Impossible de savoir ce qu’il me.
Une déflagration se produit qui secoue notre coucou de la tête à la queue. Illico, l’avion se met à tituber et pique du nez.
Le commandant de bord pousse un juron britannique. Darnned ! je crois qu’il exclame, comme dans les bouquins d’aventures, tu sais, quand le shérif s’aperçoit que le prisonnier s’est évadé.
La phonie est interrompue. Mes collègues poussent des beuglements de détresse dans leurs langues respectives. Nous plongeons en direction des flots terribles redoutés des mères à genoux que parle Hugo.
Je m’arc-boute, m’arc-cramponne au dossier du siège. J’invoque saint Antoine le pas doux. J’évoque maman. Et puis je vois tout ce ciel bien bleu, avec son soleil et je me dis que c’est pas possible de s’abîmer au sein profond des eaux, kif une boîte of sardines.
Une masse dévale jusqu’à mes pieds : Bérurier.
— Y avait une bombabord, clame-t-il. V’s’auriez pu vidanger l’appareil avant qu’on y monte, merde !
Et moi, dans un éclair, malgré l’hallucinant de la situasse, je pense :
« Il y a eu des fuites. On a su que Bézamé aimait prendre ce vol, alors on a piégé le zinc. »
Et, toujours dans un éclair (de chaleur) je me dis : « Tant mieux qu’on ait pu le faire accoucher de la liste avant que la bombe ne pète, des milliers de gens vont du moins être épargnés. »
Courageux, hein ?
Tu verrais le commandant Machin, je me souviens déjà plus comment je l’ai appelé, lui ; enfin, un Anglais, ça n’a pas d’importance. Toujours est-il qu’il a du cran, le gars ! La manière qu’il se propage sur son manche ! Et qu’il lance des directives à son second, ceci, cela, tout bien, d’une voix froide et calme. Et l’autre obéit sans paniquer. Il glomuge tel bistougnot, il aclapate tel autre, il fronisaille ceci, empétule cela, et toutim. Le radio essaie de raconter aux espaces ce qui nous survient, mais son frometoneur de basse fréquence a pété un joint de culasse dans l’aventure, et c’est bernique pour communiquer.
L’océan se rapproche. On vient de crever quelques nuages blanchâtres comme du mauvais coton. Je suis bloqué contre le dossier du siège. Il me semble, toutefois, que notre piqué est moins vertical. L’appareil retrouve un semblant d’assiette. Oh, ça n’est pas encore la divine horizontalité si chère aux funambules, mais la tendance y est.
Béru me dit, après être parvenu à s’agenouiller :
— Filons vers la queue, mec !
— Pourquoi ?
— Biscotte é s’plantera après le poste de pilotage, hé, peau de fesses !
Il a toujours eu la logique dans son camp, le Gros. Me rendant compte du bien-fondé de ses robustes paroles et, profitant de ce que le z’avion est de moins en moins vertical, nous entreprenons de « remonter » en direction de l’arrière, en nous agrippant à tout ce qui se propose.
L’appareil vibre comme une grosse mouche à merde contre un carreau fêlé. Nos compagnons, verts (y compris les Japonais, mais excepté l’Ivoirien) de peur, d’angoisse et de tout ce qu’il y a pour ton service, pendent dans leurs ceintures, excepté le cher Bézamé Moutch qui n’était pas attaché et qui gît contre un pied de fauteuil, le crâne un tantinet fendu dans le sens du chapeau de l’Empereur, mais pas mort pour autant, hélas. Le contenu de ses vagues s’est dispersé alentour, et l’idée me vient, malgré le critique, l’horreur et le reste de notre position, que, toujours à cause de sa qualité de diplomate, il n’a sûrement pas été fouillé. Alors, dans un sursaut professionnel que je te laisse le soin d’apprécier car je n’ai pas le temps de le faire personnellement, et d’une main, d’une seule, je chope les paperasses et objets étalés sur la moquette de l’avion pour les enfouir dans ma poche.
Le père Pinaud est occupé à battre briquet histoire de rallumer son mégot. Son côté saint-cyrien de quatorze-dix-huit. Impavide devant les périls, Pinuchet. Débris vaillant. Stoïque sur son siège : je meurs où je m’attache, kif le liseron !
— Tu viens ? lui dis-je en poursuivant mes reptations.
— Où cela ? s’informe le Bêlant.
— On va faire un tour…
Il enfonce son galure jusqu’à ses sourcils. Et puis se libère et entreprend de gagner les arrières, lui aussi.
Béru est arrivé le premier. S’est hissé sur un siège. Nous exhorte :
— Grouillez-vous, les mecs, c’est du peu au jus : on est bonnard pour la tasse. Je m’ai placé à l’issue de s’cours. On dirait qu’Ie pilote a réduit les gaz, non ? Maniez-vous, faut qu’vous serez attachés au moment de l’intact !
On s’hâte en effet. Le léger Pinuche a des velléités de valdingue et je dois le cramponner à tout instant. Enfin nous y voici. Le Gravos lui tend une main secourable.
— Pose-le, là, César et sois sage ! ordonne-t-il.
L’avion broute. Le brave commandant Trucmuche (je me rappelle toujours pas le blaze à la con que je lui avais affublé) fait tout ce qui est en son pouvoir pour limiter la catastrophe.
Nous autres, tout ce qu’on peut essayer, c’est de prier. Et c’est ce que font nos compagnons, espère. On tape tout azimut : Jésus, Bouddha, Mahomet, Confucius et leurs auxiliaires, tous les saints du paradis. De préférence, pas ceux qui sont surmenés par les quémandeurs : les Pierre, les Joseph, les Jean, les Paul, les Marie, Thérèse, Jeanne, mais les modestes, auxquels on ne pense pas et qui se les roulent, là-haut. Je te prends pour exemple des auréolés dans le genre de Godefroy, de Magne, de Nazaire, de Quentin, d’Evariste, de Servais, d’Anselme, de Fridolin. Tiens, saint Fridolin, qui donc aurait l’idée de le prier, cézigue-pâte, de lui présenter des requêtes à transmettre en haut lieu ? Tu t’imagines, recommandant tes os à saint Fridolin ? Il serait vachement ébaubi, le chéri, lui qui coince la bulle papale depuis si tant longtemps sur son nuage. Saint Pierre, on fait la queue devant son auréole. Il ne sait plus où donner de la barbe. Les obscurs peinards, eux, ne demandent qu’à se remuer. En plus, ça les flatte que quelqu’un pense à leurs pommes, tout soudain. Leur intercession n’en a que plus de vigueur. Ils disent au Seigneur : « Ecoutez, l’Antonio qui m’invoque, vous n’allez pas me faire passer pour un con, mon Dieu, pour une fois que quelqu’un me fait appel, merde ! »
Saint Fridolin, je te dis. C’est la bonne recette opportune. Et je lui pose la colle suivante : « Bon saint Fridolin, ineffable brailleur, toi que j’imagine plein de toiles d’araignée et de moisissure, chenu, barbu, kroumé à bloc, sors de ta léthargie pour supplier le Seigneur qu’Il nous sauve la mise à tous, du moins à nous trois, les fiers mousquetaires de la Poule. Certes nous sommes obscurcis de péchés et notre comportement n’a pas toujours été blanc-bleu, mais quoi, mince, on n’est que des bonshommes faiblards, des personnages en quête de hauteur. On aspire sans trop savoir. On est d’accord pour le bien, en se demandant par quel bout le choper, comprends-tu ? Alors manie-toi la rondelle, saint Fridolin. Y a urgerie. »
Et sur cette grande, belle, noble et ardente suppliance, on se plante dans la tisane atlantique, vraouffff ! Qu’un instant c’est le tonnerre de Zeus, ou plutôt de Jupiter, vu les flots. Tout paraît se disloquer, on s’enfonce dans la tisane. Un vrai submersible, comme on appelle dans les récits de guerre. Un mérou qui passait nous mate, incrédule, par le hublot. Je n’ai pas perdu conscience, ni confiance. Brisé, mais intact. Le Pinaud, par contre, a la tronche toute de traviole, pourvu qu’il ne se soit pas énuqué, ce con ! Notre carcasse métallique oscille, puis redresse sa couette. Que j’essaie de t’expliquer, au fur de l’à mesure de ma compréhension. Une aile a sauté dans le choc, celle de droite. Alors l’épave demeure immergée à moitié, de sa partie droite. On se trouve penchés à je ne sais pas combien de degrés. En plus, la partie avant est également sous l’eau. Et ça bouillonne terriblement fort car le cockpit a éclaté.