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PÉTALE : Une fort jolie voiture, monsieur, la Daimler. Puis-je avoir votre manteau ?

TROISIÈME VOIX : Qu’est-ce qui se passe, Swain ? On ne pouvait pas se rencontrer chez Brown ?

SWAIN : Retirez votre manteau, Robin. Elle est partie.

TROISIÈME VOIX : Partie ?

SWAIN : Pour la Conurb. Tôt ce matin.

TROISIÈME VOIX : Mais ce n’est pas le moment…

SWAIN : Vous croyez que c’est moi qui l’ai expédiée là-bas ?

La réponse de l’homme résonna, indistincte, perdue derrière une porte qui se refermait.

— C’était Lanier ? demanda Kumiko, en silence, par le seul mouvement des lèvres.

— Oui, répondit Colin. Pétale l’a appelé par son nom lors d’une conversation antérieure. Swain et Lanier ont passé trente-cinq minutes ensemble.

Bruit de verrou, de mouvements.

SWAIN : Un putain de bordel, pas ma faute. Je vous avais averti à son sujet, je vous avais dit de les prévenir. Une tueuse-née, sans doute psychopathe…

LANIER : C’est votre problème, pas le mien. Vous avez besoin de leurs produits et de ma coopération.

SWAIN : Et c’est quoi, votre problème à vous, Lanier ? Pourquoi êtes-vous dans ce coup ? Simplement pour vous débarrasser de Mitchell ?

LANIER : Où est mon manteau ?

SWAIN : Pétale, le manteau de M. Lanier, merde !

PÉTALE : Monsieur…

LANIER : J’ai l’impression qu’ils ont autant envie de récupérer votre fille-rasoir qu’Angie. Elle fait manifestement partie du règlement. Ils la prendront, elle aussi.

SWAIN : Eh bien, grand bien leur fasse. Elle est déjà en position, dans la Conurb. Je l’ai eue au téléphone, il y a une heure. Je vais la mettre en contact avec mon homme de confiance sur place, celui qui a pris les dispositions pour la… fille. Et vous-même, vous y retournez ?

LANIER : Dès ce soir.

SWAIN : Eh bien alors, pas de problème.

LANIER : Au revoir, Swain.

PÉTALE : C’est un vrai salaud, ce mec.

SWAIN : J’aime pas ça, j’aime vraiment pas ça…

PÉTALE : Vous aimez quand même la marchandise, non ?

SWAIN : De ce côté là, j’peux pas m’plaindre, mais d’après toi, pourquoi veulent-ils également Sally ?

PÉTALE : Dieu seul le sait. Eux, je leur souhaite bien du plaisir…

SWAIN : Eux… j’aime pas quand on parle d’« eux »…

PÉTALE : Ils risquent de pas être trop ravis quand ils apprendront qu’elle s’est barrée de sa propre initiative, en embarquant la fille de Yanaka…

SWAIN : Non. Mais nous avons récupéré Mlle Yanaka. Demain, je dirai à Sally que Prior est à Baltimore, pour peaufiner la fille…

PÉTALE : Tout ça, c’est vraiment pas joli, joli…

SWAIN : Tu m’apporteras une cafetière pleine, à mon bureau.

Elle était étendue sur le dos, les yeux clos, tandis que les enregistrements de Colin se dévidaient dans sa tête par accès direct au nerf auditif. Swain semblait conduire la majeure partie de ses négociations dans la salle de billard, ce qui voulait dire qu’elle entendait seulement les gens arriver et repartir, donc seulement le début et la fin des conversations. Deux hommes, dont l’un pouvait être celui au visage rubicond, poursuivaient une discussion interminable sur les courses de lévriers et la cote du lendemain. Puis elle écouta avec un intérêt tout particulier Swain et l’homme des Services spéciaux se mettre d’accord sur un point particulier, juste sous le buste en marbre, alors que l’invité s’apprêtait à partir. Elle interrompit ce segment de l’enregistrement une demi-douzaine de fois pour demander des éclaircissements. Colin hasarda quelques explications.

— C’est un pays absolument corrompu, remarqua-t-elle, profondément outrée.

— Peut-être pas plus que le vôtre, répondit-il.

— Mais avec quoi Swain paie-t-il tous ces gens ?

— De l’information. Je dirais que notre Monsieur Swain est récemment entré en possession d’une source de renseignements de première qualité et qu’il s’échine à la convertir en pouvoir. En me fondant sur ce que nous avons entendu, je me risquerai à affirmer que c’est sans doute même sa principale activité depuis quelque temps. Ce qui est manifeste, en tout cas, c’est qu’il est en train de grimper, de prendre de l’importance. Il y a des preuves évidentes qu’il est actuellement un homme bien plus influent qu’il ne l’était encore la semaine dernière. Rien que cet accroissement des effectifs de son personnel…

— Il faut que je prévienne… mon amie.

— Shears ? La prévenir de quoi ?

— De ce qu’a dit Lanier. Qu’elle ferait partie du même lot qu’Angela Mitchell.

— Où est-elle donc ?

— Dans la Conurb. Dans un hôtel.

— Téléphonez-lui. Mais pas d’ici. Z’avez de l’argent ?

— Une carte à puce MitsuBank.

— Elles ne marchent pas dans nos cabines, désolé. Pas de pièces ?

Elle se leva du lit et tira soigneusement les divers spécimens de monnaie britannique qui s’étaient accumulés au fond de son sac.

— Tenez, dit-elle en exhibant une épaisse pièce dorée. Dix livres.

— Il en faut déjà deux comme ça rien que pour un appel urbain.

Elle remit dans son sac la pièce de dix.

— Non, Colin. Pas par téléphone. Je connais une meilleure solution. Je veux partir d’ici. Tout de suite. Aujourd’hui. Voulez-vous m’aider ?

— Certainement, répondit-il, bien que je vous conseille de n’en rien faire.

— Mais je le ferai quand même.

— Très bien. Comment comptez-vous procéder ?

— Je leur dirai que j’ai besoin de faire des courses.

27. SALE GARCE

La femme avait dû entrer peu après minuit, estima-t-elle plus tard, car c’était après que Prior fut revenu avec la seconde bourriche de crabes. Ils avaient effectivement de bons crabes à Baltimore, et revenir d’une passe lui ouvrait toujours l’appétit, aussi l’avait-elle persuadé de retourner en chercher. Gerald venait régulièrement lui changer ses timbres sur les bras ; elle lui adressait à chaque fois son plus beau sourire niais, vidait en le pressant contre le mur le tranquillisant sitôt qu’il avait le dos tourné puis se recollait le timbre. Finalement, Gerald dit qu’elle ferait bien de dormir un peu ; il éteignit les lumières et régla la fausse fenêtre au niveau le plus bas, un crépuscule rouge sang.

Quand elle fut de nouveau seule, elle glissa la main entre le lit et le mur, trouva l’Élec-Trique dans sa cachette sous la mousse.

Elle s’endormit sans le vouloir, dans le rougeoiement de la fenêtre pareil à un coucher de soleil sur Miami, et elle devait avoir rêvé d’Eddy, ou en tout cas du Hooky Green, rêvé qu’elle dansait avec quelqu’un, là-haut au quarante-deuxième étage, parce que lorsque la redescente la réveilla, elle ne savait plus au juste où elle était mais elle gardait clairement dans la tête l’itinéraire pour sortir du Hooky Green, comme si elle avait su qu’il valait mieux prendre l’escalier pour éviter d’éventuels problèmes…

Elle était à moitié sortie du lit quand Prior passa la porte – la passa au sens propre parce qu’elle était encore fermée lorsqu’il la percuta : il la traversa à reculons et le battant explosa en une gerbe d’esquilles et de plaques d’isorel à nids d’abeilles.

Elle le vit heurter le mur, puis le sol, puis ne plus bouger du tout et déjà quelqu’un d’autre s’encadrait dans l’embrasure, à contre-jour : tout ce qu’elle pouvait distinguer de son visage était ces deux courbes de lumière rouge reflétant le crépuscule factice.

Elle remonta les jambes sur le lit, se laissa glisser contre le mur, la main glissant déjà vers…