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Pendant ce temps, Slovana se drape et va ouvrir.

Ils sont deux. Deux grands, jeunes, avec des boutons rouges plein leur frite blanche et des yeux aussi blancs que la crête de leurs mignons bubons. Tous les mêmes, fabriqués pour, débités à la chaîne.

Ils parlent à Slovana d’une voix pas chouette, tout en déambulant dans l’appartement.

Elle cause pathétique, puis se met à pleurer.

A moi, ils me réclament mes papzingues. Je les leur montre. Ils me posent alors une question à laquelle je ne puis fournir de réponse.

— Ils demandent à quel hôtel tu es descendu, traduit Slovana entre deux sanglots.

— Mockba, je leur dis.

Puis, je m’enquiers :

— Que veulent-ils ?

— Des voisins les ont prévenus que je me débauchais en l’absence de mon mari.

Le plus jeune lui aboie en pleine face. Pour lui intimer de se taire, je devine.

Par signes, ils m’ordonnent de me relinger.

Slovana en fait autant. Cinq minutes plus tard, nous quittons son immeuble, elle et moi, encadrés par les deux boutonneux.

Une bagnole, genre fourgon à allure militaire, dans les teintes verdasses, attend devant l’immeuble. Un policier au volant, deux autres sont assis à l’intérieur et se marrent de je ne sais quoi. Tout le monde déquille.

Leningrad 8 h 47.

A la mémoire de Georges Courteline qui m’aurait tant aimé.

On a quitté la banlieue populaire de Krazpeck (d’ailleurs toutes sont populaires) et on roule le long d’un canal ou un truc de ce genre, garni, çà et là, de petits ponts amovibles. C’est grisaillet, tristounet, mélanco à te flanquer l’envie d’écrire une lettre d’amour à ton contrôleur des finances pour lui expliquer l’à quel point que t’es malheureux sans lui.

Par les vitres grillagées du bolide, je contemple les quais lugubres. Pour ma dernière promenade (car je gage qu’il s’agit de l’ultime), ils pourraient me faire passer par le centre. J’aimerais bien voir le musée de l’Ermitage, moi, le palais, le croiseur Aurora, sur la Neva, les ci-devantes églises aux clochers à bulle, dorés dans le soleil froid du Nord.

On ralentit à la hauteur d’un magasin. Et je sais que, dorénavant, je ne l’oublierai plus jamais. Sa vitrine qui semble dater de cent ans et n’avoir jamais été nettoyée depuis, est habitée par des mannequins vêtus en mariés. Il y a la fille, en blanc, mais la robe tombe en poussière ; il y a le connard, en habit de prestidigitateur d’autrefois, et les deux tenues, la noire et la blanche sont pratiquement unifiées par le temps, par la poussière. Ils sont presque de la même couleur. Je regarde la physionomie désenchantée des « mariés ». Leurs gueules taillées à coups de serpe, constellées de taches vénéneuses. Et mon imagination prête vie à ce couple saugrenu. Je le « vois » vivant dans cet univers qui m’est rébarbatif. Je l’imagine se produisant ; subissant le quotidien sans avenir… Je sais que ce sera cela, dorénavant, la Soviétrie, pour mézigue. Deux mannequins pourris dans une vitrine pourrie, au bord du canal désespéré.

La voiture poursuit sa route.

Slovana ne dit rien. Elle a cessé de chialer. On dirait qu’elle ne me connaît plus. J’essaie de lui sourire, mais ses yeux ne s’arrêtent plus sur ma personne. Nos étreintes sont mortes, englouties à tout jamais. Elle en chassera jusqu’au souvenir. Je n’existe plus pour elle. Je n’ai jamais existé.

Surprise.

Je pensais qu’on allait débouler dans la cour d’une bâtisse policière. Au lieu de cela, la bagnole s’arrête tu sais quoi ? Devant le magistral hôtel Moscou, qui, je peux bien te le dire maintenant, s’écrit MOCKBA.

Les cars rouges ou bleus, rangés comme des vaches dans l’étable. Les grandes portes dorées que surveillent de vieux buveurs de vodka aux pifs turgescents. L’accumoncelage des valises au centre de l’immense hall. Tout est là, presque familier.

Un flic me fait signe de le suivre. De l’accompagner, plutôt, car il marche à mon côté, non comme on se déplace avec un prisonnier, mais comme on escorte un personnage protégé.

Nous franchissons la porte, tenue ouverte par l’un des portiers débraillés.

Le gars à boutons possède un profil cocasse avec son képi rejeté complètement en arrière. Son petit bout de visière noire se trouve quasiment à plat sur le sommet de sa tête et le rond du kibour forme une sorte d’auréole sur laquelle sa face juvénile et dure prend un relief bizarre.

Il va à la caisse en tenant mes papiers. Il interroge la préposée, une nouvelle que je n’avais pas encore aperçue. Elle compulse des fiches. Elle opine. Dit des choses brèves. Finit par tendre un carton d’admission. Le jeune flic l’empare et me le tend ainsi que mes fafs. Et puis il me salue militairement et s’éloigne. Je le regarde s’évanouir à travers la foule des clients bigarrés. Une dame à l’accent lyonnais assure, tout près, et bien haut, que les blinis sont moins bons en Russie qu’à Lyon où ils portent le beau nom de « matefaims ».

Une banquette se trouvant disponible, je m’y dépose. La surprise, tu sais, c’est une denrée duraille à coltiner.

Au plus fort de mon hébétude, je regarde la carte qui vient de m’être remise. Elle porte le numéro 5201.

C’est la préposée du premier jour. La blonde, avec un porte-jarretelles (d’après les affirmations de M. Jules Brochu)…

Toujours impavide. Comme un pas vide je lui tends ma brème. Mais vide, il l’est, l’Antonio tout beau. Oh ! la la ! madame, si tu savais ! Vide de couilles et d’esprit. Bien désert.

Cette personne suce-mentionnée me tend la clé baptisée 5201, ce qui est un très joli nom, surtout en Suisse quand il qualifie un compte Numéro.

Je marche jusqu’à la porte dont la serrure correspond à la clé.

J’entre.

Une ambiance tranquille, voire douillette.

J’avise ma valise sur le porte-valoche à claire-voie. Mes fringues sont rangées sur les cintres, mes limaces dans les tiroirs.

Dans la partie salon, il y a une bouteille de whisky sur le petit réfrigérateur, avec deux verres propres à la renverse sur un plateau. A l’intérieur, j’y trouve une bouteille d’eau gazeuse et des glaçons dans un récipient conçu pour.

Mon pyjama est déposé soigneusement sur le lit bien fait. Le pantalon est surmonté de la veste dont les manches sont repliées dans une attitude de dormeur. Tu croirais une préfiguration de Bibi. C’est moi en écrasant. Dans la salle de bains, je trouve mon rasoir électrique, ma brosse à chailles, ma lotion after-shave, mon tube de dentifrice, une savonnette déjà utilisée, mon peigne, ma brosse à tifs et même mon petit flacon d’eau de bouche pour quand je me réveille auprès d’une dame après des libations.

Tout est là, simple et tranquille.

Je vais au bigophone, m’assieds sur le plumard et, obéissant aux indications d’un carton imprimé en une craquée de langues, je compose le numéro de la piaule 6144.

Ça sonne une fois, deux fois, trois fois.

J’évoque l’hécatombe, la puanteur des cadavres entassés. Et voilà qu’on décroche. Une voix de dame, un tantisoit mouillée car elle devait s’ablutionner, demande en anglais ce que je lui veux. En américain, devrais-je plutôt dire, parce que ça nasille drôlement.

— Vous occupez la chambre 6144 ? je questionne dans le même dialecte.

— Oui.

— Vous en êtes sûre ?

Surprise. Un court temps d’étonnement.

— Mais, oui… Naturellement. Oui, n’est-ce pas, Charly, on est bien au 6144 ?

Dans les parages, la voix d’un gus qui a dû s’endormir avec un plein flacon de bourbon dans le corps bougonne, qu’œuf corse. Il a la clé devant lui. Et il épelle le nombre.