Enfin, moi je trouve.
Orly, 11 h 44.
La voiture, une ancienne DS (on avait ajouté un T au sigle pour les besoins de la cause) se présenta devant un barrage policier. Le chauffeur brandissait par la portière un document beau comme du papier-cul usagé. Un factionnaire le lut, approuva et souleva la barrière à contrepoids. L’automobile pénétra alors sur les pistes traversées d’énormes indications peintes à même le ciment. Un petit véhicule jaune, bizarre et gauche comme certains insectes, la prit en charge et la conduisit à l’avion de la Flytox Airline stationné, tous réacteurs vibrants, devant la porte 33. Une hôtesse de l’air avec un beau cul, une poitrine dilatoire (je n’ai pas dit dilatée) et un uniforme beige-triste attendait sur le pas de la porte.
La DS stoppa au plus près de l’échelle. Tous ses occupants en descendirent, à savoir quatre z’hommes. Trois appartenaient à la glorieuse Préfecture de Police, le quatrième était son excellence Bézamé Moutch, attaché (mais délivré pour la circonstance) à l’ambassade de Razdmoul. L’homme n’avait, pour tout bagage, qu’une grosse serviette de cuir noire. Le reste de ses effets devant lui être expédié ultérieurement. Il eut un regard indécis pour ses trois mentors, hésita à leur tendre la main, comprit que, le cas échéant, ils ne la lui serreraient pas, et sur un hochement de tête, s’engagea dans l’escalier à roulettes.
Bézamé Moutch n’appréciait guère la manière dont le gouvernement françouille avait exigé son rappel immédiat. Pourtant, il se disait que, compte tenu des circonstances consécutives à l’inqualifiable foirade de Moulassi Moulassan (qu’on avait toujours cru être un élément sûr), il ne s’en tirait pas trop mal.
S’il se fût trouvé dans certains autres pays, diplomate ou non, immunité ou pas, des services spécialisés auraient su le prendre en charge et l’accoucher (avec ou) sans douleurs. La France était décidément une nation où il faisait bon déconner depuis Louis XIV. On pouvait y perpétrer les pires forfaits en grande quiétude car existait toujours un moyen pirouettique de s’en sortir, pour peu qu’on eût une carte d’abonnement à quelque chose, voire un simple mot de recommandation de sa maman.
L’hôtesse adressa un magistral sourire de bienvenue au diplomate. Elle le guida en first auprès de la véry ravissante blonde qui compulsait le magazine de la Flytox Airline en attendant le décollage.
Très sensible au beau sexe, et plus elles étaient blondes, mieux il fourrait, Moutch s’inclina avant de boucler sa ceinture.
L’hôtesse proposa champagne et orangeade. La rutilante blonde choisit une coupe de Mumm cordon rouge, tandis que Bézamé Moutch se contentait d’un verre de jus d’orange.
On ferma les portes du coucou. Sur la piste, les policiers attendirent que l’appareil se mette en route pour réintégrer leur DS. La musique jouait maintenant un truc vachement léger et pomponné qui donnait envie d’aller se baguenauder au-dessus des nuages, là que le soleil brille alors qu’il vase à vache qui pisse sur la planète.
Une voix, dans la phonie (impossible de déterminer laquelle des hôtesses jactait) dit que le commandant Judburne était vachement joyce d’accueillir ce beau monde à bord de son zinc, et qu’on ferait escale à Athènes dans deux heures vingt minutes après avoir volé à une altitude de tant, vitesse de tant, nani nanère, messieurs, mesdames, bon voyage, bonne bourre, bises aux enfants.
Là-dessus, il fit le point fixe, comme lui prescrivaient les règlements ternationaux, puis opéra un décollage sans bavures dont tout le monde lui sut gré plus ou moins consciemment.
On servit un repas très convenable. Bézamé Moutch le prit de bon appétit en éclusant du café. Sa blonde voisine, par contre, éclusa deux quarts champagne.
Moutch en profita pour lui dire, en souriant de ses belles chailles carnassières, qu’elle paraissait raffoler du champ’. Elle en convint. Encouragé, le diplomate éjecté chercha de son genou droit le genou gauche de la donzelle (le contraire eût relevé de l’exploit). La fille blonde ne retira pas sa jambe tout de suite et quand elle le fit, ce fut par souci des convenances, car il eût été messéant de répondre trop délibérément à une telle sollicitation. Bézamé Moutch attendit un instant, puis réitéra sa privauté. Cette fois, la fabuleuse blonde ne broncha pas.
C’est un bonheur que de voyager en votre compagnie, déclara l’heureux gagnant de son ton le plus fat mais en commençant de bander comme un Turc bien sous tous les rapports.
Elle eut un sourire mystérieux, plein de promesses. Il coula sa main par-dessous le New York Herald Tribune judicieusement déployé sur leurs quatre genoux histoire de caresser la jambe de sa compagne.
— Non, non, je vous en prie, fit-elle avec un petit gloussement.
Plein de tact, il retira provisoirement sa main. La fille blonde se pencha afin de saisir la bride de son sac Vuitton posé sur le plancher. Elle plaça le réticule sur ses genoux et se mit à farfouiller dedans avec calme. Elle en sortit une boîte d’acier de forme allongée qu’elle déposa sur la tablette rabattable.
Ayant remis son sac sur la moquette, elle ouvrit la boîte métallique. Moutch, qui louchait dessus avec le maximum de discrétion, tressaillit en constatant que la boîte chromée contenait ce à quoi elle faisait d’ailleurs songer, c’est-à-dire un nécessaire à piqûres.
La blonde voyageuse prit une ampoule dont elle scia une extrémité.
— Heu, ne pensez-vous pas que ? bredouilla Bézamé Moutch complètement sidéré.
Sa voisine le regarda avec un beau sourire.
— Vous dites ?
— Eh bien, je pense que vous devriez peut-être vous rendre aux toilettes pour… pour faire ça !
— Il ne serait pas correct d’aller à deux dans des toilettes, objecta-t-elle doucement.
Moutch essaya de comprendre. Une foule de pensées déferlaient soudain en cataracte dans sa tête.
— Je commence à avoir un peu chaud, dit la fille blonde. Pas vous ?
Ce disant, elle retira ses faux cils, puis sa perruque. Moutch vit qu’elle était en réalité un beau jeune homme qui ressemblait plus ou moins à Helmut Berger.
— Vous enlevez votre veste ? demanda le garçon.
Il était brun, coiffé court. Ses boucles d’oreilles et son fond de teint lui donnaient quelque chose d’équivoque et pourtant on le devinait extrêmement viril. Une lueur inquiétante faisait flamboyer son regard presque mauve.
Moutch dégrafa sa ceinture et voulut se dresser. Une main puissante pesa alors sur son épaule, le forçant à s’asseoir.
— Enerve-toi pas, mon pote, dit une voix de mêlé-cass (avec pas beaucoup de cass).
Bézamé Moutch tenta de se retourner pour réclamer de l’aide, mais le gros homme qui le maintenait cloué à son siège imprima une telle secousse à l’épaule du diplomate qu’elle se démit aussitôt de ses fonctions.
— Ta canicule va y rester, si t’ostinerais à r’muer, Mec, prévint son tourmenteur. Attends, je croye qu’ l’hôtesse a quéqu’chose à nous bonnir.
Puis, à la gente fille qui, fort heureusement, s’était débarrassée de sa ridicule casquette, il dit, de son ton le plus mondain :
— N’est-ce pas, mon trognon, qu’ y s’avez des déclarations à faire ?
La môme sourit, puis elle déclara :
— Nous avons le regret d’informer nos passagers que l’appareil est aux mains d’un pirate de l’air qui exige qu’il soit détourné de sa route prévue. Le pirate en question est un diplomate razdmoulien embarqué de force par les autorités françaises.
Là, elle désigna Bézamé Moutch d’un geste gracieux (j’allais dire aérien, mais ç’aurait fait trop voulu). Ce pirate est armé d’un pistolet de gros calibre.