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Il avait l'air agacé.

— Vous êtes toujours comme ça, à douter de vous ? C'est insupportable, à la fin. Regardez-vous.

Vous n'avez pas le droit de vous traiter si mal.

J'ai ri.

— Me regarder ? Mais oui, je me vois ! Je vois une idiote qui n'a pas de couilles. Ma sœur, elle y serait allée tout de suite, elle aurait tout dit, d'un coup, à cette bonne femme. Elle lui aurait tout balancé, elle lui aurait tout sorti. Elle n'en aurait rien eu à foutre de son sourire et de sa gentillesse. Elle aurait foncé. Et moi…

Les larmes ont brouillé ma vision. J'ai frotté mes yeux, j'ai senti que les fards s'étalaient sous mes doigts.

— Votre beau maquillage.

J'ai hoqueté, malgré moi.

— Vous avez fini votre petit numéro ?

Je me suis redressée, j'ai hoché la tête.

— Écoutez-moi. Vous allez repartir pour Paris, OK ? Aujourd'hui, dès que possible. Je vous appellerai pour vous tenir au courant de l'affaire. Vous pouvez compter sur moi.

Sa main est venue sur la mienne. Une large main brune. Des poils blonds.

— On s'en fout de votre sœur. Restez comme vous êtes.

Sa peau était chaude. Lisse.

J'ai dit :

— Vous allez retourner à Hossegor ?

— Oui, c'est à une demi-heure par autoroute. Je vous ramène chez votre amie ?

Candida n'habitait pas loin. Mais il y avait la côte à monter, et je me sentais vidée, tout à coup.

— Je n'ai pas de casque.

Il a ri.

— Vous oubliez que vous êtes avec un flic.

Pour grimper derrière lui sur la moto, j'ai dû retrousser ma jupe sur mes jambes. Derrière la visière, j'ai vu les yeux clairs parcourir ma peau nue. Un petit frisson m'a traversée. Un petit frisson que je n'avais pas senti depuis longtemps. J'ai dû mettre les bras autour de sa taille pour ne pas chuter. Son odeur m'était familière. Tabac blond, un effluve de lessive, quelque chose de frais. Son corps était plus petit mais plus costaud, plus puissant que celui d'Andrew. J'étais bien, derrière lui. Je n'étais pas montée sur une moto, derrière un homme, depuis des années. Depuis avant mon mariage. C'était intime comme position, ces cuisses ouvertes, mon sexe plaqué sur ses fesses, ce corps à corps. Tout à coup, alors qu'il prenait de la vitesse en montant la côte, je me suis dit que j'aurais voulu rouler longtemps avec lui, rouler vers le sud, vers l'Espagne, partir, tout oublier, faire une folie, quitter tout, mon mari, mon fils dans le coma, ma fille, ma sœur, mon frère, les laisser derrière moi, filer, fuir, droit devant, avec ce type dont l'odeur me plaisait, dont les yeux clairs me plaisaient, ce flic dont je ne savais rien, à part qu'il devait me trouver émouvante, courageuse, opiniâtre.

Devant la résidence de Candida, il a enlevé son casque. Il était toujours assis sur sa moto, moi debout devant lui. Nous n'avons pas trouvé les mots. Juste la rencontre des yeux, et quelques sourires. J'aurais pu marmonner merci, mais cela n'est pas venu. Je ne savais pas comment lui dire au revoir. Lui tendre la main, lui faire un signe amical en me retournant ? C'est lui qui a posé sa paume derrière ma nuque, qui m'a tirée vers lui, qui m'a embrassée sur le coin de la bouche, rapidement. Le frisson a fait un zigzag fou dans mon ventre.

Dans le miroir de l'ascenseur, j'ai vu une femme, une belle femme aux yeux cerclés de noir, au maquillage maculé. Malgré moi j'ai gloussé, comme une adolescente prise en faute.

J'entendais des bruits, des voix qui venaient de la cuisine. Le rire cristallin de ma fille, celui plus grave d'Arabella. Le timbre musical de Candida. Elles devaient déjeuner. Silencieusement, je suis allée dans la salle de bains, puis j'ai rapidement ôté le maquillage d'Eva Marville. Impression de revivre, de respirer enfin. Et il y avait, au coin de mes lèvres, la sensation chaude et moite de la bouche de Laurent, même si elle s'était posée là une fraction de seconde. Dans la chambre, je me suis allongée sur le lit, le dos raide. Ma nuit sans sommeil se faisait sentir. J'ai fermé les yeux et pendant un laps de temps, j'ai dû m'assoupir.

Mon portable était bondé de messages, de textos. Mes amies, qui voulaient des nouvelles, qui ne comprenaient pas où j'étais. Mon frère qui s'inquiétait. Ma sœur qui insistait pour que je la rappelle. Mon père, toujours aussi pincé. Et puis une offre de travail, un texte en urgence, pour une agence de communication. Pas de nouvelles d'Andrew. J'ai essayé de le joindre, sans succès. Puis j'ai appelé l'hôpital, pour Malcolm. État stationnaire. J'ai fini par éteindre le téléphone, je l'ai posé sur la table de nuit. Je n'avais pas envie de parler à qui que ce soit.

Je ne savais pas quoi dire à ma belle-mère, comment lui avouer ma défaite. Lui avouer qu'on était venues ici pour rien. J'avais peur de lui parler. Honte aussi. Je l'avais entraînée jusqu'ici. Et je n'avais même pas été capable d'agir. Il ne me restait qu'à prendre les billets, remplir les valises, et partir. C'était ce que voulait Laurent. Pas de conneries, Justine. M'embrasser, ce n'était pas une connerie, peut-être ? Pourquoi m'embrasser ? Qu'aurait-il voulu que je fiasse ? Que je l'embrasse en retour ? Que j'aille faire l'amour avec lui quelque part, dans un petit hôtel voisin, une petite chambre aux volets clos, le lit frais, les peaux nues, un corps inconnu sous mes doigts ? Je n'avais jamais trompé Andrew. Oui, j'aurais pu. Il y avait eu quelques tentations. Un journaliste croisé dans un cocktail, chez un éditeur. Un avocat rencontré dans un avion. Et d'autres encore, oubliés. Mais j'avais toujours été retenue, bridée, même lorsque j'avais su qu'il me trompait, lui. J'aurais pu agir par vengeance, faire comme lui, lui rendre la pareille. Mais non, je m'étais terrée dans ma douleur, dans mon silence. Comme d'habitude.

Arabella est entrée dans ma chambre, avec un plateau. Du Lapsang Souchong fumant et des scones. Du beurre et un petit pot de Marmite, cette étrange mixture noirâtre, amère, adorée des Anglais. J'avais appris à l'apprécier, fait exceptionnel pour une Française. Elle s'est assise au bord du lit, sans un mot. Elle attendait. Je me suis appuyée sur un coude, j'ai pris du thé, un scone que j'ai tartiné d'une pointe de Marmite. J'ai affronté le regard gris-bleu, les paupières tombantes à la Charlotte Rampling.

Elle a hoché la tête.

— Vous voulez faire quoi, maintenant, Djoustine ?

— La police arrivera chez « elle » lundi matin. Le flic en charge de l'enquête me l'a confirmé.

Silence, juste ses yeux sur moi. Encore une différence entre les Anglais et nous. Les Anglais n'ont pas besoin de parler. Les Français parlent trop. Eux pas assez, peut-être. Mais ça, j'en avais l'habitude.

— Je n'ai pas dit grand-chose à Eva Marville, vous savez. C'était compliqué. Je n'ai pas pu.

Hochement de sa tête. Elle ne me jugeait pas. Elle m'écoutait, elle me soutenait, à sa façon, dans son silence. Elle s'est levée, a défripé sa jupe sur ses longues cuisses fines. Un sourire, empreint de tendresse. Un petit mordillement de ses lèvres, pour me montrer qu'elle était tout de même inquiète, qu'elle était là, si je voulais en parler. Puis elle est partie.

C'est quand elle a refermé la porte, doucement, que j'ai compris ce qu'il me restait à faire.

Tout à coup, ce fut très clair dans ma tête.

J'ai attendu que le phare prenne le pas sur la nuit qui tombait, qu'il transperce l'obscurité de son faisceau jaune. Puis j'ai repris le chemin de la Villa Etche Tikki. J'ai laissé un mot sur la table de la cuisine, j'ai écrit que je reviendrais rapidement. Georgia dormait. Candida et Arabella parlaient à voix basse dans le salon. Elles ne m'ont pas entendue sortir, j'ai fait attention de ne pas claquer la porte.

Presque vingt-deux heures. Vers l'ouest, sur l'horizon, une partie du ciel était encore claire, mouchetée d'orange par le soleil qui venait de se coucher. À l'est, la nuit arrivait, immense, sombre et bleue, auréolée d'une humidité palpable.