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— Il n’y a pas beaucoup de monde, hé ? fais-je remarquer au convoyeur.

— Nous serons très peu nombreux, me dit-il en plusieurs épisodes, étant donné son bégaiement (de bègue aimant qui bée gaiement). Treize passagers en tout.

Il ajoute, sachant que des superstitieux pourraient rechigner :

— Mais avec le chauffeur et moi, cela fera quinze.

Il rit comme un cheval.

Un gros cache-col tricoté par sa vieille mother décrit plusieurs tours à son cou squelettique. Il porte une petite sacoche Finnair à l’épaule, de laquelle émerge une bouteille d’eau minérale. Et cela me frappe, parce qu’en fait, la chose qui peut le mieux évoquer cet être incertain, c’est justement une boutanche d’eau minérale.

Nous prenons place dans le bus. Dans la seconde partie du véhicule. Les deux vieilles Sudamerloques se sont installées sur la première banquette, tout près de la porte. Derrière elles, y a le Levantin à tronche de Docteur Mabuse. Les deux gougnes se sont isolées comme nous, à bonne distance des autres. La dame étatsunienne a choisi le fond, avec ses deux chiares. Elle occupe la dernière banquette, près des gogues.

Le départ est annoncé pour 7 plombes sur les billets. Or il est déjà…

Helsinki 7 h 14.

… Sept heures quatorze, et il manque toujours trois passagers. Et moi, je me dis que parmi les trois, doivent figurer les deux vieux polissons de l’Hesperia, autrement dit, MMrs Césaire Tringleur et Jules Brochu, puisque ma gentille Isabelle m’a annoncé leur participation au voyage.

Le petit con voyeur tourne autour de son bus comme un poisson rouge autour de son aquarium, sauf que lui, il tourne à l’extérieur. Il regarde sa montre toutes les deux secondes, tousse dans sa barbe, renoue son cache-nez.

Pendant ce temps, le chauffeur, un mec placide comme la place du saint du même nom (ouf) lit un journal qu’impossible de t’écrire le titre, mais qu’est-ce qu’il leur a pris, ces cons, d’employer un langage pareil, merde ; la vie n’est donc pas assez compliquée comme ça ? Même les Anglais qui raffolent pourtant de ce qui n’est pas simple, ont dédaigné le finnois. Tu vas m’objecter, y a aussi le japonais. Mais enfin, eux, ça les regarde, non ? Qu’est-ce que tu veux qu’on en foute, des Japonais, mon pote ? Alors qu’ils causent leur mixture de langage ou le nôtre, c’est pas ce qui va leur guérir la constipation, hein ? Bon, attends, qu’est-ce que je racontais ? Ah, oui : le convoyeur, de plus en plus con et de plus en plus voyeur, qui guigne les retardataires. M’est avis qu’ils ont bouffé la consigne, les retardataires. Les deux vieux mecs, en tout cas, ont dû trop bambocher.

Un de ces quatre on va les retrouver dans leurs plumes, raides (ce qui ne les changera pas) morts (ce qui sera nouveau pour eux). La foiridon, arrivé à un âge certain, t’as les tuyaux qui s’obstruent, le raisin qui cesse de ramifier, le guignol qui pète son joint de culasse. Et puis t’es out définitif, sans trop avoir pigé ce qui te survenait. Au fond, c’est pas plus con qu’autre chose de clamser ainsi. Ça t’abrège les représentations d’adieu. On te retrouve fini, un beau matin, le sourire aux lèvres. Bye-bye, cobaye, l’expérience est terminée, tu peux rentrer dans ton terrier. T’es là qui dors, tu rêves que tu crèves, et puis tu te réveilles pas pour piger que tu crevais bel et bien. Cesser sans comprendre, c’est ne jamais mourir. Note que ce que je te bonnis est vu sous l’angle du vivant. Ça doit en réalité se goupiller autrement. Il faut tellement peu de temps à notre esprit pour vivre une vie ou mourir une mort…

Le faux Van Gogh pour réclame de fortifiant se décide à intégrer son bus. Il cause en finnois avec le chauffeur, très bien d’ailleurs. Le finnois, c’est compliqué, mais pas désagréable à entendre. C’est un langage plutôt musical, bourré de voyelles à ne plus savoir où les foutre, qu’ils sont obligés d’y mettre des trémas par-dessus pour les dissocier, ces cons[4].

Le chauffeur replie son baveux, puis ferme la lourde. Le barbichu prend place sur le siège situé à côté de celui du conducteur, mais très en dessous.

On part.

Juste comme on passe à proximité de la gare, des appels de klaxon retentissent, véhéments. Notre bus stoppe. Trois personnages jaillissent d’un taxi, qui font des gestes de sémaphores napolitains : les deux vieux rigolos, plus, devine qui ? Bravo, gagné : Bérurier en effet.

— J’ai cru qu’on l’ratait, halète le Gros en s’affalant sur la banquette voisine. Que si on l’aurait pas pris de haut, ces nœuds nous obligeaient d’attendre la police, sous prétesque qu’on connaissait la môme ! D’alieurs, y cherchent t’après toi.

Une bouffée ardente me fait flamboyer le bocal. Dans un raccourci vertigineux, je pige tout.

— Tu veux dire que la femme qui s’est pendue ?

— C’est ta potesse, moui.

Je me cramponne à la banquette placée devant moi. Isabelle ! Morte ! C’est pas vrai ! Pas possible ! Y a erreur, maldonne ! Bérurier, qui ne se laisse jamais désarçonner par le sort, explique brièvement. Elle avait rempli sa fiche pour l’petit déjeuner en marquant l’heure du réveil : 6 plombes et demie.

— Le larbin carillonne à l’heure indiquée. Ballepeau. Alors y rentre dans sa piaule contiguée à la tienne. Et y voye quoi t’est-ce, accroché à l’espagnolade d’la croisée ? Ta souris ! Ell’s’était pendue av’c la cordillère du rideau. Ell’s’tenait agenouillellée en avant. Faut l’faire, non ? M’est avis qu’elle avait trop biberonné, et puis elle était très infectée par c’voyage qui lui passait sous l’pif. Les gonzesses, leurs rédactions sont imprévoyantes. J’ai pas la science infusée, mais j’peux t’dire que c’tait une caractérielle, c’te nana. La manière qu’é t’avait bondi à la frite, toutes griffes sorties ! A c’propos, Mec, t’as eu du bol de gicler avant que ça s’mette à effervescer dans la lanterne haute. Av’c ces esquimaudes plein la gueule, qu’é doit avoir des molluscules d’ta peau sous les ongues, la gosse, on t’aurait cherché des giries, comme quoi tu l’eusses pendue toi-même. Bien sûr, j’te servais de témoin, mais l’témoignage d’un pote n’est pas chrétien ! La direction, comme on partait, les deux crabes que voici et moi, elle a interventionné, disant qu’on connaissait c’te fille et qu’on devait rester pour déposer à la police. Là, tu m’aurais ouï, l’aminche ! De toute beauté, demande à ces vieilles guenilles ici présentes. « La police, c’est moi ! que j’m’ai mis à hurler, en anglais. The police it is me, et don’t brake-me les roustons, sinon on va droit à l’incendie diplomastique, you understand to me, hé, fesses of rat ! »

« J’eusse point eu ma brème, ils auraient pas consenti à ce qu’on filasse. Mais l’mot police, imprimé gros, av’c le drapeau français, par-dessous, je te mets au défi, n’importe qui, de pas pouvoir lui clouer l’bec. Slave dit, j’espère que les archers vont pas établir un blocage à la frontière… »

Il reprend souffle.

J’en profite pour réfléchir. Evidemment, cette histoire de pendaison me paraît drôlement douteuse. J’imagine pas la petite Isabelle mettant fin à ses jours, uniquement pour un caprice insatisfait. Alors, si tu veux ma façon de penser, je crois dur comme zob que quelqu’un l’a accrochée à l’espagnolette, ma petite mère Isa. Mais ce n’est pas Isabelle qu’on a supprimée : c’est Valérie, puisqu’elle était inscrite à l’Hesperia sous cette identité. Alors là, messire Dunœud, l’affaire prend une tournure nouvelle. Et j’ajouterai même inquiétante.

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4

Nous avons remarqué que San-Antonio a tendance à traiter de con tout individu qui n’est pas de race ou de langue latine. Cette forme exacerbée de racisme est surprenante chez un auteur épris de liberté au point d’avoir sollicité son admission au P.C., au P.S., à l’U.D.S., au P.R., au R.G.R. et autres fariboleries de ce genre.

Note de service