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Aussi sec !

Il était prêt à se faire naturaliser Rosbif, mon pote, pour parvenir à ses fins, et pourtant il est suisse, donc nationaliste !

Il se voyait titrer par la Cour. Comte of Catbray. L’ordre de la jarretelle et toutim. Le château de To Fornick à disposition. Les fringants équipages. Chasse à courre en Ecosse. Tayau au au ! Tayau au au ! Sautant de cheval pour culbuter sa princesse dans les taillis bourrés de cerfs. Lui trifouillant le blason avec fureur et respect. Des années qu’il m’en a causé.

Il espérait sincèrement. Imaginait un concours de circonstances heureuses qui lui permettraient de lâcher son charme sur la créature de rêve. Il échafaudait la rencontre incognito. Seuls dans un train. Lui et elle embusquée derrière des lunettes noires. Il la reconnaît. N’en laisse rien paraître. Et se met au boulot. L’air de la séduction. Le tunnel propice. La galoche fantôme ! Un beurre ! Et après, quand elle a les cannes Louis XV, les yeux fanés, le muscle en torche, lorsqu’elle est redevenue Hanovre-Saxe-Cobourg-Gotha, il chique les surpris, les abasourdis, les désespérés ! « Et quoi, Princesse, ce fut vousse que j’étreignisse ! Moi, humble vermifuge amoureux d’une damneuse étoile ! Que faire pour cacher ma honte ! Comment réparer l’outrage ! Ma vie ? Elle est à vous ! Mon vit ? Vous l’avez z’eu !

Ma fortune ? Une dérision que je glisse dans votre escarcelle à toutes fins utiles. Une seule solution : le mariage dites-vous ? Soit ! Je vous apporterai la Suisse en dot ! Je serai humble. Je m’assiérai au côté du chauffeur dans la Rolls. Je déboucherai les lavabos. Je vous préparerai des röstis. »

Tel que, il délirait, Marcel. Je jure. S’il en perdait pas le boire et le manger c’est parce qu’il a toujours eu le coup de fourchette du siècle.

Et puis l’autre jour, on buvait un pot dans un troquet. Un vieil hebdomadaire traînait à portée d’œil. Sur la couvrante, justement, l’objet de ses convoitises passées : Mrs Armstrong-Machin, bien dodue. Bourgeoise replète.

« T’as vu ? je lui demande, en désignant l’exemplaire de Jour de Match.

— Qui est-ce ? demande distraitement mon pote, Pauline Carton ou Mme Gold Amer ?

— Vise la légende ! »

Il lit et fait la moue. « Vachement toupie, mémère, hein ? me dit l’impudent.

— Je croyais que c’était tes amours ? » objecté-je. Le v’là qui me braque avec des lotos furax. « J’sais pas où tu es allé chercher ça, il ronchonne, mes amours, c’est la princesse Anne ! » Comme quoi la roue tourne, faut bien chers frères ! Et de plus en plus vite. Au point que j’en perds le fil de mes conneries.

Pour vous revenir… La clochetouille, après bêcheries et simagrées, devant la gravité des événements, devient bon gré mal gré coopérative, c’est fatal. Toujours entre deux picrates, d’accord, mais exercée à fonctionner dans l’ivresse, pour donc ! Ce bras blanc embracelé de sang, là-haut, la rappelle à des réalités sinistres.

— Y z’étaient nu-tête. Y en avait un très blond, presque blanc, genre albinos. Les lumières d’en face éclairent bien là où que vous êtes. Il avait les yeux pâles, quasiment blancs idem. Et il causait pas français.

— Comment vous en êtes-vous rendu compte ?

— Il a baragouiné à son copain pour savoir ce que je disais.

— Dans quelle langue ?

— Alors là, tu deviens goulu, gamin. J‘sus pas interprétre à l’ONU !

— Et l’autre parlait bien français ?

— Comme toi z‘et moi !

— Il ressemblait à quoi ?

La vieille garcerie me file un regard pareil à deux filets de vinaigre sur un jaune d’œuf.

— J’te l’ai déjà dit : à un flic. Il était plus petit que l’autre, plus vieux. Brun, trapu. Il avait une moustache. Une grosse moustache av’c des reflets rouquins. J’insiste, mais elle n’a plus rien à casser de valable. On se perd dans la coupe des imperméables. Le temps presse.

Je balance un moment, puis je murmure :

— Vous ne quittez surtout pas votre domicile, la mère ! Des confrères à moi viendront enlever le cadavre et enregistrer vos déclarations, tout à l’heure.

— La chiasse, quoi ! grogne la cloche.

— Vous vous seriez installée sous le pont Alexandre III, personne ne vous aurait dérangée. Que voulez-vous, c’est ça le destin !

La poissarde hausse les épaules.

— Le Pont Alexandre III ! J’aime trop mon île Saint-Louis !

* * *

— Passez-moi l’outil, Berthe ! je propose, il doit commencer à peser lourd, le petit bougre !

— Il est mignon, fait la grosse en me virgulant le dénommé Antoine. Alors le voilà orphelin, positivement ?

— Il semblerait.

— Qu’est-ce qu’il va devenir, ce pauvre trognon ?

— Un pensionnaire de l’Assistance Publique, ma chère amie, à moins qu’il n’ait quelque part entre France et Pologne une vieille grand-mère susceptible de le recueillir.

La Gravosse se met à chialer.

— Cette histoire est effrayante. Mais qu’est-ce qui se passe donc ?

— Des trucs pas ordinaires. Rarement vu un écheveau pareillement embrouillé.

— Qu’est-ce qu’on fiche ?

— Je vais vous mettre dans un taxi avec le môme et vous allez rentrer chez vous. Demain, quelqu’un ira récupérer le lardon.

La suggestion du chef n’a pas les faveurs de la Dondon dodue. Elle pousse un barrissement qui va réveiller certains pensionnaires du Cirque d’Hiver à quelque quinze cents mètres d’ici et, me devançant d’une formidable enjambée, se plante devant moi, les mains aux hanches.

— Est-ce que vous vous foutez de ma gueule, commissaire ?

— Quelle idée, Berthe !

— J’ai positivement dirigé c’t’enquête depuis le début ! aboie le Dragon, j’ai découvert le bouton dans la bouche du Polak ; j’ai découvert la photo du blazer chez les bijoutiers, j’ai découvert la tête coupée rue des Francs-Bourgeois, j’ai reçu le sang de la maman d’Antoine sur le portrait y a un instant t’encore et maintenant qu’on a accumoncelé des indices, vous venez me dire : « Rentrez chez vous pour pouponner, je me charge du reste ! » Non, sans blague ! De qui se fout-on ?