Alors nous sommes côte à côte, Isabelle et moi. Et elle se penche à mon oreille.
— Tu sais, me révèle-t-elle, je n’ai pas changé de collants.
Elle martèle mon imagination, tu comprends ? Pose l’image de son truc fendu et de sa poilure frivolante sur le rebord de mon cerveau, que j’y pense dans les obscurités de mon sub’. Que, doucement, ça me chauffe le sang au bain-marie. Mais contrairement à ses prévises, je m’en fous. Sa chatte, je vais te dire quelque chose de malpoli, alors que c’est pas mon genre : sa chatte, elle peut se la foutre au c… ; et si je t’écris c…, ce n’est pas par pudeur, j’ignore la pudeur, mais pour te laisser le choix entre deux options, selon tes préférences. Au gré. Faut toujours s’occuper du gré du lecteur, moi je prétends. L’auteur qui oriente trop son lecteur, qui le tient trop en main, le fait tarter.
Tenant compte de cette vérité, je laisse la plus grande place au gré dans ma littérature.
Comme prévu, on croque du salmonidé, puis du cervidé. Avec accompagnement de beignets de semoule, de confiture de mûres et autres joyeusetés culinaires que si le Courtine en tâtait il déserterait les frères Troisminces et l’ami Mochecuse pour vocationner dans les délices finnoises. La mère Isabelle bavasse à tire-larigot, émoustillée par le vin de Carélie qu’on s’entifle après la vodka finlandaise.
Depuis un moment, mon attention est en alerte rapport à deux messieurs français, suisses ou belges qui bouffent à la table proche de nous. Ces deux, faut que je t’en cause car je me propose qu’on va les revoir, dirait Bérurier. Deux gonziers pittoresques. T’as déjà vu le Roupett’s chauve, à la tévé ? Tu sais, les deux kroums qui font des réflexions dans la loge ? Eh ben, eux ! En chair et os, loques de noir, chemisés de blanc, nœuds papillon, cheveux blancs qui folâtrent, trognes enluminées, illuminées, quasi clownesques. Ils se parlent à l’oreille, mais fort car ils sont durs des trompes. Ils gloussent, pouffent, se bourradent à s’en faire basculer de leurs sièges. S’étranglent en mangeant. Y en a même un, au milieu du repas, qui se met à genoux sous leur table, paraît-il pour rechercher son bouton de manchette, mais en réalité, il nous examine, à l’abri de la nappe avec des jumelles de théâtre pliantes. Moi, ils commencent à me casser les roustons, ces deux crabes. Car il est évident que nous constituons pour eux un pôle d’attraction bien plus riche en sensations fortes que le Magic City ou le Luna Park des belles années. Tant qu’à la fin, je pose ma serviette sur la table et me rends à la leur d’un pas vif, avec des sourcils tellement froncés et bas qu’on pourrait les prendre pour la moustache que je me garde de porter.
— Dites, les ancêtres, fais-je en me déposant sur un coin de banquette vacante, si on vous fait rigoler à ce point, à partir de maintenant on va vous réclamer des honoraires.
Le plus rougeoyant se marre derechef en trémoussant sa tête d’hilare au-dessus d’un col de chemise trop serré.
— Et ils sont français ! s’écrie-t-il à travers les fortifications à la Vauban de son dentier. Tu entends, Césaire ? Français de France, on va pouvoir leur poser la question. Car vous êtes français de France, n’est-ce pas, cher monsieur ?
Quelque peu ébaubi, je conviens.
— Une question délicate ne saurait vous désobliger, venant d’un vieux bougre de mon acabit, n’est-ce pas ? me demande l’étonnant personnage.
— Cela va de soi, admets-je.
— Très bien, aboule ta mise, Césaire. Voici la mienne. Et il dépose un talbin bleu de 5 marks finlandais sur la table. Son copain en fait autant. Le trépidant Roupett’s chauve place la salière sur les deux biftons en guise de presse-papelard.
— Cher Français, me dit-il, n’est-ce pas que votre adorable compagne a les poils du cul blonds ?
— Tout à fait exact, réponds-je sans barguigner.
Le vieux exulte.
— Gagné ! Gagné ! Tu l’as dans l’oignon, mon Césaire. J’ai tout vu avec mes lorgnettes. Son collant est fendu et j’ai aperçu sa gentille toison.
Il empoche les deux billets de Viisi Markkaa (c’est comme ça qu’ils disent, ces cons) avant de me tendre une main d’archevêque potelée et jouisseuse.
— Jules Brochu, se présente-t-il, et l’autre idiot, là, c’est Césaire Tringleur.
Qu’alors, il me raconte leur histoire. Ils sont de Tours, ont fréquenté la communale ensemble. Ensuite se sont retrouvés au service militaire. Ont épousé les deux sœurs ; lesquelles sont décédées il y a belle lurette, ces enquiquineuses, à six mois d’intervalle. Depuis, ils font des virées fréquentes, ayant quelques revenus confortables. Leur passion, c’est le cul et ses corollaires. Ils ne s’intéressent qu’à lui, qu’à ça. Il est devenu leur totem, leur religion. Ils le vénèrent, l’idolâtrent, célèbrent sa gloire de toutes les manières concevables. Bref, ils ont le culte du cul. Et ce qu’ils attendent des voyages, c’est la contemplation de culs neufs. N’importe leur patrie, leur âge, ni leurs formes. Ce sont des pèlerins culiers et séculiers coiffés de la cuculle. Des collectionneurs avisés. Des gourmets, tastes-culs éminents. Cultivateurs de culs. Tous les culs figurent à leur programme, du cul-de-lampe au cul-de-sac. Ne dédaignent pas les cul-terreuses. Affectionnent Cuba. Font des cures de culs. Se meublent de curules.
Et ils rient en évoquant. Recommencent à se bourrader. On sent qu’ils s’entendent admirablement, bien que sourds. Qu’ils sont de vieux complices à la vie à la mort. Partouzards de bonne compagnie, chevauchant les mêmes guerrières, ces deux beaux-frères amis. Attendrissants, drus, gaulois, mais pas viceloques le moins. Gaillards d’arrières. Grands prêtres des deux hémisphères sacrés. Ils passent leur vie aux trous de serrures. Hantent les magasins de chaussures, à l’instar de mon Béru dont c’est le sport favori (quoi de plus émouvant que ces ravissantes vendeuses accroupies devant vous, jambes ouvertes ?), se placent sous les escaliers en colimaçon, sont les habitués de la Foire du Trône dont les souffleries polissonnes troussent tant de filles rieuses. Ils vivent à quatre pattes. Jules possède même une canne de bambou de son invention dont l’extrémité est pourvue d’un petit miroir rabattant. Ainsi, quand l’occasion se présente, la glisse-t-il innocemment entre les montants d’une dame et actionne-t-il le bitougnet qui commande la mise en place de son périscope. Le métro est un lieu privilégié où il a obtenu ses plus beaux jetons de présence. Et quelle présence ! Un petit ingénieur phtisique, rencontré au Palais du bricolage, est en train de lui mettre au point une canne-photographique, avec flash incorporé. Dès lors, il conservera le témoignage de ses prouesses et pourra composer un album qui s’intitulera : « Choses Vues ».
Je m’amuse comme un grand fou, au point que j’en oublie ma glace aux airelles de l’Arctique ainsi que ma camarade de voyage. Elle se pointe en renaudant, Isabelle. Comme quoi je suis un peu mufle sur les bords, décidément, et qu’est-ce qu’on peut bien se raconter de si poilant, les trois ?
Présentations. Explications. Elle rougit peu, rigole beaucoup. Jules propose une bouteille de champagne afin de sceller cette impérissable rencontre française en Terre nordique.
Nous acceptons.
Là-dessus, un haut-parleur laisse dégouliner une voix feutrée de personne qui a étudié sa diction dans les écoles d’hôtesse et qui dit comme ça, en anglais, que mister Bézamé Moutch est demandé à la réception.
Je réagis, vu que je suis censé être Bézamé Moutch. Pour lors je me carapate en direction du rez-de-chaussée. Que va-t-il se passer ?
Bien malin qui pourrait le dire, vu que je l’ignore moi-même.
Helsinki 20 h 08.