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Valérie (la vraie, la vivante) me demande de quoi il retourne.

— Les méfaits de la drogue, soupiré-je, sans égards pour la mémoire d’Isabelle, elle a dû prendre une overdose et se balancer (si je puis dire pour un pendu). C’était une pauvre malheureuse, je m’occupais d’elle par charité pure.

Je jacte en me demandant ce que peut bien représenter Valérie pour l’équipe à Bézamé Moutch. Qui est-elle, en vérité ? Une redoutable terroriste ou une innocente victime ?

A cause de mes initiatives, Isabelle est morte. La primesautière, la joyeuse Isabelle, beau cul, bon rire, la gaieté à fleur de peau. Pétardière mais gentille…

Le gars Jules est assis sur le plancher du car, à discuter le bout de gras avec l’éponge à barbiche. En réalité il examine le dessous des jupes alentour ; celles des vieilles, des jeunes, des autres. Il jubile, le sacripant. Adresse des mimiques à son beau-frère et ami, l’évêque Césaire, lequel paraît moins hardi que lui. Jules, c’est la toute rare épée. Il lit dans les slips comme les extralucides dans les boules de cristal ou les taches d’encre.

Le bus a quitté la ville et suit le bord de mer en direction de la frontière.

Vaalimaa 11 h 50.

Une construction blanc et bleu, pimpante, se dresse au fond de la route. Partout, alentour, c’est la forêt verte et dense, bleutée elle aussi, à cause du ciel.

Pour te résumer la première partie du voyage, on s’est arrêté sur les choses de dix plombes dans un immense hôtel routier, beau comme le Palais des Sports, sauf qu’on y mange moins bien. On nous y a servi quelques dégueulasseries inidentifiables, mais qui n’avaient cependant pas le goût de la merde, bien que ça y ressemblât comme le Président Carter ressemble à ses cacahuètes. On nous a servi du lait, en guise de breuvage, ce qui a provoqué une tempête béruréenne dont les hôteliers se souviendront jusqu’à la fin landaise.

Ensuite, on nous a fait visiter grosso et même modo la coquette ville d’Hamina, célèbre pour sa place octogonale.

Et depuis on avance vers la Sainte Russie.

Que voici donc la frontière finnoise, avec sa barrière bleu et blanc.

Un douanier vient collecter les passeports qu’il fonce composter dans le poste. On entend gazouiller les oiseaux caréliens dans les arbres. Il fait doux. Tu te croirais dans une cathédrale végétale.

Béru me file un coup de périscope éloquent. Va-t-on nous prier de stopper ici notre voyage ?

Le Van Gogh enrhumé bavasse dans son micro. Il fait que ça depuis le départ, ce barbe-à-mites. Il est le seul à s’écouter jacter ; tout content de son bégaiement, de son érudition de Guide Bleu. De temps à autre il s’interrompt pour toussoter, histoire de montrer qu’il est réellement tubar et que ce n’est pas simplement un air qu’il se donne pour faire pitié. Là, il explique qu’on va arriver bientôt au premier poste soviétique, et que la frontière par Vaalimaa est la seule qui soit ouverte entre la Finlande et l’U.R.S.S. Juste cette route. Pour les autres, elles cessent vingt bornes avant la patrie des czars (qui foutent le traczir). No man’s land, il explique, mais en anglais. Juste Vaalimaa. Only. Rien que. Vaalimaa, un point c’est tout. That’s all ! Et qu’à la dogana soviète, on peut s’attendre à mijoter des quatre-cinq heures. Il nous recommande de bien présenter notre fiche de déclaration de mornifle et objets de valeur en même temps que le visa, sinon ça pourrait cacater pour nos plumes. Voilà.

Le douanier finnois nous ramène nos passes. Tout est réglé, pas d’emmerdes à l’horizon. Il nous salue militairement, ce qui fait toujours plus riche. Bon voyage ! Bonne bourre !

On repart à petite allure à travers le no man’s land forestier. Les zoziaux égosillent de plus en plus fortissimo pour nous crier bye-bye, eux aussi, à leur manière. Tervehdys !

Césaire Tringleur remonte vers l’arrière du bus, annonçant de gauche et de droite qu’il va changer l’eau du canari avant d’affronter les messieurs ruscoffs, que l’émoi lui donne envie de licebroquer, à cause de sa prostate qui commence à déconner. Il se penche sur l’énorme feuille de chou rouge à Béru, pour lui annoncer que la plus jeunette des gousses porte un minislip triangulaire, attaché par des brides roses. C’est Jules qui le lui a révélé, et toujours d’après les services d’information de Jules, elle aurait la chatte noire malgré sa blondeur et son germanisme. Qu’en outre, on croit déceler une profonde cicatrice, comme de césarienne au-dessus du pubis, ce qui amènerait à penser que ses mœurs connurent des jours de pointe.

Là-dessus, il va gauler, Trésor. Et il en profite pour interpréter le prélude d’Autant en apporte le vent à la rondelle cannelée.

Lorsqu’il regagne sa place, poum, ça y est, nous voici devant la barrière rouge de l’avant-poste soviétoche. Et alors là, c’est plus le même cierge qui coule. Sur la droite de la route, quatre énormes lettres se dressent, sorte de statue moderne : C.C.C.P. Par en dessous, la faucille et le marteau. Le tout sur fond de verdure.

Les zoiseaux russes ont pris le relais de leurs voisins finnois et se mettent à nous baratiner ! Propagande, propagande !

Une alignée de factionnaires vêtus d’uniformes kaki et coiffés de casquettes plates, vert pomme, se tient (ou se tiennent) immobiles, accueillants comme un réseau de fil de fer barbelé.

Le chauffeur délourde. Deux douaniers montent. Des jeunots avec la visière de leurs kibours presque à la verticale. Ils ne disent pas une broque et, à bord, chacun retient sa respiration. L’un des deux gars traverse le car d’un pas lourd pour aller vérifier que les toilettes sont vides. Il n’y trouve que les remugles de Césaire Tringleur, ce qui est suffisant pour lui faire claquer la porte sans aménité.

— Mais non, mon pote, lui lance Béru, c’est au retour qu’il faudra mater !

Imperturbables, les deux douaniers quittent le bus. Celui qui a contrôlé les cagoinsses pénètre dans une cabine vitrée et téléphone pour raconter comme quoi on arrive en ursserie, les gens du car, combien qu’on est, et comme quoi les chiottes sont vides. Son supérieur lui donne le feu vert (ça existe aussi en U.R.S.S.) et alors il relève la barrière.

On entre chez les Popofs. Salut, la coterie !

La forêt russe est identique à la finlandaise (et ce d’autant plus qu’elle fut finnoise, y a pas tellement longtemps), pourtant il n’y règne pas la même ambiance.

Pas un escargot à l’horizon. Les frondaisons, la route bleue, le noir de l’ombre entre les fûts. Point à la ligne !

Y a comme une angoisse. Mais c’est purement subjectif. L’idée qu’on s’en fait, toujours, toujours. Les choses se passent dans notre tronche. Et puis ensuite elles s’accomplissent, mais la réalité ne correspond pas à l’image qu’on s’en est faite. Sinon, y aurait pas d’intérêt à exister. C’est la pochette-surprise de l’existence, ce désaccord entre le réel et l’imaginaire. Qu’ils soient synchrones un jour, et on n’a plus qu’à aller creuser un trou au pied d’un chêne pour y faire dodo.

Au bout d’un certain laps de temps (à peu de chose près) nous atteignons le poste de douane principal. C’est une grande construction moderne, avec des tas de ramifications tout autour d’alentour, dont un gigantesque mirador équipé de projos à longue portée.