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C’est d’un luxe ! Mais alors d’un luxe vraiment luxuriant. Ces murs tapissés de satin mauve ! Ces meubles Louis XVI d’époque (de la nôtre). Ces canapés dont on sent la mœlleur. Ces tableaux de maîtres et de contremaîtres. Ces tapis en couches successives, comme un schéma représentant l’écorce terrestre. Fabuleux, je vous le réitère.

Je pousse mentalement un cri de surprise.

Pas tellement à cause du confort suprême de cette pièce, mais principalement à cause de son occupant. Vous savez de qui il s’agit ? Vous donnez votre langue au chat ? Eh ben vous avez raison, parce que je n’en voudrais pas pour un empire, chargée comme elle est !

Ici, sous mes yeux, à trois mètres, assis dans un fauteuil et lisant un ouvrage d’art, j’aperçois l’émir Shâ-Pômhou, l’ancien maître du Kâtchâdeil, dont on a annoncé la mort tragique, voici un an, dans les ruines de Chachédubrakmâr sa capitale.

Ah, vraiment, les bras m’en tombent, comme disait un cul-de-jatte en admiration devant un tronc. J’aurais imaginé n’importe quoi, et même autre chose, mais pas ça ! Shâ-Pômhou en personne ! A Nogent ! Vous l’auriez cru, vous ? Regardez-moi bien dans les yeux malgré votre strabisme, et répondez. C’est une idée qui vous serait venue ?

Ah bon !

Mais bougez pas, comme disait Alfred Velpeau à une dame blessée qui le faisait bander, je ne suis qu’au bout de l’extrémité du commencement de mes surprises.

Je passe à une seconde porte. Je mate.

Retenez-moi, les gars ! Le second pensionnaire de Just Huncoudanlproz, c’est Mik Ballhole, le diplomate anglais dont on a signalé la disparition le mois dernier et qu’on croyait parti à l’Est. A l’est d’ (Anthony) Eden. Troisième chambre, troisième stupeur : j’y débusque un vieillard chenu en qui j’ai toutes les peines du monde de reconnaître Anatole Corallien, le fameux banquier qui tua le grand-père de sa maîtresse, après avoir abusé de lui. On se souvient que le brasseur de fric s’enfuit, son forfait commis. On trouva trace de son passage en Suisse, puis aux Nouvelles-Zébrides après quoi, fini, plus rien. L’homme s’était escamoté.

La quatrième porte ? Je vous parie votre paie du mois prochain contre ma paie de l’année dernière que vous ne devinez pas. Si, si, allez-y, virgulez des noms pour voir. Qui donc ? Charles qui ?… Vous êtes dingue ! Je veux bien qu’on a expédié l’emboîtement, mais tout de même ! Ah vous, alors, rien ne vous épate ! On t’en dit gros comme le petit doigt et te faut le bras ! Non, cette fois, mes très chers, c’est Rebecca que je dégauchis, mignonnette toute pleine dans une chambrette à fleurs meublée Mimi Pinçon.

Elle dort ! Ce qui me porte à conclure que ces chambres sont puissamment insonorisées car personne ne semble avoir perçu (ni aperçu) mes tout récents gueulements.

La cinquième chambre recèle Mme César Pinaud, en pleine dorme également.

Du coup, un vif soulagement me ramone les angoisses. Ces deux femmes sont vivantes ! Dieu soit vendu ! Mézigue, à travers cette hécatombe, je pessimistais vilain à leur sujet, je peux vous le confier à présent, ne le perdez pas. Je me disais que dans ce petit Verdun (que désormais, dans les annales policières on appelle « La nuit Sauvage ») elles pouvaient y laisser leur vie, les deux chéries. Surtout la Finaude ! Enfin bref, les v’là récupérées, saines et oises. C’est l’essentiel.

Je pourrais les libérer immediatly, mais je retarde l’instant, soucieux d’achever ma besogne et désireux de la finir en ayant les coudées franches. Les gonzesses, surtout quand on vient de les délivrer, sont d’une encombrance noire ! Et je cause ! Et j’explique ! Je questionne ! J’agrippe ! Il a de l’urgent sur le tapis, San-A., mes biquettes et biquets. Vous croyez pas qu’il va s’enrayer l’élan à bajaffer, non ! C’est pas dans sa manière ! D’accord, par moments il enlise l’action au profit de ses déblocages ; mais jamais il papote !

Ce que je veux ardemment, c’est mettre la main sur le gros asthmatique et sur Huncoudanlproz. Où sont-ils, ces deux bougres !

Sixième chambre ? Vide ! La septième porte ne comporte pas de judas. Son verrou n’étant pas mis, j’actionne la béquille du loquet. En vingt ! C’est bouclé de l’autre côté.

J’ai un chargeur de rechange (et de recharge) dans le tiroir arrière gauche de mon futal. M’est donc possible d’utiliser les dernières prunes du magasin en cours.

Rrrrrrran an an an !

Salve[42] salve salvatrice !

Je vous recommande mon Tu-tues pour quand c’est que vous avez oublié votre clé ou bien que votre petit dernier s’est bouclé dans les vouatères et peut plus rouvrir. Une giclée dans la serrure avec ma burette suédoise et vous obtenez votre visa !

Pas de question : la serrure fait comme Otto, elle dit d’ac !

Je me doutais un tant soit chouille que j’allais pas débarquer dans une pièce comme les autres, mais bien sur un nouveau couloir. Il est en forme de galerie de mine. Cette fois, changement à vue… De simples étais de bois soutiennent une voûte glaiseuse et suintante. De l’eau en flaques sur un sol bourbeux… Le tout n’est éclairé que par une loupiote électrique très faiblarde. Je me mets à patauger dans la mouscaille tout en rechargeant mon feu.

Je réalise parfaitement le circuit. La propriété de Huncoudanlproz communique par ce souterrain avec la maison voisine. En cas de coup dur (dont acte) les occupants peuvent s’évacuer par là. Je vous parie, madame, ce à quoi vous pensez contre ce que je souhaite, qu’ils ont gerbé, mes deux lascars. Ces quelques minutes de battement leur ont suffi. Je les imagine dans une bagnole rugissante, fonçant vers une autre retraite ! J’enrage ! J’endésespoire !

Ma galopade fait un bruit sinistre dans le conduit fangeux. Glaouf ! Glaouf ! Je dois parcourir de la sorte une vingt-cinquaine de mètres avant que d’atteindre un escadrin de pierre.

Oh ! Oh ! Au haut, une porte est demeurée ouverte. Je ressors dans une cave toute semblable à celle de l’autre baraque. Le coup du tonneau ! Quand il trouve un gadget futé, Just Huncoudanlproz, il l’exploite jusqu’au bout, décidément.

On lit la précipitation des fuyards aux portes qu’ils ont négligé de refermer une fois franchi le souterrain. Leur trajet est clairement balisé. Suffit de suivre. D’ailleurs les traces de leurs paturons bourbeux se lisent sur le sol.

Je monte un nouvel escalier, déboule dans un vestibule, traverse une cuisine puant le renfermé, où des araignées pénélopent à tout-va. Une porte basse fait communiquer la cuisine en question avec le garage.

Cette fois je stoppe. A cause du bruit.

D’un double bruit dont l’un complète l’autre. Il s’agit d’un faible glouglou et d’une faible plainte. Les deux se superposent. Je m’accagnarde contre le mur et risque un œil dans le local.

La première chose que je vois est un homme, si j’ose jargonner ainsi.

Un homme mourant d’une bien sale mort.

L’individu défavorisé par le sort n’est autre que le gros mec qui nous a reçus. Il est pratiquement éventré, ce malheureux. Sortez, mesdames et mes demoiselles, je vais décrire ça à messieurs les hommes. Eux ont fait la guerre ou la feront, les sanguinoleries ne leur font donc pas peur. D’autant que je serai bref. Le gros fuyard a été abattu d’un coup de hache. L’horrible provient de la façon dont il l’a effacé. Selon moi, quelqu’un attendait derrière la porte le déboulé des fugitifs pour les assaisonner. L’asthmatique qui arrivait en tête a vu le bourreau avec sa hache levée, prêt à frapper, il a eu un réflexe pour rejeter sa tête en arrière. Son geste a été suffisant pour épargner celle-ci, mais non pour mettre son buste hors d’atteinte.

Si bien que la cognée l’a cueilli au thorax. Il est fendu du cou au nombril ! Ce gâchis ! Il lui sort des trucs effrayants, mes pauvrets. En couleurs naturelles et qui malodorent. Des trucs qui fument ! Enfin, on vous a déjà montré tout ça au cinéma de votre quartier. Toujours est-il que ça ne va pas du tout pour lui. Il a davantage de chances de devenir chevalier dans l’ordre du mérite que centenaire.

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Note pour l’imprimeur : Faut m’écrire le premier « salve » en italique parce que c’est du latin ! A bon an tendeur, salve !