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«Pourquoi veux-tu partir tout de suite? Tu n'aimes pas le jardin?»

«Si, il est très beau», dit Mondo. Il cherchait sur le visage de la petite femme un signe de colère. Mais elle continuait à sourire. Ses yeux bridés avaient une expression curieuse, comme les chats. Autour des yeux et de la bouche, il y avait des rides profondes, et Mondo pensait que la femme était vieille.

«Viens voir la maison aussi», dit-elle.

Elle montait le petit escalier en demi-lune et elle ouvrait la porte.

«Viens donc!»

Mondo entrait derrière elle. C'était une grande salle presque vide, éclairée sur les quatre côtés par de hautes fenêtres. Au centre de la salle, il y avait une table de bois et des chaises, et sur la table un plateau laqué portant une théière noire et des bols. Mondo restait immobile sur le seuil, regardant la salle et les fenêtres. Les fenêtres étaient faites de petits carreaux de verre dépoli, et la lumière qui entrait était encore plus chaude et dorée. Mondo n'avait jamais vu une lumière aussi belle.

La petite femme était debout devant la table et elle versait le thé dans les bols.

«Est-ce que tu aimes le thé?»

«Oui», dit Mondo.

«Alors viens t'asseoir ici.»

Mondo s'asseyait lentement sur le bord de la chaise et il buvait. Le breuvage était couleur d'or aussi, il brûlait les lèvres et la gorge.

«C'est chaud», dit-il.

La petite femme buvait une gorgée sans bruit.

«Tu ne m'as pas dit qui tu étais», dit-elle. Sa voix était comme une musique douce.

«Je suis Mondo», dit Mondo.

La petite femme le regardait en souriant. Elle semblait plus petite encore sur sa chaise.

«Moi, je suis Thi Chin.»

«Vous êtes chinoise?» demandait Mondo. La petite femme secouait la tête.

«Je suis vietnamienne, pas chinoise.»

«C'est loin, votre pays?»

«Oui, c'est très très loin.»

Mondo buvait le thé et sa fatigue s'en allait.

«Et toi, d'où viens-tu? Tu n'es pas d'ici, n'est-ce pas?»

Mondo ne savait pas trop ce qu'il fallait dire.

«Non, je ne suis pas d'ici», dit-il. Il écartait les mèches de ses cheveux en baissant la tête. La petite femme ne cessait pas de sourire, mais ses yeux étroits étaient un peu inquiets soudain.

«Reste encore un instant», dit-elle. «Tu ne veux pas partir tout de suite?»

«Je n'aurais pas dû entrer dans votre jardin», dit Mondo. «Mais la porte était ouverte, et j'étais un peu fatigué.»

«Tu as bien fait d'entrer», dit simplement Thi Chin. «Tu vois, j'avais laissé la porte ouverte pour toi.»

«Alors vous saviez que j'allais venir?» dit Mondo. Cette idée le rassurait.

Thi Chin faisait oui de la tête, et elle tendait à Mondo une boîte de fer-blanc pleine de macarons.

«Tu as faim?»

«Oui», dit Mondo. Il grignotait le macaron en regardant les grandes fenêtres par où entrait la lumière.

«C'est beau», dit-il. «Qu'est-ce qui fait tout cet or?»

«C'est la lumière du soleil», dit Thi Chin.

«Alors vous êtes riche?»

Thi Chin riait.

«Cet or-là n'appartient à personne.»

Ils regardaient la belle lumière comme dans un rêve.

«C'est comme cela dans mon pays», disait Thi Chin à voix basse. «Quand le soleil se couche, le ciel devient comme cela, tout jaune, avec de petits nuages noirs très légers, on dirait des plumes d'oiseau.»

La lumière d'or emplissait toute la pièce et Mondo se sentait plus calme et plus fort, comme après avoir bu le thé chaud.

«Tu aimes ma maison?» demandait Thi Chin.

«Oui madame», disait Mondo. Ses yeux reflétaient la couleur du soleil.

«Alors c'est ta maison aussi, quand tu veux.»

C'est comme cela que Mondo avait fait connaissance avec Thi Chin et la Maison de la Lumière d'Or. Il était resté longtemps dans la grande salle à regarder les fenêtres. La lumière restait jusqu'à ce que le soleil disparaisse complètement derrière les collines. Même à ce moment-là, les murs de la salle étaient si imprégnés d'elle que c'était comme si elle ne pouvait pas s'éteindre. Puis l'ombre était venue, et tout était devenu gris, les murs, les fenêtres, les cheveux de Mondo. Le froid était venu aussi. La petite femme s'était levée pour allumer une lampe, puis elle avait emmené Mondo dans le jardin pour regarder la nuit. Au-dessus des arbres, les étoiles brillaient et il y avait un mince croissant de lune.

Cette nuit-là, Mondo avait dormi sur des coussins, au fond de la grande salle. Il avait dormi là les autres nuits aussi, parce qu'il aimait bien cette maison. Quelquefois, quand la nuit était chaude, il dormait dans le jardin, sous le laurier, ou sur les marches du perron, devant la porte. Thi Chin ne parlait pas beaucoup, et c'est peut-être pour cela qu'il l'aimait bien. Depuis qu'elle lui avait demandé son nom et d'où il venait, la première fois, elle ne lui posait plus de questions. Simplement, elle le prenait par la main et elle lui montrait des choses amusantes, dans le jardin, ou dans la maison. Elle lui montrait les cailloux qui ont des formes et des dessins bizarres, les feuilles d'arbre aux nervures fines, les graines rouges des palmiers, les petites fleurs blanches et jaunes qui poussent entre les pierres. Elle lui portait dans sa main des scarabées noirs, des mille-pattes, et Mondo lui donnait en échange des coquilles et des plumes de mouette qu'il avait trouvées au bord de la mer.

Thi Chin lui donnait à manger du riz et un bol de légumes rouges et verts à moitié cuits, et toujours du thé chaud dans les petits bols blancs. Quelquefois, quand la nuit était très noire, Thi Chin prenait un livre d'images et elle lui racontait une histoire ancienne. C'était une longue histoire qui se passait dans un pays inconnu où il y avait des monuments aux toits pointus, des dragons et des animaux qui savaient parler comme les hommes. L'histoire était si belle que Mondo ne pouvait pas l'entendre jusqu'au bout. Il s'endormait, et la petite femme s'en allait sans faire de bruit, après avoir éteint la lampe. Elle dormait au premier étage, dans une chambre étroite. Le matin, quand elle se réveillait, Mondo était déjà parti.

Il y avait des feux sur la plupart des collines, parce qu'on approchait de l'été. Dans la journée, on voyait les grandes colonnes de fumée blanche qui tachaient le ciel, et la nuit il y avait des lueurs rouges inquiétantes, comme des braises de cigarette. Mondo regardait souvent du côté des incendies, quand il était sur la plage, ou bien quand il montait le chemin d'escaliers vers la maison de Thi Chin. Un après-midi, il était même rentré plus tôt que d'habitude pour arracher les mauvaises herbes qui poussaient autour de la maison, et quand Thi Chin lui avait demandé ce qu'il faisait, il avait dit:

«C'est pour que le feu ne puisse pas venir ici.»

Maintenant qu'il dormait presque toutes les nuits dans la Maison de la Lumière d'Or, ou dans le jardin, il avait moins peur de la camionnette grise du Ciapacan. Il n'allait plus dans les cachettes des rochers, près de la digue. Dès que le jour se levait, il partait se baigner dans la mer. Il aimait bien la mer transparente du matin, le bruit étrange des vagues quand on a la tête sous l'eau, et les cris des mouettes dans le ciel. Puis il allait voir du côté du marché, pour décharger quelques caisses, et pour glaner les fruits et les légumes. Il les rapportait ensuite à Thi Chin pour le repas du soir.

Après midi, il allait parler un peu avec le Gitan, qui était assis à rêver sur le marchepied de sa voiture. Ils ne se disaient pas grand-chose, mais le Gitan avait l'air content de le voir. Le Cosaque venait ensuite, avec une bouteille d'alcool. Il était toujours un peu saoul, et il criait avec sa grosse voix:

«Hé! Mon ami Mondo!»

Il y avait aussi une femme qui venait quelquefois, une grosse femme au visage rouge et aux yeux très clairs, qui savait lire l'avenir dans les mains des passants; mais Mondo s'en allait quand elle arrivait, parce qu'il ne l'aimait pas.