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— C’est bien ce que je disais, bougonne l’exquise donzelle en se fourbissant le pubis. De toute manière je ne peux pas te recevoir, j’ai un copain.

— Plus on est de fous, plus on rit, assuré-je en la refoulant. Ne reste pas dans le courant d’air, chérie, tu vas prendre froid et les rhumes de chatte sont drôlement plus sévères que les rhumes de cerveau.

J’entre à mon tour et referme.

C’est très mignon, chez Isabelle. Pas grand, mais sympa et de bon ton. Un grand studio au dernier étage d’un immeuble cossu. Juste une minuscule entrée avec une kitchenette et une salle de bains (qu’on écrit S.d.B. sur les plans parce que le local est trop exigu pour contenir les trois mots en entier).

Le studio est joliment meublé. Les murs tendus de tissu saumon. Une moquette dans les tons chocolat, et des rideaux qui concilient les deux options précédentes. Son plumard-champ-de-manœuvres occupe le fond de la pièce. Il trône sur une espèce d’estrade car elle a le goût du faste, Isabelle, principalement au cours de ses débordements.

J’avise des fringues masculines soigneusement déposées sur un fauteuil. Le futal sur un accoudoir, la veste sur le dossier avec la chemise par-dessus. Le linge de corps sur le second accoudoir. La montre, le portefeuille, le stylo et les clés sur le velours bleu du siège.

Un homme politique, probable, car il sait ménager ses effets.

— Tu as un sacré culot, rouscaille ma compagne. Forcer l’intimité des gens, aux aurores…

En guise de réponse, je gravis les deux marches moquettées conduisant au pucier. Très gêné, et à poil sous les draps, un individu pas mal de sa personne, dans les trente-huit bougies, plutôt blond avec le regard clair et inquiet, me considère venir en déglutissant pour vérifier qu’il peut encore avaler sa salive. Il fait cadre supérieur. C’est le mec qui doit rouler derrière une plaque de cuivre à son nom posée au coin de son burlingue aux lignes dizaïgne.

— Navré de vous tirer des toiles, vieux, lui fais-je d’un ton glacé, mais il va falloir déguerpir séance tenante. Je vous accorde deux minutes pour aller faire pipi, vous laver les dents, vous raser, prendre un bain et réintégrer votre costume à rayures.

Là-dessus, d’un geste qu’il n’attend pas, je rabats le drap supérieur. Vite il croise les jambes pour me dérober son bigoudi verseur.

— Laissez tomber la pudeur, lui dis-je, malgré la discrétion de votre appareil reproductif, nous sommes entre hommes. C’est pas le tout, mais voilà déjà vingt secondes d’écoulées sur les deux minutes.

— Qui êtes-vous ? bégaie le pauvre garçon.

Je lui fourre ma brème tricolorisée sous le pif.

— Police ! Plus vous ferez vite pour disparaître, moins j’aurai le temps d’en apprendre sur votre compte.

Je chope sa main gauche et la présente à la lumière.

— Marié, hein ? Si je vous disais que je réprouve l’adultère ?

Bien entendu, cette scène se déroule sur fond de criaillerie, la gente Isabelle s’indignant de mes manières. Mais je passe outre comme s’il s’agissait d’une émission à la con dans le transistor. Le cadre supérieur se lève, hébété. Il balbutie des choses confusées, dans l’esprit de :

— Ça alors… Ecoutez… Vraiment je ne vois pas ce que… Si je pouvais me douter que…

Tout en clapotant il enfile son slip, puis son bénouze, ensuite sa chemise, après quoi sa veste et fourre sa cravate en vrac dans sa poche. Il a du mal à mettre ses targettes car il est nu-pieds.

— Avec vos chaussettes ce serait plus facile, assuré-je.

Et il passe ses chaussettes, en murmurant un léger « merci », sorti de sa bonne éducation comme un pet d’un cul de jument. Deux minutes après mon intrusion, nous sommes seuls, Isabelle et moi.

— Toi, tu me la copieras ! éclate-t-elle. Si tu crois que je vais me laisser grimper, après un affront pareil, tu te trompes. Quelle mentalité de flic ! Vous avez ça dans le sang, bordel ! Que vous soyez beau gosse et fringué par Lapidus ne change rien à votre essence profonde !

— Toi, tu es abonnée au Reader’s Digest, coupé-je. L’essence profonde figurait au dernier numéro, dans l’article sur l’intégration des aborigènes d’Amazonie dans la vie new-yorkaise. C’est pas le tout, tu connais la nouvelle ?

— Quelle nouvelle, le pape est encore mort ?

— Nous partons en voyage, toi et moi.

Elle se gratte la tignasse à s’en arracher le cuir chevelu.

— Quand ?

— D’ici quelques heures.

— T’es dingue, archidingue : je commence à répéter cet après-midi à la Beauté d’Eve, le nouveau cabaret de Montparnasse.

— Tu joues quoi ?

— Une statue du Parc aux Cerfs de Louis XV.

— Laisse-leur ta photo, ils s’arrangeront aussi bien avec.

— Grand con ! Mais elle bouge, cette statue.

— Les fesses ?

— Pas seulement : mais aussi les bras, les jambes…

— Alors tu fais bien de rendre ton rôle sinon tu irais droit à l’échec, ma chérie, car grâce à Dieu, tu ne sais pas bouger autre chose que le cul. Mais alors là, tu le bouges à la perfection. Tu as le cul le plus mobile de tous ceux avec lesquels j’ai eu des tête-à-tête. C’est pas un cul que tu promènes, mais un yo-yo ; que dis-je : un balancier ! Il est la main qui nettoie un pare-brise, un métronome, un poumon d’acier. Il semble respirer, ton cul, ma beauté. Il ensorcelle. Il rit, il cligne de l’œil. Il promet et il tient. Il se propose et se dérobe. Il reçoit et donne simultanément. C’est un fruit qu’on prend à deux mains. Un but. Une auberge espagnole. Oui, c’est ce cul que je veux emmener en voyage. C’est cette merveille, cet événement permanent, cet asile chaste et pur dont j’ai besoin. Pardon : « que » j’ai besoin, comme tu préférerais dire, si tu disais à ma place.

Tout en jactant, je compulse l’annuaire du téléphone.

— Tu permets que je lance un fil ? comme disent les Suisses qui parlent le romand aussi bien que nous le français. Merci…

« Allô, je voudrais parler au directeur, s’il vous plaît. Il n’est pas encore arrivé ? Sa secrétaire, alors. Merci… J’attends. Allô ?… Bonjour, mademoiselle, je vous téléphone de la part d’Isabelle Mondon. Elle ne pourra pas assister aux répétitions de votre prochaine connerie à grand spectacle : sa tante Adèle est morte dans les Pyrénées-Orientales. Un bled perdu. Trois jours de mulet pour se rendre jusqu’à la dépouille de cette chère femme, autant pour en revenir et on l’inhume au sommet du Canigou et Ronron, vous vous rendez compte du boulot ? Faut creuser la glace : 2 786 mètres, c’est pas de la tarte. Allez, bye, ma poule.

Je raccroche.

Isabelle fond en larmes.

— Tu es un fumier, hoquette l’aimable jeune fille. Un affreux fumier.

Peut-être a-t-elle raison, non ? S’agirait de s’entendre sur le sens du mot fumier.

Helsinki 18 h 50.

Si tu n’as jamais logé dans un vrai tout beau palace, avec, en plus de l’eau chaude et froide et des ascenseurs, une finition parfaite, une recherche immodérée du confort, voire du luxe, demande le service des réservations de l’hôtel Hesperia à Helsinki et retiens-y une piaule. Alors tu verras quelque chose, l’ami !

Elle est un peu éberluée, la môme Isabelle. La voilà qui fait le tour de notre appartement, s’attardant dans la salle de bains, lieu où se trouvent le mieux rassemblées la qualité, la commodité, l’esthétique ; caressant l’étoffe tendue sur les murs, admirant les harmonies de couleurs, la confortabilité du mobilier, les toiles abstraites habilement disposées, là où des taches de couleurs vives contribuent à faire chanter l’ensemble. Approuvant de la tête, éprouvant de la main, se frottant, se grisant, espèce de châtelaine d’un soir, régnant sur un territoire des Mille et Une Noyes.