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— Je me sens un peu ridicule d'avoir fait irruption chez vous comme ça.

Le grand sourire malicieux.

— Ce n'est pas grave, le film était nul.

— Je suis désolée. Pour votre mari aussi.

— L'important, c'est que vous retrouviez la personne qui a fait ça. La police travaille bien ?

J'ai pensé à Laurent, à tout ce qu'il avait fait pour moi, pour Malcolm.

— Oui, il y a un jeune flic dynamique. Il se donne du mal pour nous.

— La police va venir ici lundi matin ?

— Oui, le flic me l'a dit.

— Heureusement que j'ai gardé les billets pour Barcelone.

— Oui.

Silence.

— Vous pensiez vraiment que c'était moi ?

— J'étais persuadée que c'était vous. La plaque, la couleur de la voiture, la marque de la voiture, tout correspondait.

— Vous devez vous sentir découragée.

— Oui. Très. J'étais si sûre. Les témoins avaient même noté la couleur de vos cheveux.

Elle a haussé les sourcils.

— Mes cheveux ?

— Oui, les témoins ont vu une femme au volant, une blonde aux cheveux longs et bouclés, et un homme à sa droite.

Son visage s'est crispé. D'un seul coup.

Cela m'a surprise. Elle était blanche, soudain, terriblement blanche sous son hâle.

— Une blonde, aux cheveux longs et bouclés ?

— Oui. Comme les vôtres.

Elle ne bougeait plus. Ses yeux me fixaient, exorbités. Des yeux énormes, noirs.

— Les témoins ont vu ça ?

Sa voix était encore plus rauque que d'habitude.

— Oui.

Elle semblait suffoquer. Incapable de parler. Son regard m'impressionnait. Je n'osais pas lui demander ce qu'elle avait. Je ne savais pas quoi faire. La cigarette qu'elle tenait se consumait entre ses doigts. Une fine langue de cendre est tombée sur la moquette.

— Qu'avez-vous ? Que se passe-t-il ?

Mais elle ne me répondait pas. C'était comme si je n'étais plus là. J'ai pris la cigarette qui menaçait de finir sur la moquette, je l'ai éteinte dans le cendrier.

Eva Marville a enfoui son visage entre ses mains, s'est mise à gémir tout bas. Des gémissements de douleur. Comme ceux d'une bête mortellement blessée.

C'est à ce moment que le mari est entré.

— Il dort, enfin ! lança-t-il.

Il la vit, recroquevillée sur le canapé. Il s'est figé.

Je n'ai rien dit, saisie par cette scène singulière, cette épouse en larmes, et ce mari pétrifié. Je ne comprenais rien à ce qu'il se passait.

— Mais qu'est-ce que t'as ?

Elle hoquetait toujours, ses épaules rondes frémissaient.

Il m'a regardée.

— Qu'est-ce qu'elle a ?

J'ai esquissé un geste d'impuissance. Il s'est assis à côté d'elle. Il a voulu passer un bras autour de son cou, mais elle l'a repoussé avec une brutalité surprenante.

— Laisse-moi. Laisse-moi !

Il s'est impatienté, a soupiré.

— Qu'est-ce que t'as, dis ?

Je me suis sentie de trop. En même temps, j'étais fascinée par cette scène de ménage qui se tramait, même si j'en ignorais la cause. Elle a levé son visage, il était défait, bouffi, maculé de larmes.

— Il y avait une blonde au volant, Daniel. Une blonde aux longs cheveux bouclés. Des témoins l'ont vue.

Sa voix était cassée, éteinte.

— Oui, et alors ? a répondu le mari avec impertinence. Quel est le problème ? Tu n'étais pas à Paris, on le sait, tu étais à Barcelone avec le petit, tu l'as bien dit à la dame, hein ?

Elle s'est levée. Elle avait retrouvé ses gestes ronds, majestueux. Elle lui faisait face. J'ai remarqué qu'elle tremblait des pieds à la tête. Ses poings s'ouvraient et se fermaient spasmodiquement. Puis elle s'est penchée en avant, le visage contracté, la bouche ramassée, comme si elle voulait lui cracher dessus.

— Comment as-tu pu ? Comment as-tu pu ?

Elle a crié cette phrase plusieurs fois, avec la même voix éraillée, râpée. J'ai vu qu'il avait pâli, que ses yeux vitreux, mornes n'affrontaient pas son regard. Il était silencieux, transi.

J'ai tourné la tête, et j'ai vu que le petit garçon frisé s'était faufilé à l'intérieur de la pièce, à l'insu de ses parents. Il s'était assis à même le sol, comme il l'avait fait ce matin devant moi, et il se balançait d'avant en arrière, la tête enfouie entre les genoux.

Debout, Eva Marville bruissait de rage et de souffrance.

— Lisa. Tu étais avec Lisa.

Il secoua la tête, les lèvres blanches. Elle a surenchéri.

— Tu étais avec Lisa ! Lisa ! Lisa !

Sa voix n'était qu'un hurlement de douleur qui raclait mes oreilles.

Lisa. Ce prénom me disait quelque chose. Mais quoi ? J'étais certaine de l'avoir entendu récemment.

— Calme-toi, Eva !

Il s'est levé, lui a saisi le bras, fermement, comme on tente de raisonner un enfant turbulent.

— Tu as vu dans quel état tu te mets ?

Son accent le rendait presque comique.

Elle le repoussa encore une fois, durement.

— Lisa ! Lisa ! Tu étais avec Lisa. Dis-le. Avoue-le. Tu as attendu que je parte à Barcelone et vous avez pris ma voiture tous les deux, et vous êtes montés à Paris.

— Mais tu délires !

Je les observais, à la fois horrifiée et hypnotisée.

— Tu lui tournes autour depuis deux ans. Je l'ai bien vu, j'ai bien vu comment tu la regardes, depuis ce fameux été, tu penses que je suis aveugle, tu penses que je ne vois rien !

Le petit se balançait encore, en chantonnant à voix basse, les yeux fermés, comme en transe. Ses parents ne l'avaient toujours pas remarqué.

— Mais j'en ai rien à foutre de Lisa, qu'est-ce que tu racontes, tu inventes des trucs, tu as bu ou quoi ?

Elle s'est redressée, et jamais elle ne m'avait paru si grande, si menaçante, la jugulaire à vif, les mâchoires saillantes, le corps puissant.

— On va voir si j'ai bu. On va voir.

Elle se baissa, attrapa le téléphone sur la table basse. Pianota un numéro. Il la regardait, consterné.

— Lisa. Tu viens tout de suite. Non, tu ne discutes pas, j'ai à te parler, tu viens tout de suite. J'attends.

Elle raccrocha.

J'ai dit :

— Vous voulez que je parte ?

Ses yeux se posèrent sur moi, et j'ai eu la sensation qu'elle prenait tout à coup conscience de ma présence.

— Non. Vous restez. Vous voulez la vérité ? On va l'avoir. On va attendre Lisa. Elle sera là dans cinq minutes, elle habite en face.

Lisa. Je me souvenais maintenant. Quand le téléphone avait sonné. Pendant que j'étais ici, hier soir. Le répondeur s'était mis en marche. « C'est moi, c'est Lisa, y a quelqu'un ? » Une voix de jeune femme. Qui était-elle ? Ma curiosité me démangeait. Quel rapport avait-elle avec Eva Marville et son mari ?

Nous avons attendu dans le silence le plus absolu. Même le petit garçon était muet, il s'était caché derrière un fauteuil, on ne voyait que ses pieds nus.

Le mari était resté debout, il semblait déconfit, fébrile. Eva Marville fumait, stoïque, digne, sur le canapé.

La porte a claqué. Une voix.

— C'est moi !

Une femme est entrée. Toute jeune. J'ai d'abord cru voir Eva Marville avec vingt ans de moins. La même corpulence, la même haute taille. J'en ai eu le souffle coupé. C'était la jeune fille sur la photographie jaunie. Mais les yeux étaient clairs, d'un bleu singulier.

C'était sa fille. Lisa était sa fille.

— Alors ? Tu voulais quoi, maman ?

Elle m'a aperçue.

— Bonsoir, madame.

Un joli sourire, aussi joli que celui de sa mère.