Je questionne Rebecca.
Et Rebecca confirme.
Pourtant elle tique lorsque je fais état de « l’organisation ».
— Quelle organisation ? demande-t-elle.
— Sans charre, tu n’es pas au courant de la partie occulte de Néo-Promo ?
— Mais non…
Elle paraît franchement éberluée. Bon, passons. Il n’importe. Ça change quoi qu’elle sache ou non que cette maison sert de planque aux bannis illustres, aux grands traqués de ce monde ? Huncoudanlproz est à la tête d’un trafic peu banal. Il « escamote » ceux pour qui le monde est devenu trop petit ! L’émir, le diplomate, le banquier… Il leur assure ce bien inestimable entre tous pour un homme traqué : du temps. Plus la vie douillette… Le rêve, quoi !
Mais à un certain moment, le truc s’est fissuré. Il a craqué.
J’arrive pas à piger l’intervention de Kelloustik dans ce bigntz. La tête tranchée ! Thérèse appelant chez le bijoutier de Saint-Franc-la-Père… Et le pourri de Manigance observant les allées et venues nocturnes de la jeune femme. Mes questions demeurent sans réponse, dès lors que Rebecca ignore ce dont je parle.
Elle n’a été qu’un épisode de l’affaire.
Un épisode somme toute banal, mais qui, pourtant m’a permis de mettre le tarin dans tout ça !
Alors ?
CHAPITRE X
TIAOUFE !
— Vous permettez que je le tienne un peu ? demande soudain le Vieux, au milieu de la conversation. Il est amusant ce petit bonhomme. Qu’allez-vous en faire ? Le porter à l’Assistance Publique ?
Je lui refile le mouflinge. Il s’en saisit avec une gaucherie précautionneuse. Ça me rappelle, dans une église de notre quartier, jadis, une statue de saint Joseph tenant le petit Jésus. Le Joseph avait l’air emprunté et attendri et semblait se dire : « Il est pas de moi, mais je l’aime bien quand même ! »
— A poulou gnou ! attaque le Dabe ! Gouzi vala glagla pu pu ! Achegne gnere ! Bizou goulou !
— Si la chose est possible, j’aimerais bien l’emmener à ma mère, en attendant qu’on ait récupéré sa famille, s’il en a une, toutefois ! murmuré-je. Ce qu’elle serait heureuse, M’man, avec un petit monstre comme ça à soigner…
— Je comprends, dit le Vioque. C’est un rayon de soleil.
Il se renfrogne et me rend Antoine, vu que le « rayon de soleil » vient de pisser sur son bleu croisé.
— Nous disions donc, reprend-il sans plus s’occuper du bébé…
— Qu’on vient d’appréhender mon fuyard à la Mercedes, rembranché-je. Avec le colis qu’il traînait, il n’a pas dû aller loin.
— Effectivement, il s’est fait coiffer au pont de Nogent par une escouade de garçons bouchers se rendant à La Villette, ô ironie !
— Huncoudanlproz est mort ?
— Aussi surprenant que cela paraisse, non. Il ressemble à une arête de sole, mais il vit encore. Peut-être parviendra-t-on à le sauver, ou au moins à lui permettre de parler.
— Et le type aux cheveux gris ?
— On est en train de lui faire subir un premier interrogatoire.
Le boss appuie sur un contacteur.
— Mollard ? demande-t-il…
Un hurlement lui répond, légèrement précédé d’un bruit de gnon.
— Mouais ? halète une voix essoufflée.
Puis, Mollard réalise la qualité du demandeur et déclare :
— A vos ordres, m’sieur le directeur.
— Du nouveau ?
— Ça vient, monsieur le directeur. Ça vient… Et quand ça vient pas on y fait venir. Ainsi, la tête coupée est celle de…
— Akel Fâtrah-Kwalha, l’ancien chef du parti Kontrebâs Hakord, coupé-je vivement.
Prélude à l’après-midi d’un interphone ! Le nasillement métallo-clapoteur de l’appareil cesse un instant, puis reprend :
— C’est San-Antonio qui cause ?
— Lui-même, fils. Tout à l’heure, en attendant d’être reçu par le Boss, j’ai eu un trait de lumière. Je me suis rappelé avoir vu cette tête-là quelque part.
— Les services secrets d’El Sbhârchézamer ont fait appel à l’organisation secrète Sisterhand à laquelle appartient notre client ici présent. Ordre de retrouver coûte que coûte Akel Fâtrah-Kwalha, de le buter et de fournir, au moment du règlement, la preuve absolue de sa mort.
— Ce qui fut fait, aigrise le Vieux. Quelle meilleure preuve et moins encombrante que la tête de l’intéressé.
Je lance à Mollard :
— Kelloustik travaillait pour la Sisterhand Agency !
— Paraît. Mais il a voulu freiner les mecs. Il leur a subtilisé la tête habilement et s’est mis en tête (si j’ose dire) de la leur revendre au poids de l’or. Ce n’est qu’au moment où il a posé ses conditions qu’ils ont su que c’était lui le ravisseur… Y a eu tout un cirque triangulaire autour de cette tronche… Les gars de la Sisterhand, la bande à Huncoudanlproz, Kelloustik et sa bonne femme…
Et sa bonne femme !
Je mordille les cheveux d’Antoine. Ils sont fins et blonds. Ils ont un goût de pain chaud.
— T’avais des drôles de parents, camarade, lui chuchoté-je dans les manettes. Va falloir que ceux qui s’occuperont de toi désormais t’élèvent au cordeau pour rattraper ta fâcheuse hérédité, mon pauvre canard.
— Dès que vous en saurez davantage, appelez ! ordonne le Vioque avant d’interrompre le contact.
L’appareil redevient une chose muette, compacte, inerte. Un bloc de métal gris dans les flancs duquel, cependant, germent de tortueux secrets.
— Quel amphigouri, n’est-ce pas, monsieur le directeur ? Cette guerre autour d’une tête coupée. La Sisterhand qui découvre la singulière pension de famille d’Huncoudanlproz. Ce dernier qui veut récupérer le sanglant trophée pour préserver la réputation occulte de son trafic ! Et puis le couple des Kelloustik venu brouiller les cartes… Sans parler du neveu dévoyé qui entre dans le circuit comme un chien fou, casse la cabane et flanque la pagaye d’un bord à l’autre de l’affaire !
Le Boss hoche la tête.
— Vous devriez emmener ce marmot dans un endroit tranquille, San-Antonio, puisque vous l’assumez en attendant que sa situation soit éclaircie. J’ai l’impression qu’il a vécu sans le savoir la plus sale nuit de son existence…
Il est réveillé, Antoine. C’est une nature, car il se tient peinard et virgule des sourires confiants à la ronde. Ce jour nouveau lui botte. Faut dire qu’il y a plein de soleil et que pour une fois, le ciel de Paris est bleu comme sur un chromo italien.
— Je vais rentrer, monsieur le directeur.
— Et profitez-en pour piquer un bon somme, vous avez une tête épouvantable.
— Parce que je tombe de fatigue.
Etourdiment je questionne :
— Vous avez donné des ordres pour qu’on fasse un doigt de chasse à courre au fils Naidisse ? M’est avis qu’il aura des choses intéressantes à nous dire, car bien des points restent obscurs dans cette affaire.
— Lesquels, par exemple ? demande négligemment le carbonisé du mamelon en adressant une mimique bébête au bébé.
— Ainsi, je ne comprends pas ce que Kelloustik est allé faire chez nos deux bonnes femmes du quai d’Orléans » et encore moins la raison pour laquelle Thérèse, sa femme, a téléphoné cette nuit chez les bijoutiers.
Le Dabe est marrant en grand-père gâteau. Le v’là qui se cloque son tampon-buvard sur le sommet de la coupole, puis il s’enfile l’extrémité de chaque pouce dans les portugaises pour se confectionner des oreilles d’éléphant.