— Visez un peu, Antonio !
— J’ai déjà vu.
— De près ?
— Comme je vous vois ! réponds-je en me comprimant le sarcasme.
— Toquez contre, pour voir…
Je toque au-dessus du robinet. Ça sonne le plein. Par acquit de conscience je tourne le robicot. Un flot rouge et mousseux pisse dru sur mes godasses.
— Ben quoi, Berthe ?
Elle me désigne le flanc du récipient, dans sa partie arrière.
— Et ici ?
Je poursuis mon auscultation. Sidérant ! Cette fois, au lieu de faire « blon blon », sous mon index replié, ça fait « bing bing ». Vous sentez la nuance ? Non ? Aucune importance, y a pas besoin de sortir de Normale Sup’ pour me lire, c’est ce qui fait ma force. Je suis intelligible aux crétins comme aux grands esprits.
Pour vous traduire clairement la chose, le tonneau offre la particularité de sonner le plein à l’avant et le creux à l’arrière.
— Berthe, fais-je, cette nuit délirante m’aura permis de constater que vous êtes l’une des grandes intelligences de ce temps !
Afin de ne pas être en restes, comme disait un restaurateur prudent, j’arrache la bonde encapuchonnée d’une étoffe vineuse. Par cet orifice on emplit le tonneau. Mais je gage (comme disait le restaurateur ci-dessus mentionné à sa servante) que c’est également l’accès du « truc ».
Je passe deux doigts inquisiteurs par le trou. J’ai un sens obstétrical parfois. Mes investigations sont de brève durée. Je sens un anneau qui se désaltérait dans le coulant du nom d’épure[40]. Je tire sur cette boucle de fer et ce que vous espérez se produit (heureusement, sinon j‘sais pas comment j’aurais pu poursuivre ce récit !).
Une moitié du tonneau bascule : la pleine. La jonction s’opérait fort astucieusement sous un des cercles, ça, vous l’avez compris à au moins deux pour cent d’entre vous.
Et un pour cent ont déjà deviné que la seconde partie constitue l’entrée d’un tunnel.
Je refile Antoine à Berthe. Ce qu’on peut se faire des passes avec le moutard ! Un vrai match de rugby.
Je reprends mon feu en pogne et m’engage dans le boyau ainsi débusqué. Il est en pente assez raide. Brusquement il s’élargit. En somme il est en forme d’entonnoir dont le tonneau constituerait le petit orifice. Voilà que je déboule dans un large couloir peint en blanc, au sol recouvert d’une épaisse moquette, puissamment éclairé par des rampes lumineuses camouflées dans la cloison, et sur lequel s’ouvrent des portes, des portes et encore des portes. La coursive d’un grand barlu.
Ce que j’entreprends là est risqué.
Mais vous ne l’ignorez pas : si je m’étais prénommé Charles, on m’aurait déjà surnommé « le Téméraire ».
S’aventurer seulâbre dans cette voie rectiligne est d’une audace folle. Que des mecs ouvrent les lourdes et passent une paluche armée dans l’entrebâillement ! Qu’ils défouraillent à qui mieux mieux et v’là votre vaillant San-A. avec plus de trous qu’un bahut neuf transformé en bahut ancien aux plombs de chasse par un antiquaire.
J’ai conscience du danger. Aussi hurlé-je d’une voix capable d’assurer l’évacuation du paquemoche Antilles un jour qu’il s’est planté sur son suppositoire de béton :
— Escouade 4, placez-vous au fond du couloir ! Mettez vos masques ! Les grenades sont prêtes ? O.K. ! Que l’escouade 3 bis demeure dans la cave ! Les services du chmoltage sont arrivés ? Bravo ! Alors le dispositif 116, d’urgence ! Terminé !
Le tout en me pinçant le nez et en cavernant ma voix pour lui donner des inflexions métalliques.
Je vous jure, mes chers, mes braves, mes loyaux amis, y a que San-Antonio pour se payer un culot aussi phénoménal. Depuis les Pieds-Nickelés vous avez vu ça aut’ part, vous ? Je cause aux anciens ! Non, n’est-ce pas ? C’est du bluff d’une primarité exorbitante. Même à la télé, on vous montrerait ça, vous casseriez votre récepteur à coups de marteau. Personne d’autre que moi peut se permettre. Le moindre de mes confrères (et Dieu sait si y en a des moindres parmi eux) oserait écrire une chose pareille, le comité de lecture lui voterait illico un blâme. On lui diminuerait ses droits. L’obligerait à venir passer la paille de fer dans les burlingues pendant le véquande. Faudrait qu’il fasse des merveilles, pour se rattraper l’estime de la maison. Des bassesses ! Des cadeaux ! Des gâteaux ! Des gâteries ! Des pipes ! Qu’il envoie des fleurs ! Qu’il demande pardon ! Qu’il récite son mea culpa ! Se prosterne ! Qu’il embrasse des anus à la ronde ! Qu’il monte chez le boss à genoux ! Qu’il jure sur sa vieille môman, sur sa femme, sur ses chiareux, de jamais plus recommencer ! Qu’il produise un certificat médical ! Qu’il aille en cure de repos ! Qu’il abjure ! Qu’il conjure ! Qu’il suce !
Mais moi, San-A., je ne renâcle pas. Ce qui m’importe, c’est le résultat.
Gagner ! V’là le mot lâché !
Gagner à être méconnu ! Tous les procédés me sont bons pour camoufler mon génie. Faut que je me retienne jusqu’à ce que la vessie du cerveau m’en pète ! M’abandonner me serait fatal. Je suis condamné à être découvert sans trêve. Je suis une terre sordide avec quelques truffes ! Quand ils en brandissent une, ils prennent leur pied. En v’là une, qu’ils exclament ! Photo ! La téloche se pointe, alertée. « Santonio, paraîtrait qu’on aurait découvert une truffe dans vot’ fumier ? Comment t’est-ce vous espliquez le phénomène ? Y a quoi donc comme antécédent dans votre pedigree ? Une duchesse russe ? Vous seriez pas le fils naturel de Montherlant ? Est-ce que vous vous tripotiez la zézette avant d’être sevré ? C’est vrai qu’on vous a élevé uniquement au phosphore pasteurisé ? Ou si on mettait de la cervelle en poudre dans votre biberon ? Quand vous calcez une sœur, votre moi second prendrait pas de la gîte, par hasard ? » Tel que je vous l’annonce.
Alors vous me voyez débouler avec un panier de truffes au bras ? Pour le coup, mon abondance me cisaille. Les v’là à faire le fin bec. Les dégoûtés ! « Dites, c’est pas de la truffe surchoix, ça ! Elle a le goût de la merde ! Vous vous laissez aller… » Moi, pas si tronche, je parsème seulement. Sans compter que, n’en déplaise à La Mazière, à Max et à d’autres grosses maîtresses-queues de la capitale, c’est pas bon, une truffe toute seule ! Ça un goût de pneu tubless moisi. Même en sauce ! Ça n’a qu’une chose pour soi : ça coûte cher. Là, je conviens. C’est gros comme une burne de sous-lieutenant de cavalerie et t’en as tout de suite pour trois quatre sacotins ! Le prix te neutralise. Non seulement faut que tu te fasses tarter à bouffer ce truc affreux, mais de plus tu te dois de clamer ton admiration ! L’intensité de tes délices ! Tu te mets les muqueuses à plat. Tu transcendantes tes papilles ! Chiasse de truffe !
La truffe nous berlure, les gars.
Voulez-vous que je vous dise ? C’est de la cochonnerie !
Assez de digressions ! En fin de livre, j’ai tort. Y en a qui sont déjà partis, vous dites ? Bon vent !
Rien ne bouge dans cette maison souterraine. Alors au travail, mon commissaire bien-aimé !
Je constate que toutes les portes sont munies d’un verrou extérieur, comme des portes de cellules pénitencières. Assez discret, le verrou. Mais efficace. Autre similitude avec des lourdes de prison, celles-ci comportant un judas. Un petit trou rond à lentille. Un œil optique, comme l’appellent les quincailliers pléonastes.
J’approche ma prunelle du premier. J’avise, grâce au grand angulaire, la pièce dans son entier. Elle n’a rien d’une geôle, je vous le garantis[41].
41
Je n'ai pas le temps de signer le bon de garantie maintenant, je vous l'enverrai par la poste (ou par l'imposte).