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J’opine.

Bon, c’est donc moi qui dois « agir ».

Je considère mes paluches. Ce que je me sens misérable !

Ça sert tout de même à autre chose, des mains, non ?

Si tu leur fais accomplir n’importe quoi, au nom de n’importe qui, il ne te reste plus qu’à te foutre à poil et à aller vivre au sein de la forêt amazonienne. Faut redevenir aborigène, les gars. Se nourrir de viande vivante.

Je m’approche cependant de Moutch. Je le fixe désespérément, cet importun, cet homme en trop. Je cherche un objet qui serait mon auxiliaire, du genre contondant. Quelque chose qui entraînerait mon geste, qui le parachèverait. Les autres me dérobent leurs regards. Y compris le Gros. On ne perçoit même plus le bruit de leur respiration. Je me chope la tête à deux mains. Im-pos-sible !

Qui donc est allé pavaner que ce mot n’était pas français ? Tu parles !

Le commandant revient se pencher sur le dernier rescapé. C’est un type de conscience, ce lieutenant de corvette, ou de bateau-mouche, ou de tout ce que tu voudras, ce que c’est con, les précisions, ce qu’on se prend les pieds dedans, tonnerre de merde ! Toujours à vouloir en rajouter. Président de ceci et d’encore cela, chef de mes fesses et burnes et zob. Classe à la fin.

Alors il regarde Bézamé Moutch.

Je murmure, comme dans un songe :

— C’est lui, le pirate de l’air.

L’officier de narine[2] marque sa surprise. Il est breton, de mère lorraine. Dans ses veines, y a la droiture française, les traditions d’honneur qui firent jadis la gloire de notre pays, d’après ces branleurs d’historiens que je soupçonne fort d’en rajouter, parce quand que tu nous vois, peigne-culs comme on est aujourd’hui, tu te dis qu’il y avait sûrement du mal de fait à la base, non ?

— Oh ! oh ! s’écrie-t-il, car il a de la conversation, sortant de Naval Sup’, vraiment ?

Là se place un bigntz que je pourrais, sans sombrer dans l’excès, qualifier d’événement.

Bézamé Moutch déclare, juste après qu’il a rouvert les yeux :

— Oui, c’est moi.

Et puis il dit :

— J’ai lancé la grenade, mais je la croyais désamorcée. Je regrette, je voulais seulement détourner l’avion.

Et poum, the big surprise. Monsieur opère (à chaud) un spectaculaire renversement de situation. Je pige tout : il nous a entendus discutailler, mes compagnons et moi. Il a compris que la seule façon qu’il avait de conserver la vie sauve, c’était d’entrer dans notre jeu et d’accréditer notre version. Par cet aveu, il nous épargne d’avoir à ne pas l’épargner, you see, boy ?

L’officier de farine hèle ses matafs.

— Ligotez cet homme, dit-il, et ne le perdez pas des yeux un instant. Vous me répondez de sa personne.

VENDREDI DES CENDRES

Saint-Cloud 9 heures.

Dans des brouillards, le téléphone.

Dans des parfums de café frais et d’encaustique.

Dans des touffeurs douillettes de plumard que tu habites seul. Où tu as fait ton nid.

Dans des bruits familiers, rassurants, espacés. Ponctués de « Chuuuut, Toinet, Antoine dort ».

Mais non, Antoine ne dormait pas.

Pas en plein, pas pour de vrai.

Antoine mijotait dans sa propre chaleur. Il dérivait dans le courant (du nom de clerc, comme disait La Fontaine) de son bien-être.

Ne pensait à rien, Antoine. Savourait de confuses sensations. Fêtait les éternelles retrouvailles avec son logis.

Y avait M’man, partout dans la demeure. Le lointain zonzon de l’aspirateur. Et les cris jugulés de Toinet, ce petit misérable qui va aller à l’école à la rentrée prochaine, enfin ! C’est pas trop tôt, à toujours nous les briser avec ses joueries à la mords-moi l’œil. Qu’on se demande où il va chercher tout ça. Comme les gens me disent à moi, l’Antonio : « Mais où allez-vous chercher tout ça ? » Qu’y sont nœuds, mon Dieu, qu’y sont nœuds ! Pas besoin d’aller le chercher : ça vient tout seul. En trombe. Que je suis même obligé de trier, de refuser du monde. Complet pour aujourd’hui.

Alors, bon, je te disais en débutant ce vendredi, le bigophone, en plein dans mes torpeurs. Sa turlutance aigrelette. Le rêve de Félicie, ce serait qu’on se fasse poser un répondeur automatique pour lorsque je suis at home. J’enregistrerais un chouette texte, bien poli. Pour annoncer qu’il est absent, le Sana. Qu’on ne sait quand reviendra, t’à Pâques, perhaps, ou z’à la Trinité. Mais que le faites pas chier, inutile de carillonner, récitez votre message quand on vous donnera le « top ». Une minute de déconne, on vous autorise, pas une broquillette de plus !

Elle voudrait instamment, ma douce vieille. Ainsi, on n’aurait pas de menace directe. De temps à autre, je reprendrais la ligne, délicatos, avec précaution, comme on soulève le couvercle d’une marmite infernale. Du moins serais-je prêt aux chiotteries. Tandis que ces brusques lancées, toujours inopportunes et de vilain augure ! Elles nous tuent à petit feu. On y va à tous les coups de notre giclée d’adrénaline.

Quand ça tubillonne, quatre fois sur quatre, il s’agit du Vieux. Lui excepté, on est assez bien protégés, m’man et moi, somme toute. On a su créer le no man’s land (tiens, je suis porté sur l’angliche, ce morning !) autour de notre pavillon ; le soustraire aux envahisseurs intempestifs.

Et, naturellement, la voix de Pépère.

Il a déjà oublié sa joie de la veille, son exaltation reconnaissante. Il m’en veut d’avoir ramené Bézamé Moutch vivant.

— Vous connaissez la nouvelle ? Le Razdmoul réclame l’extradition de son diplomate. Toujours en vertu de ces archaïques statuts internationaux. Pour une fois, la France regimbe, alléguant que l’homme s’est livré à un acte de piraterie ayant entraîné la mort de…

Et il bavasse, bavasse…

— Franchement, San-Antonio, vous nous avez compliqué la vie en ramenant cet infect individu, alors que la plupart de ceux qui vous ont assisté sont morts dans la catastrophe, innocentes victimes…

— Monsieur le directeur, ne pourrait-il se suicider en prison ?

— Vous en parlez à votre aise ! Avec les matons qui sont tous communistes ou encore humanistes, ce qui est pire.

Félicie entre, portant mon complet de la veille remis à neuf. Il sent encore le repassage. Elle va l’accrocher silencieusement dans la penderie. Puis elle s’approche de mon lit et dépose sur mes genoux une petite corbeille d’osier en chuchotant : « Le contenu de tes poches. »

Des papiers détrempés par mon séjour dans l’eau, un étui de plastique, des objets de fouille, du fric, mes clés…

Elle hésite à m’embrasser, y renonce en voyant mon air furax et en détectant les éclats de voix du Dabe dans le combiné.

Je trifouille dans la corbeille, de ma main libre, l’autre soutenant contre mon tympan la vindicte du vieux forban.

Et j’y retrouve ces choses sorties des poches de Bézamé Moutch et que j’ai ramassées pendant la plongée de l’avion. Je les examine. Ça m’aide à supporter les criailleries du Tondu.

Il me les brise de plus en plus.

L’âge ne l’arrange pas, Achille. Il devient de plus en plus acerbe, comme disent les Croates. A croire qu’il en veut à l’humanité entière. Son caractère se raidit, quoi. Les hommes jeunes sont souples avec la queue dure ; les vieux sont raides avec la queue molle. C’est une constatation indéniable.

— Patron, l’interromps-je.

— Oui ?

Il a jappé son « oui ». Mon intervention l’intempeste. Il admet pas qu’on lui trouble le débit.

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2

Note pour le typo : laisse, c’est volontaire, d’ailleurs je vais en faire d’autres tout de suite après.

San-A.