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Elle sortit l’arme citée de sa poche et le montra aux occupants de l’avion, un peu comme elle avait expliqué l’usage des masques à oxygène, tout de suite après le décollage.

— Pour l’instant, poursuivit l’hôtesse, le pirate de l’air a obligé le commandant Judburne à mettre le cap sur une destination qu’il veut provisoirement tenir secrète. Nous demandons aux passagers de garder leur calme et de se conformer aux prescriptions qui leur seront données en cours de vol.

Elle se tut.

Chose curieuse, tous les voyageurs applaudirent en riant.

Et alors, dans le silence qui succéda, je me levai, moi, Santonio, l’Unique, l’Indéformable, le cousu main. Et j’allai m’agenouiller sur le fauteuil placé devant Bézamé Moutch.

L’homme était d’un vert cadavre assez intéressant. Il paraissait être mort depuis la semaine précédente.

— Commissaire San-Antonio, me présenté-je, je viens prendre le relais du commissaire Joulard. Seulement la situation géographique n’est plus la même, Excellence. J’ose dire qu’à présent nous tenons le couteau par le manche. Résumons les faits : nous nous trouvons dans un appareil britannique en compagnie de passagers cosmopolites : Japonais, Belges, Ivoirien, Suisses, Italiens, etc. Le radio vient d’annoncer au monde que vous venez de détourner cet appareil et les gens de votre bord ne comprendront rien à votre attitude, ils vous suspecteront. Que signifierait votre parole contre celles des membres d’un équipage régulier et de passagers originaires de tous les coins du monde ? Vous êtes à notre merci pleine et entière. Nous pouvons vous torturer et vous abattre sans encourir le moindre risque, votre gouvernement lui-même nous présenterait encore des excuses. C’est très clair, n’est-ce pas ? A présent, déblayons le terrain : c’est vous qui dirigez l’Opération Apocalypse, comme nous l’avons aussitôt appelée. Une cinquantaine de points de concentration urbains ou névralgiques sont piégés dans la région parisienne. Vous allez immédiatement nous en donner la liste. Celle-ci sera communiquée aussitôt par radio selon un code prévu. Des équipes spécialisées sont présentement sur le pied de guerre, prêtes à foncer au fur et à mesure que tomberont vos renseignements. Si ceux-ci sont exacts, nous vous débarquerons quelque part. Si vous refusez de les fournir, ou bien s’il s’est avéré qu’ils sont faux, il vous faudra beaucoup de courage.

Je reste immobile, face à lui. Tout se joue à cet instant : la vie de milliers de gens, la gloire de Paris, le sort peut-être de la France. Fermez le ban. Si cet homme est courageux, notre singulière opération échouera misérablement.

Le gars assis auprès de Moutch attend toujours, sa seringue à la main. D’un battement de cils je lui intime de « faire le nécessaire ». Il est très adroit, ce garçon, prompt comme un reptile. A peine lui ai-je donné le feu vert qu’il a fiché l’aiguille dans le bras de Bézamé Moutch, injecté les quelques millilitres de la drogue choisie par le laboratoire des Recherches Grumo-épisodiques de Paris.

Moutch a un sursaut… Son regard devient minuscule, comme celui d’un homme en proie à un indicible malaise. Le professeur Foiridon m’a expliqué que cette injection créait immédiatement une paralysie partielle avec intense sensation de froid. Le sujet se trouve pétrifié de l’intérieur. Dans une seconde phase, très rapide, il éprouve une espèce de relâchement du cerveau, comme s’il abdiquait toutes ses facultés. Il est en état de pré-mort. Au seuil d’un engloutissement de son être qui lui rend la vie indifférente. Plus rien n’a d’importance pour lui. Il répond aux questions sans réticence. Ce produit nouveau est à base de curare et d’extrait de farine de lin, il détermine une destruction momentanée des nerfs moteurs sans intéresser les nerfs labio-vulcano-sensitifs. Son nom, je te le donne en confidence, bien qu’il ne soit pas en vente libre dans les pharmacies, est Jacto-méningeur 12. Pourquoi 12 ? Parce que son inventeur était superstitieux et qu’il n’était pas question qu’il l’appelât 13.

Bon, alors voilà.

Bézamé Moutch véhicule dans ses veines la drogue en question. En subit les effets.

Et le très étonnant Sana l’entreprend sans tergir ni verser.

— Commencez à nous fournir la liste des lieux minés, en commençant par les plus importants.

Moutch remue faiblement ses lèvres blêmes.

— Rhâzkl mlek kléébhâr, murmure-t-il.

— Répondez en français, je vous prie.

— J’ brik Ikroüia, ânonne le diplomate.

— Laisse que j’y cloque une baffe, gronde Bérurier, vois pas qu’y nous prend pour des pommes ?

Déjà, la grosse patte en forme de tubercule se lève.

— Non, attends !

Un grand frisson me parcourut la moelle épinoche. « Hypercon, m’invectivé-je en aparté car je déteste m’insulter en public, monstrueuse excroissance de stupidité, pourquoi n’as-tu pas pensé à te pourvoir d’un interprète connaissant le razdmoulien ? En neutralisant les facultés intellectuelles de cet homme tu l’as privé du mécanisme qui lui permet de convertir sa pensée, laquelle s’opère dans sa langue maternelle. Il est incapable de l’exprimer dans la nôtre. Ah, inconscient que je suis, brasse-bouillon, va-de-la-gueule, campeur de la stratégie, bâcleur. »

Je crie à la cantonade :

— Y a-t-il ici quelqu’un qui comprenne le razdmoulien ?

Ils s’entredévisagent, mes compagnons venus d’ailleurs. Ceux qui se connaissent chuchotent. Mais personne ne se propose. Faut dire, à leur défense, que le razdmoulien, hein ? Tu m’as compris ? C’est comme le monégasque, y a pas lulure de pratiquants, chez eux, même les professeurs ont besoin d’un traducteur pour enseigner le razdmoulien à leurs élèves.

— Minute ! enjoins-je.

Je bombe au poste de pilotage.

— Radio, dis-je au radio, demandez immédiatement qu’un traducteur razdmoulien se mette en contact avec vous ; c’est plus qu’urgent.

Il virgule ma requête à travers l’éther.

Dans le ciel 11 h 30.

L’organe métallique du Vieux.

Sa voix incisive (et même canine), faite pour critiquer, houspiller, ordonner, dénoncer, flétrir. Ils sont des chiées comme lui de par le monde exigu, d’est en ouest, du nord au sud, à humilier des gens pour des causes douteuses. Des chiées à faire trembler et à planter dans les âmes des besoins de meurtre, comme les jardiniers consciencieux plantent des poireaux dans des sillons tracés au cordeau. Eux tracent les sillons de la soumission avec le cordeau de l’autorité. Et cloc, cloc, cloc, te plantent les germes bien funestes qu’ils arrosent ensuite de leur mépris pour les vivifier, qu’ils poussent plus vite. Croissance rapide garantie !

Parfois, de l’entendre imposer, le Dabe, ça me mord dans les profondeurs : l’estom’, les couilles, le rectum, et le cœur aussi, bien sûr. Je me demande de quel droit il a le droit ? En vertu de quel critère obscur ? Tout pouvoir est un instrument de mutilation. Nous sommes tous des mutilés mutinés. Lui aussi est mutilé par d’autres. Et ainsi de suite. La chaîne infernale, ça s’appelle. Et le maillon suprême est mutilé par son pouvoir suprême, tu comprends ? On s’est foutu dans un drôle de truc, mon pauvre biquet. Etre homme, à ce compte-là, c’est de la témérité inconsciente.

Et le Vieux glapit qu’il n’a pas de razdmoulien sous la main. Qu’il faut amener Bézamé Moutch devant le micro et qu’on enregistrera ses réponses pendant qu’on se met en quête de l’interprète. Gain de temps ! Déjà qu’un supermarket vient de craquer à La Courneuve. Au lieu d’enfoncer les prix, c’est son plancher qui s’est enfoncé, celui du premier étage, tu juges ? Quarante-quatre morts, dont seize Arabes, soit, mais quand même ! Des blessés à la pelle, plein les caddies de Gascogne. Un jour de solde, avec la sardine presque donnée, la balayette de gogues gratuite contre un paquet de Lavetou qui lave plus et mieux pour les Français qui bougent.