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— Voilà toutes les grosses boîtes bien connues. Les corporations. Un paysage quasiment immuable, pourrait-on dire. Parfois, l’une ou l’autre développe une annexe, ou bien on assiste à une capture et deux d’entre elles fusionnent. Mais tu auras peu de chances d’en voir une nouvelle, à cette échelle en tout cas. Elles commencent toutes petites et grossissent, puis se fondent avec d’autres petites formations… (Il tendit la main pour effleurer un autre bouton.) Il y a quatre heures environ (un mince cylindre vertical blanc uni apparut au centre exact de l’affichage), voilà ce qui a surgi dans le paysage. Ou s’y est incrusté, plutôt.

Les cubes, sphères et pyramides colorés s’étaient instantanément réarrangés pour faire place à la colonne blanche ; elle les écrasait entièrement, son tronçon supérieur nettement découpé par la limite supérieure du champ d’affichage.

— Cette saloperie est plus grosse que tout, dit Tic-Tac avec une certaine satisfaction, et personne ne sait à quoi ou à qui elle appartient.

— Mais quelqu’un doit bien le savoir, observa Kumiko.

— Ça paraît logique, oui. Mais les gens dans ma branche, et on est quand même trois millions, n’ont pas été fichus de trouver. Par certains côtés, c’est même plus étrange que la présence de cet objet. J’ai parcouru la trame de bout en bout, avant ton arrivée, à la recherche d’un pirate qui détiendrait un indice. Rien. Que dalle.

— Comment cette 3Jane pourrait-elle être morte ? (Puis elle se souvint du Finnois, des boîtes dans le bureau de son père.) Il faut que je le dise à Sally.

— Rien d’autre à faire qu’attendre, dit-il. Elle téléphonera sans doute. En attendant, on pourrait toujours tenter d’accéder à ce petit bijou d’I.A. que t’as là, si ça te dit…

— Oui, dit-elle, merci.

— Espérons simplement que les types des Services spéciaux à la solde de Swain ne viendront pas te dénicher ici. Malgré tout, nous sommes condamnés à attendre…

— Oui, dit Kumiko, que cette perspective n’enchantait pas du tout.

35. LA GUERRE DE LA FABRIQUE

Cherry le trouva de nouveau avec le Juge, en bas, dans l’obscurité. Il était assis sur l’un des Enquêteurs, une torche à la main, éclairant la carapace de rouille polie du Juge. Il n’avait aucun souvenir d’être arrivé ici mais décelait la lisière déchiquetée de la Korsakov. Il se rappela les yeux de la fille, dans cette pièce que Bobby avait dite être située à Londres.

— Gentry a branché le Comte et son boîtier sur une console de cyberspace, dit Cherry. Tu es au courant ?

La Ruse acquiesça, les yeux toujours posés sur le Juge.

— Bobby a dit qu’on avait intérêt.

— Alors, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-il arrivé quand vous vous êtes interfacés tous les deux ?

— Gentry et Bobby, ils se sont plus ou moins trouvé des atomes crochus. Z’ont tous les deux le même genre de folie. Une fois interfacés, on s’est d’abord retrouvés quelque part en orbite, mais Bobby n’était pas là… Puis au Mexique, je crois. Qui est Tally Isham ?

— C’était une reine de la stim du temps où j’étais petite. Comme Angie Mitchell aujourd’hui.

— Mitchell, c’était sa poule…

— À qui ?

— À Bobby. Il en parlait à Gentry, à Londres.

— Londres ?

— Ouais. On y est allés aussi, après le Mexique.

— Et il a dit qu’il était le pote à Angie Mitchell ? Ça paraît dingue.

— Ouais, mais il a expliqué aussi que c’était comme ça qu’il était tombé dessus, sur ce fameux aleph. (Il fit descendre le faisceau de sa torche pour le diriger vers les mandibules d’acier squelettiques du Hache-corps.) En fréquentant des rupins, il en a entendu parler. Ils appelaient ce bidule l’envoûteur. Ceux qui le détenaient louaient du temps dessus à des types friqués. Bobby l’a essayé une fois puis il est revenu pour le piquer. Il l’a emporté au Nouveau-Mexique et c’est là qu’il a commencé à passer tout son temps dessus. Mais ils ont fini par le retrouver…

— On dirait que la mémoire te revient, en tout cas…

— Alors, il en est ressorti. Il est monté à Cleveland, a passé un marché avec Afrika, en lui donnant de l’argent pour qu’il le cache et s’occupe de lui pendant qu’il était câblé, parce qu’il sentait qu’il était tout près…

— Tout près de quoi ?

— J’sais pas. Un truc bizarre. Comme quand Cherry cause de la Forme.

— Eh bien, fit-elle, je crois que ça risque de le tuer, s’il reste ainsi branché en permanence. Ses paramètres vitaux commencent à déconner. Ça fait trop longtemps qu’il est sous perfusion. C’est pour ça que je suis venue…

Les entrailles bardées de crocs d’acier du Hache-corps étincelaient sous l’éclat de la torche.

— C’est ce qu’il veut. En tout cas, s’il a payé le Kid, c’est comme si vous bossiez pour lui. Mais ces types que l’Oiseau a vus aujourd’hui, eux, ils travaillent pour les gens de L.A., ceux à qui Bobby a piqué l’aleph…

— Dis-moi un truc…

— Quoi donc ?

— C’est quoi, ces machins que tu construis ? Afrika disait que t’étais ce Blanc fêlé qui fabriquait des robots en ferraille de récupération. Y disait qu’en été tu les sortais dehors pour organiser de grands combats…

— Ce ne sont pas des robots, la coupa-t-il. (Il tourna le faisceau de la lampe vers les bras courts terminés par des faux de la Sorcière aux pattes d’araignée.) Pour l’essentiel, ils sont radiocommandés.

— Tu les construis simplement pour les démolir ?

— Non. Mais il faut que je les essaie. Voir si je les ai montés comme il faut… (Il éteignit sa torche.)

— Le Blanc fêlé… T’as une nana, dans le coin ?

— Non.

— Va prendre une douche. Et puis rase-toi, peut-être…

Soudain, elle était tout près de lui, il sentait son haleine contre son visage.

OK, vous autres, écoutez voir un peu…

— Merde, qu’est-ce que…

— Parce que je ne le redirai pas deux fois…

La Ruse avait déjà plaqué la main sur la bouche de Cherry.

— On veut récupérer votre invité et tout son équipement. C’est tout. Je répète, tout l’équipement. (La voix amplifiée résonnait dans la caverne d’acier de la Fabrique.) Vous pouvez nous le donner maintenant, sans histoires, ou alors on vous liquide tous. Sans faire d’histoires non plus. Vous avez cinq minutes pour réfléchir.

Cherry lui mordit la main.

— Merde, laisse-moi respirer quand même.

Mais déjà, il fonçait au pas de course dans les ténèbres de la Fabrique ; il l’entendit derrière lui prononcer son nom.

Une unique ampoule de cent watts brûlait au-dessus de l’entrée sud de la Fabrique, deux portes en acier, tordues et grêlées de rouille. L’Oiseau devait avoir oublié de l’éteindre. Depuis sa cachette près d’une fenêtre vide, la Ruse pouvait tout juste entrevoir l’aéroglisseur, un peu à l’écart du faible cône de lumière. L’homme au porte-voix sortit à pas lents de l’obscurité, avec une nonchalance calculée, censée indiquer qu’il maîtrisait la situation. Il portait une combinaison léopard isolante, avec une capuche serrée sur la tête et des lunettes. Il leva son mégaphone. Plus que trois minutes. La Ruse trouva qu’il ressemblait aux matons du pénitencier.