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Elle a un hoquet de détresse, réprimé à demi.

— Pourquoi cette abomination ? dit-elle.

Sa main s’envole, pareille à un oiseau, et vient se poser sur ma tête. Tu voudrais que je résiste à cet appel muet, moi, San-Antonio, qu’un regard de femme transforme en perchoir à perroquet !

— Ah, ne dites rien, ma chérie, soupiré-je. La vie est hideuse parce qu’elle est pleine de gens. Heureusement, il existe des instants d’exception.

Et poum, au charbon, Dubois ! Va gagner ta vie, mon Kiki ! Pars à la conquête du bel écrin digne de ton joyau.

Je pose ma tête sur ses genoux. Elle ne me repousse pas. Avant d’aller plus loin, faut laisser écouler un peu de temps, car la brusquerie est souvent néfaste dans ces délicates circonstances. Pour respecter le délai de bon usage, je m’astreins à compter lentement jusqu’à cent. Et c’est long quand t’as le mandruche qui surdilate. On croit que ça va vite, parce que jusqu’à vingt c’est dans la foulée. Mais merde, y a après. Quand t’arrives aux soixante-dix, ça se complique, le rythme se décale. A quatre-vingts, alors, merci bien ! Ça te fait une syllabe de mieux à virguler. Mais la volonté d’un homme de mon estrempe résiste à l’impatience sexuelle. Je vais bien droit jusqu’à cent, je prononce cent. Et je m’offre le cadeau de le répéter quatre fois de suite. Sur l’air de la Cinquième. Qu’entre parenthèses ces quatre notes qui lui ont assuré le succès, n’étaient pas prévues par le génial sourdingue, simplement, c’était un de ses voisins de palier qui cognait à la cloison comme quoi il l’empêchait de ronfler avec son piano sur lequel il frappait comme un Beethoven.

Quand le cent est tiré (en général on dit que c’est le vingt) il faut le boire. J’engage donc ma main sur le chemin de la gloire et de l’honneur. Je pense à ce qu’il m’a dit, le père Jules, au bar de l’Hesperia, au sujet de la chatte à Valérie, qu’il assure d’un beau blond mordoré.

Allez, pèlerin, va ta route !

Elle se laisse contaminer le circuit. Moi, je ne suis plus qu’une exquise bête à bêbête. Je me dis commak que, bon, certes, l’avenir se présente sous d’horribles hospices grabataires, mais qu’à plus forte raison, il faut vivre l’instant à pleine gomme. Se régaler jusqu’à outrance. En prendre plein l’heure qui vient et tant pis pour les autres, on avisera ensuite.

— Eteignez, éteignez ! me supplie-t-elle dans un souffle.

Tu parles que j’obtempère. M’arrachant aux premières délices, je me précipite sur le commutateur, le tâte et le commute à tort, à teur et à travers. Qu’enfin la lumière chut. Elle choit. M’échoit, précieuse compagne de mes sombres desseins animés[9]. Une clarté parvient de la baie sans volet. Un simple rideau insuffise. Peu à peu, la pénombre s’éclaircit. Je distingue Valérie qui se déshabille fiévreusement, tenant ses fringues en grand mépris et les laissant tomber au sol, comme des fruits mûrs au pied de leur arbre[10]. J’en fais autant. Après quoi, nous nous précipitons l’un vers l’autre. Nous nous étreignons farouchement. Scène classique mille fois décrite. Je passe.

L’amour, c’est retarder un instant. Le déguster par des manœuvres différatoires. Faire qu’on aille le plus longtemps possible avant le baiser aux étoiles. Le principe est simple, le parcours linéaire, c’est pourquoi il convient de l’agrémenter à grand renfort d’imaginanceries. Côté gamberge, j’ai quelques ressources. Je vois, souvent, à l’issue d’une queuterie, je crois avoir tout employé, tout mis en œuvre, tout exploré. Je récapitule, je postcontrôle. M’efforce d’avoir l’esprit chinois, moldave, arbi, simpliste, machiavélique, chiraquien, valoisien, déterminé, observateur, critique, d’Eloi, de sel, de vin, de corps (surtout) pratique (oh oui !), terre à terre (ah ! ça), bien tourné, léger (toujours) et avant tout : de suite (le seul qui passionne réellement les dadames). Et donc, ayant bien révisé ce que je viens de prester (de prestation), j’éprouve une confuse amertume en songeant que je ne pourrai que me répéter à la prochaine.

Mais mon ange gardien qui est dégueulasse comme tu ne saurais croire, vieille et me chuchote, la fois suivante, de nouvelles initiatives plus corsées, mieux inventives et salingues à t’en faire mouiller la demoiselle qui joue de l’harmonium à la chapelle de la maison de retraite des vieux onanistes de France. Faut dire qu’à chaque patiente, je suis inspiré par le personnage. Telle me donne envie de ceci, telle autre de cela, une blonde me porte à la gloutonnerie fourchue, une brune au soubresaut de bretteur ; une fossette culière appelle au lapsus linguae, une touffe volubile au défrichage polisson. Question d’opportunité. T’as des nombrils solliciteurs, certains qui, au contraire, te déconcertent. Rare qu’une gonzesse soit toute bonne : pile et face. On rencontre plein d’objections sur les corps de nos dames.

En ce qui concerne (en deux mots) Valérie, je sens qu’il faut la cueillir à la frissonnante. Elle, c’est pas Les Indiens sont dans la plaine qu’il convient de lui programmer en début de séance. Cette mousmé, ça s’entreprend au Vivaldi. Pianissimo, frivoletto. Les légères morsures du lobe, les pourlècheries au cou, le gratti-frutti val d’aotien. Pas de frénésie. De la langueur. Des bribes de vers, ceux d’Alphonse, à la pompe onctueuse, ou ceux du beau-fils au général Aupick, plus maîtrisés, et les toujours modernes d’Arthur, les si simplement bioutifouls de son gros Popaul flingueur. Poétrie, poétrie ! La magie de deux alexandrins chuchotés dans la caverne vertigineuse d’une étiquette finement ourlée quand, parallèlement et de façon concomitante, tes doigts s’enhardissent du côté de chez Swan. Ah ! beauté de l’instant qui frissonne. Et tu frissonnes de l’instant. Car il faut tisser l’instant avant que de le vivre, l’aménager pour le plaisir escompté. Nous autres, architectes du désir, le savons (de Marseille) et y pourvoyons. Car, comme tu fais ton lit tu te couches ; et femme bien préparée est plus qu’à moitié faite.

Elle a entonné la chanson des blés d’or, Valérie. La roucoulade légère. Je prends mon temps. Un tel besoin d’abandon m’anime que je me sens cap de lui faire the love toute la nuit, jusqu’aux premières lueurs de l’aube.

Mais hélas, mélasse, et l’as, trois fois z’hélas, le téléphone, cet instrument de chiasse, ce petit furieux malencontrueux, ce pernicieux, ce débandeur retentit. Quelle étrange et vilaine sonnerie ! Pas comme nos bigophones francs et massifs parisiens qui se mettent à gueuler au charron à plein gosier. Celui-ci fait un bruit de roulette de dentiste. Moi, je le trouve funeste. Curieux comme les bruits ont une âme, eux aussi.

Mon premier mouvement, une fois que je me suis ressaisi (c’est-à-dire une fois que j’ai lâché ma proie, poum !), est pour décrocher. Je me ravise in extremis, in partibus et presque in extenso en songeant que je ne suis pas dans ma chambre mais dans celle d’une jeune fille très convenable que ma voix, en ces lieux et à pareille heure, risquerait de compromettre aux yeux de l’hostellerie soviétique. Je lui laisse donc le soin de s’enquérir. Son geste est languissant, dis, je ne sais pas si tu te rends compte qu’elle trempait déjà dans les extases à l’essence de rose, cette douceur !

— Allô, j’écoute ?

On lui cause français, à débit rapide.

Elle écoute et une vive contrariété se lit sur son visage déjà touché par l’aile de l’amour.

— Mais je vous en prie ! exclame-t-elle. Mais, monsieur, qu’est-ce que c’est que ces façons ? Pour qui me prenez-vous ? (Elle est nue avec les jambes qui marquent quatre heures moins vingt et la mordorance emperlée.) Je vous prie de cesser…

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9

Je devrais n’écrire que comme ça si j’étais digne de moi.

San-A.
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10

J’utilise souvent cette image parce que je l’aime bien.

San-A.