d’un doigt noir et luisant, comme celui d’un marchand de journaux.

— Ça, répète-t-elle.

Et je réalise que par « ça » elle entend le gars « moi-même », produit surchoix de Félicie.

— Un ami de la famille ! réponds-je. Et vous, chère madame, qui êtes-vous ?

Au lieu de se nommer, elle me pose une question abrupte et assez déroutante.

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23

Cf. La tombola des voyous.