Ma curiosité domptant ma répulsion, je me penche un peu plus. Boû lou lou ! La fête continue ! Y a matinée récréative décidément !
Deux hommes en imperméable, dont l’un est d’un blond presque blanc, en attachent un troisième à l’arrière d’une voiture automobile. C’est la manière qui importe. Ils ont placé un jerrican derrière le véhicule. Le troisième homme (il est en robe de chambre, comme une vulgaire patate) est allongé à plat ventre sur le sol, sa poitrine reposant contre le bidon de manière à le surélever.
Les deux zigs l’ont obligé d’ouvrir toute grande sa bouche et lui ont enfilé le pot d’échappement de la tire dans le bec. Plus justement, c’est Just qu’ils ont adapté au tuyau. Vous me filez le dur ? Merci. Huncoudanlproz, car je ne doute pas un instant qu’il s’agisse de lui, a les mains et les bras entravés. De plus, ses liens passent autour du pare-chocs de la chignole.
Le blond-blanc va se mettre au volant. Il est terriblement calme. Un robot dont les gestes seraient souples et coulés. Le v’là qui actionne le démarreur.
Se produit alors le plouf caractéristique du moteur. L’homme ligoté a un soubresaut. Il suffoque. Téter du gaz avec un chalumeau de ce diamètre est très mauvais pour les bronches, beaucoup de médecins spécialisés dans les voies respiratoires vous le confirmeront.
Le blond coupe la sauce et réapparaît. Son pote, un quinquagénaire grisonnant, tire leur victime en arrière pour le détuber. Il le fait basculer sur le dos. Le tète-pot est un type d’une petite quarantaine, joli garçon, avec des traits aristote-cratiques. Des yeux bleus injectés de sang pour l’instant et une bouche béante, toute noire. Il n’arrive pas à reprendre son souffle. Tel qu’il est parti, il va tousser ses poumons, sa rate, son gésier et trois mètres cinquante de durite.
— On recommence ? lui demande l’homme aux tifs gris.
Le pauvre diable dénègue du chef sans cesser d’expectorer.
— Alors rendez nous la tête ! dit son tourmenteur.
— Allons, messieurs, c’est vous qui perdez la vôtre ! lance le glorieux San-Antonio en s’avançant.
CHAPITRE IX
PATATRAC !
Tu fais une entrée fortuite en claironnant le mot « messieurs » et tu prends un avantage immédiat. Voyez Ruy Blas, par exemple. « Bon appétit, messieurs ! » Comment que ça les a confondus, les ministres z’intègres. Comment qu’il a pu placer pour le coup sa grande tirade sur l’aigle à Charles Quint transformé en poulaga recette Henri IV !
Dans mon bigntz, y a qu’un inconvénient.
Et il est majeur et vacciné, l’inconvénient.
L’un de mes « messieurs » ne comprend pas le franche-caille si bien que ma réplique spadassine le laisse froid comme un sorbet sibérien. Tout ce qu’il pige, le cher garçon, c’est que je les braque. Alors, comme il a des réflexes et l’art de les utiliser, il se jette derrière la bagnole dont le pauvre Huncoudanlproz tétait les gaz avec une paille, et il dégaine à son tour.
Allons, bon. On va droit au siège, mes gueux ! Fort Alamo version banlieue ! Cette nuit sanglante n’est donc pas encore terminée ? Pourtant il fait complètement jour maintenant ! C’est pour quelle heure, le cessez-le-feu ?
J’interpelle le quinquagénaire (je le qualifie ainsi, ignorant son nom et ayant la flemme de lui chercher un pseudonyme).
— Puisque tu parles français, dis à ton pote de déposer les armes. Le quartier est cerné et il est inutile d’aggraver la situation. A partir de tout de suite, c’est du matuche que vous pouvez démolir, et la viande de flic, sur pied, coûte une fortune !
Ce connard, tout ce qu’il fait pour m’obtempérer, c’est de lever à demi les mains : il n’engage que lui ! Là-dessus, deux balles me décoiffent. J’ai juste le temps de me baisser. Il a l’air décidé à continuer sa série de malheurs, le blondinet.
Moi, vous me connaissez ? Je dispose toujours d’une foule d’atouts dans les cas difficiles. Le principal étant la chance !
En m’accagnardant, je constate que deux boutons blancs sont fichés dans le mur, à portée de ma main. L’un commande l’ouverture automatique de la porte du garage, l’autre l’électricité. D’un geste vif je les actionne simultanément. Une solide pénombre engloutit les contours du local. Elle va en s’accentuant vu que le vaste panneau de la lourde est en train de basculer lentement. Toujours accroupi, je vais m’embusquer de l’autre côté de la bagnole. Le grand rectangle blafard de l’ouverture se rétrécit comme certains écrans de cinoche s’adaptant aux différents diamètres des films projetés. J’attends. Le vantail continue de se rabattre, avec un léger zonzon électrique. Il n’est plus qu’à un mètre du sol lorsque le blond joue son va-tout pour se tirer de ce piège à rat. Il exécute un admirable roulé-boulé.
Il est futé car, pour sortir, il a attendu que la porte soit presque fermée de manière à ce qu’elle protège sa fuite au maxi. Je défouraille dans sa direction. Trois prunes dont la dernière sonne clair contre le cadre métallique de la porte. L’ai-je touché ? Mystère !
A pas de loup je reviens vers mon poste précédent afin de réactionner la lumière et la porte.
A peine ai-je réappuyé sur les boutons qu’une pétarade grondante fait vibrer le garage.
Le grisonnant a mis notre rodéo à profit pour se couler dans l’auto. Il démarre sèchement. Je n’ai pas le temps de me précipiter. La guindé a répondu au quart de tour. Il embraye sec, met la sauce et percute en force la porte qui commençait de s’ouvrir.
« Arrrrhhan ! » ça produit, comme bruit.
Presque « hareng ». C’est drôle, non ? Pourtant, habituellement, un hareng, c’est silencieux. Le délicat moteur d’ouverture est bousculé dans ses engrenages. Un moteur, faut lui obéir, jamais le braver. Dès que tu le prends à contre-piston, il te dit merde et se met en berne. Çui-là pousse un juron et devient plus flasque que la zézette d’un membre de l’institut bourré de diabète. La porte folle se relève d’un coup. La tire, une forte Mercedes de gros P.-D.G. (ou de vieux M. A.C. ou de riche B.O.F.) fonce dans une allée goudronnée.
Elle embarde légèrement en escaladant le blond étalé sur son passage (bravo, San-Antonio, ton premier prix de tir, tu ne l’avais pas volé).
Vous materiez ce circus, mes pauvres potes !
Quel gâchis !
Parce que le cher Huncoudanlproz est toujours attaché au pare-chocs arrière.
Les chocs, il les pare pas du tout ! Ce sont eux au contraire qui ne le désemparent pas ! Bling ! Blong ! Bloug ! Pouf ! Tiaf ! Zim ! Boumi !
Le bougre tressaute, cogne, heurte, frappe. Il hurle ! Il agonit ! Il agonise ! Je m’élance, le feu au poing.
Je vise soigneusement la lunette arrière. Vite, San-A. ! Vite !
Je presse la détente. Et couic ! Pour la première fois de sa carrière, cet effronté de Tu-Tues s’enraye ! J’ai trop défouraillé à bout portant dans des portes. Il a dû se fausser ou quelque chose comme ça. Toujours est-il qu’il renonce. Ah, l’ordure ! Ah, le mesquin déserteur ! Vous vous rendez compte ! LE revolver de San-Antonio qui se croise les bras ! Je te le vas révoquer d’urgence, ce voyou passé à l’ennemi ! Il déshonore mes poches ! D’un geste rageur je l’expédie à la campagne dans les bégonias du jardin. Après quoi, je me fous à courir derrière la bagnole. Elle a pris de la vitesse. Faut vous dire qu’il n’y a pas de portail à cette seconde propriété. L’est déjà sur le quai du général Foudroyet, la Mère Cédés.