Un bref silence ponctuateur.
— Tout cela pour vous dire que vous allez vous remuer les fesses, là-haut, bande de canaques. Si vous n’obtenez pas de résultats, ce ne sera pas la peine de redescendre.
Dans le ciel 12 heures pile[1].
Curieux de tenir une conférence de « travail » à bord d’un avion.
Curieux de statuer sur le cas d’un homme en sa présence. Curieux de foncer à quelque mille kilomètres heure dans le ciel, vers une direction où l’on n’a rien à branler.
Curieux de parler à des confrères venus d’horizons très multiples.
Je les considère sans joie ni grande confiance. Ils sont là, alignés le long de la travée, vaguement goguenards.
La colique ! Une fois de plus, notre image de marque en prend un coup. Nous autres, Français, on a la spécialité de réussir tout ce qu’on n’entreprend pas. Mais le reste foire. Nos entreprises sont mouillées au départ, comme par un fait exprès. Dommage. Ce serait marrant, qu’un jour on décide une chose, qu’on l’annonce et qu’on l’accomplisse au poil, selon les prévisions établies. Une fois, juste pour dire, voir l’effet que ça fait… Je viens de révéler à mon auditoire que l’Excellence nous a berlurés de première.
Alors, un Japonais lève la main après m’avoir écouté, et me dit, en anglais, mais ça ne fait rien, l’essentiel est de pouvoir communiquer, non ?
Il me dit, donc :
— Vous me permettez d’ausculter votre homme, cher confrère ?
Et d’expliquer, mon accord lui ayant été donné, qu’il a fait des études de médecine avant d’entrer dans la police, vu qu’avec ces cons, faut s’attendre à tout : photo, optique, Mikado, Honda, Yamamoto et le bigntz. Ils raflent les marchés, ils humilient le dollar, ils conchient le deutschmark, jouent au ping-pong, et continuent de cultiver la fleur de lotus dans des jardins grands comme des crachoirs ; ils font pousser des baobabs minuscules : Bonsai, ça s’appelle. Le nanisme, c’est leur pied, Jobert, leur rêve. Paris dans une bouteille. A trop bouffer de poissons, ils phosphorent à outrance. Le péril jaune, ma grand-mère craignait. Elle pronostiquait les Japs, bonne maman. Les voyait gagnants, gros comme une pagode. Elle se gênait moins des Chinois, la chérie. Pour elle, c’était juste des coolies d’automate, clappeurs de riz (un bol par semaine) traîneurs de pousse-pousse, bouclarès derrière leur Grande Muraille. Mais les petits Japs lui portaient à l’inquiétude. Elle sentait qu’ils allaient désinsulariser un de ces quatre morninges, accomplir la vaste expansion de part le monde. Qu’un jour, les réveille-matin à trois balles dont ils inondaient l’univers allaient exploser, poum, poum ! Donner le signal de leur monstre fourmillement. Le commandant Kichiduhoduma sur sa dunette, les yeux en trous de pine que, juste par la fente, on devinait la sauvagerie du regard reptilien. Je chocotais à ses récits, quand elle partait dans les radotes, les soirs d’hiver, devant nos grands bols de lait. Elle les prenait pour des Martiens, les fils du soleil levant et de la crème Eclipse. Implacables, cœurs de marbre. On y aurait tous droit. Ils nous minéraliseraient pour se débarrasser de nos pommes. Le reste du monde deviendrait une formide île de Pâques. On serait laguche, pétrifiés telle la mégère au père Loth, cette vilaine curieuse. Et on verrait grouillasser les Nippons (de la rivière Kwaï).
Je repense à bonne maman, à mater le petit flic japonouille, ancien docteur, futur mathématicien ou autre.
Il a converti la sangle de son Nikon en stéthoscope. Il pose le glafouilleur de l’instrument sur les tempes de Bézamé Moutch. Sur ses paupières, sa veine jugulaire, sa poitrine.
Qu’à la fin, il sourit comme une tirelire, le petit bougre, si mignard qu’il doit se fringuer au rayon garçonnet des Galeries Lafayette.
— Vous n’obtiendrez rien de lui, tant qu’il sera sous l’effet du jacto méningeur 12, assure-t-il, car il a été « élaboré ».
— Qu’entendez-vous par élaboré, monsieur l’inspecteur Vakunu ?
Il fend de petits yeux en entendant ma question.
— En France, vous ne connaissez pas « l’élaboration » ? s’étonne-t-il.
— Non, fais-je, nous avons l’eau chaude, le fil à couper le beurre, le sommier à ressorts et la vue sur le Mont-Blanc, mais nous ignorons totalement l’élaboration. De quoi s’agit-il ?
— Eh bien, d’un traitement spécial qui empêche un individu de céder à des pressions. Ce traitement affecte le lobe truculard inférieur du cerveau. On programme ce faisant le subconscient du sujet. Tant et si bien que, s’il y a volonté de blocage au départ, même en subissant la torture, il ne pourra exprimer autre chose que ce qui lui aura été injecté dans le mental. En l’occurrence, on lui a donné le Coran comme texte libératoire. Vous pourrez lui faire n’importe quoi, il ne proférera pas autre chose que le Coran, c’est son évanesceur de dégagement, comprenez-vous ? Sa propre volonté ne suffirait pas à le détourner de cette sortie compendieuse.
— Vous êtes certain que c’est le cas de cet homme, monsieur l’inspecteur Vakunu ?
— Absolument certain. Il présente toutes les caractéristiques d’un sujet « élaboré » : pression artério-faciale déclavetée, pulsation riboudinée au niveau du clorecteur fantasque, et enfin primordialité énucléante du crapahuteur flasque.
— Vous m’en direz tant, soupiré-je, convaincu par cette énumération. Donc, en conséquence, on ne peut rien espérer de lui ?
— Rigoureusement rien, monsieur le commissaire, affirme le petit homme (si jaune et déjà poilais, comme dit toujours Zabeth). Il a suffi qu’il ait l’instinct de refus, et il l’a eu, pour qu’il lui soit impossible de dévoiler quoi que ce soit. Or, le refus, ces gens le manifestent au fur et à mesure qu’ils se mettent en position clé, comprenez-vous ? Vous pensez bien que ce diplomate est un cerveau de son organisation et que, donc, il a subi tous les systèmes de protection spinaux étendus jusqu’aux muscles des gouttières vertébrales.
— Miséricorde ! balbutié-je, histoire de remettre à la mode une expression vieille comme les testicules du maréchal Tito.
On se tait. Seul, le chuintement soyeux des réacteurs produit un bruit de vitesse rêvée. Personne ne parle pendant un bout de moment. Et puis Bérurier se penche sur César Pinaud et lui chuchote l’on ne sait quoi à l’oreille. Le Débris hoche le chef. Lors, le Gravos m’interpelle :
— Siouplaît, Baron, si j’aurais bien pigé ce qu’a dit l’petit macaque à gueule de citron, y s’rait rigoristement impossib’ d’arracher quoi qu’ce fusse à not’ mec ?
— Hélas !
Le Mastar oppose son index à son pouce et s’arrache un poil de nez. Très belle prise, longue de cinq ou six centimètres et de couleur rousse. Il la fait miroiter à la lumière, puis la dépose verticalement, sa racine blanche à la base, sur le couvercle chromé du cendrier. Le poil tient debout, ce qui comble Bérurier d’allégresse.
Lors, il se dresse.
— Donc, pour nous résumer : tout est foutu ?
— Il semblerait.
— Alors tu va faire quoi t’est-ce ?
Je soupire :
— Neutraliser le client, comme la consigne nous en a été donnée, et demander au commandant de bord de nous ramener à Paris.
Le Mammouth dégrafe son pantalon pour renfouir sa chemise montgolfiante. Il opère dans la travée centrale, sous les regards conjugués de l’assistance.
— Et c’est ce dont tu comptes faire ? grommelle-t-il.
— Oui.
— J’peux t’demander une faveur, Gars ?
— Quelle est-elle ?
— Avant de faire ce qu’était prévu, tu veux pas me confier ce type un p’tit quart d’heure, à moi et à Pinuche, qu’on l’entreprendre à not’ manière.