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Me faut coûte que coûte l’évincer, Julot. Qu’il me rase le bol à obstiner de la sorte ! Ah, les gens, tu parles d’une engeance ! Des mouches à merde, tous ! Des moustiques ! Des puces ! Impossible d’être tranquillos, quoi ! Faut qu’ils s’imposent, ces champions du symposium.

Alors, rusons !

— Dites, monsieur Jules, je ne puis vous faire rentrer car quelqu’un m’attend. Une nana du genre farouche.

Quel con suis-je ! Au lieu de le refouler, je l’appâte ! Tout de suite, je lis dans son regard flamboyant de salacité qu’il ne me lâchera pas.

— Eh bien vous, on peut dire que vous ne perdez pas de temps ! Chapeau, bravo ! Champion ! Serrez-moi la main ! C’est la fille à la chatte mordorée qui était à votre côté dans le car, je parie ?

Et moi, en pleine journée hyperconne, de m’ôter mon ultime chance de le jeter.

— Non, non, c’est quelqu’un d’autre de… de plus farouche. A tout de suite.

Pourquoi comporté-je aussi lamentablement ? Pour éviter que ce fripon ne fasse des alluses à la môme Valérie, à table ? Probablement.

Jules Brochu hausse son chuchotement au niveau de mon conduit auditif.

— Je ne fais que jeter un œil, elle ne me verra pas. Laissez-moi la regarder. Supposez qu’elle soit nue, je ne peux pas rater ça, vous n’avez pas le droit de me frustrer.

Quel acharnement ! Quelle autorité !

Vaincu, j’ouvre la porte.

Au Moscou (ça s’écrit Mockba, je te dis, mais ne le répète à personne, je ne voudrais pas avoir des ennuis) les chambres sont de la manière ci-jointe : t’as une petite entrée avec penderie à gauche, porte de s. de b. à droite. En face, large ouvert, un brin de salon comportant un canapé de chez les Galeries Potemkine ainsi qu’un petit frigo. Ce bout de salon communique avec la chambre où il n’y a que la place d’un plumzingue et d’un fauteuil des Galeries Barbézeff. Cette sobre description, tout à mon honneur de grand romancier capable de ne pas faire long, même quand il est pressé, pour te faciliter la compréhension de ce qui va suivre.

Changé-je de chapitre pour te le raconter ? Oh, et puis non, au prix qu’est le papier, à quoi bon faire des blancs qu’ensuite mon éditeur arrive plus à joindre nos deux bouts.

La disposition des lieux permet, sans coup faire rire, de mater depuis la porte l’ensemble du salonnet.

Et j’y trouve quoi donc, dans ce salon ?

Si, faut que je change ce chapitre. J’ai besoin d’aérer. La déformation professionnelle, tu comprends.

Leningrad 18 h 71.

J’allais tout de même pas te fourrer ce qui va succéder dans la foulée, à la suite des déconnations de Jules Brochu ! C’eût été gâcher le mortier de la marchandise.

Le vieux Brochu, mateur-de-chatte-à-longueur-d’existence, me bouscule pour entrer et me passe outre, dans sa précipitation.

Il n’exécute que deux pas dans l’antichambre. Ça lui suffit pour s’arrêter, comme dirait mon évaporé Bérurier. A quoi bon avancer encore ? Il mettrait le pied dedans et ça ne lui porterait (de famille) pas bonheur. Moi, je ne m’autorise qu’un pas, j’entends de ceux que je fais dans les cas désespérés. Un grand pas d’enjambeur de flasques.

Et je reste à considérer. Et puis Jules tourne de l’œil, mais ne perd pas connaissance totalement ; juste il met un genou en terre, comme un boxeur sonné qui se fait compter huit, histoire de récupérer.

Cela dit, il aurait perdu connaissance en plein, je l’aurais excusé. Qui donc, surtout à son âge paisible, endurerait sans faiblir la vue d’un monceau de cadavres ? Hmmm ?

Parce que voilà, c’est ce qui occupe le salon et la chambre : des morts. En veux-tu en voilà ! Pêle-mêle, en charpie, ruisselant de sang pas encore tout à fait coagulé. Des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux. Un tas haut commak, t’as que l’embarras du choix. Ne te gêne pas, choisis. J’ai pas le courage de compter. Un vrai charnier. Faudrait pouvoir les aligner afin de les dénombrer, mais la place manque. Combien ça peut représenter de têtes de casse-pipe, un volume pareil ?

Douze ? Quinze ? Vingt gonziers ? Plus ? Pourquoi pas. Tiens, rien que dans la petite partie salon, ceux du dessus… Ils sont sept. Et il y en a par-dessous, plusieurs couches, comme dans les boîtes de chocolat de la Marquise. Et puis ça continue dans la chambre. Un tas moins important, mais confortable tout de même.

Une terrible odeur de sang prend à la gorge. Odeur de mort aussi. Odeur de poudre. Odeur de carnage. Je visionne cette monumentale horreur. Je sens trembiller mes montants. Une vibration intense, des pieds aux cuissots, et qui se communique au reste de mon individu. Les battements de mon guignol s’accélèrent. Je crois percevoir leur vacarme. Un solo de batterie, quand le mecton se déchaîne au milieu de son matériel et qu’il entreprend sa culture physique, des pieds, des mains, des hanches. Tout juste s’il s’attache pas une baguette de tambour à la bite pour qu’elle participe au zim boum boum. Ne rien laisser perdre de son corps. Le contribuer totalement. La tronche idem ; des grelots, comme les hommes orchestres de jadis. Et une trompette dans l’oigne, why not  ? Moi, kif. Tout qui entre dans la jazzbanderie. Les chailles aussi. Castagnetta solo. Carmencita. Olé ! Dagda dagda dagda tsoin tsoin ! Viva Espagna. Carlos Magne is good for you !

On regarde, Jules and me, me and lui, nous deux, statufiés par l’épouvante. On ne peut pas comprendre. On ne cherche pas. On à-quoi-bonne en duo. Il fait la basse, moi le baryton de la peur.

Et soudain, je pense à la porte ouverte. D’un coup de talon je la ferme. Le bruit sec fait crier le père Bique-bique. Il croit à je ne sais pas : à une dénotation, à une détonation.

Du coup, voilà pépère qui se vide l’estomac sur la moquette. Ah ! elles ont grandement raison de se reposer, les camarades de ménage, leur tâche sera rude aux pauvres chéries, quand il va s’agir de remettre la piaule en ordre.

Je parviens à me ressaisir un tout petit chouia. J’essaie de piger. Bon, tout d’abord, ce carnage. Comment a-t-il été possible ? Il a fallu de la main-d’œuvre expérimentée, et du matériel sophistiqué. Des mitraillettes hautement perfectionnées, silencieuses avant tout, et à tir supra-rapide. Faucher tout ce trèpe aussi rapidement, pas que ça rameute tout l’hôtel ! Car ils ne sont pas bâillonnés, ces malheureux. Alors ? Comment ? Hein, l’artiste ? Comment a-t-on pu réussir un tel exploit ? Grouper une vingtaine de personnes dans un espace aussi exigu, et puis leur défourailler dans la viande, longuement, longuement, guement, guement, ment. Pas d’impact de balles dans les baies vitrées. Un exploit. Par contre, les murs sont criblés. Ça aussi, ça a dû faire du boucan. Non, franchement c’est inconcevable. Je voudrais réaliser un peu. On a concentré ces malheureux dans la chambre sous un prétexte quelconque, voire sous la menace. Et puis, une fois qu’ils ont été rassemblés, on les a mitraillés presque à bout portant.

La chose est récente car, je te le répète, le sang est tout frais.

J’ouvre la porte de la salle de bains. Ce local est vide. La porte donnant sur la chambre est ouverte. Je suppose que les massacreurs étaient au moins deux. L’un attendait dans la chambre, l’autre coupait la retraite aux victimes. Mais ce dernier n’a tiré que dans les pieds de ces dernières pour ne pas pulvériser les vitres.

Je touche l’épaule de mon compatriote.