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Une grande femme dans un tailleur rose se tenait debout derrière la vieille. La grande femme appela lentement l'enfant, sur un ton de menace souriante:

— Thooomas…

L'enfant se précipita dans les bras de sa grand-mère.

— Voilà, fit la grande femme.

Elle tira brutalement la grand-mère et l'enfant vers elle et pénétra dans l'appartement à reculons. Elle se tenait droit dans son tailleur rose Diana. Une grande femme Neuilly-Chanel dont les bracelets tintinnabulaient.

— Entrez donc, docteur, dit-elle aimablement, et fermez la porte derrière vous.

Postel-Wagner fit ce qu'elle disait.

Ce ne fut qu'une fois la porte refermée qu'il vit le revolver dans la main de la femme.

— Eh! oui, dit la femme, on s'attend à un neveu, et on tombe sur une nièce. Je ne pouvais pas être à la fois à Belleville et ici. La police progresse dans l'art du signalement.

La nièce était grande, vraiment, et large, un air guilleret sur un visage parsemé de taches de rousseur qu'éclairaient deux yeux verts, étrangement lumineux. Blonde permanente, larges épaules, muscles longs et denses, poignets de lutteur, jambes musclées. «Travesti? se demanda Postel-Wagner. Non, de la hanche et pas de pomme: femme battante», décida-t-il.

La nièce tira la grand-mère et l'enfant jusqu'à un petit salon, et leur fit signe de s'asseoir dans un vieux canapé.

Puis elle se laissa tomber dans un fauteuil, croisa ses longues jambes et, du bout de son arme, désigna un siège au médecin légiste.

Quand Postel-Wagner se fut assis, la nièce regarda longuement l'enfant et dit enfin, d'une voix sincèrement désolée:

— Ce n'est pas bien, ce que tu as fait là, Thomas.

Elle avait une voix aigrelette de garçonnet.

— Attirer le docteur dans un traquenard, c'est vraiment pas bien.

Elle hochait une tête pédagogue.

— Pourquoi as-tu fait ça?

La grand-mère serrait l'enfant contre elle, la tête du petit était enfouie sous son aisselle.

— Regarde-moi, quand je te parle, Thomas. Pourquoi as-tu fait ça?

L'enfant dégagea son visage et Postel-Wagner fut stupéfait d'y lire de la surprise mêlée à la terreur.

La nièce lui souriait.

— Parce que je te l'ai demandé?

L'enfant fit oui de la tête.

— Oui? s'étonna la nièce dont le regard prit tout à coup le médecin à témoin. Oui? Alors si je t'avais demandé de te jeter dans la Seine, tu te serais jeté dans la Seine? Tu fais tout ce qu'on te demande de faire, Thomas?

— Vous avez dit… balbuda l'enfant… grand-mère…

— J'ai dit que je tuerais ta grand-mère si tu ne ramenais pas le docteur, c'est ça?

L'enfant acquiesça en reniflant.

— Bien sûr que je l'aurais tuée, admit gravement la nièce.

Puis, se penchant vers l'enfant:

— Mais ce n'était pas une raison pour trahir le docteur. Un héros, un vrai, aurait sacrifié sa grand-mère plutôt que de trahir un ami. Ils faisaient ça les héros, pendant la Résistance. Le docteur est ton ami! Il a sauvé ta grand-mère! Il a soigné ton panaris! C'est un ami! Un vrai! Hein?

— Oui, lâcha l'enfant.

— Et tu l'as trahi! Je suis très déçue, Thomas. Et je suis sûre que ta grand-mère ne t'approuve pas. N'est-ce pas, madame?

«Je lui saute dessus, pensa Postel-Wagner, je les jette par la fenêtre, elle, son flingue et son fauteuil.» Il s'en sentait la force, tout à coup.

Mais la nièce lui fit un clin d'œil.

— Bougez seulement un doigt, docteur, et je loge une balle dans la hanche de grand-mère. Après tout, c'est pour ça que vous êtes venu, non?

Elle eut un petit rire. Une explosion charmante.

— Ça soulagerait la conscience de Thomas.

Elle se tut un instant. Puis, navrée:

— Ça ne fait rien, c'est tout de même une drôle de jeunesse que nous avons là. Et dire qu'il faut parler d'avenir avec ça…

— Justement, intervint Postel-Wagner, si nous parlions d'avenir?

La nièce le regarda comme si elle ne l'avait pas compris. Elle réfléchit un long moment, puis, sans quitter Postel-Wagner des yeux, elle continua de s'adresser à l'enfant:

— Tu sais, Thomas, il n'est pas si bien que ça, comme ami, le docteur.

L'enfant regarda brièvement Postel-Wagner.

— Il a enfermé mon oncle dans un frigo, dit la nièce.

L'enfant ne répondit pas.

— Qu'est-ce que tu dis de ça? Enfermer mon oncle dans un frigo…

— Il est peut-être mort? dit l'enfant dans un sursaut.

— Mort? répéta la nièce. Mon oncle? Non, non, il n'est pas mort. Pourquoi dis-tu ça?

Elle ajouta:

— Les gens ne meurent jamais quand on les aime vraiment.

Puis, de nouveau penchée sur l'enfant, et détachant chacun de ses mots:

— Si ta grand-mère meurt un jour, mon peut Thomas, c'est que tu ne l'auras pas assez aimée.

Les mains de Postel-Wagner se crispèrent sur les accoudoirs de son fauteuil.

— Ce n'est pas vrai? lui demanda la nièce avec une pointe de candeur. C'est toujours d'amour blessé qu'on meurt, non?

— Votre «oncle» vous attend depuis deux jours, coupa Postel-Wagner.

— Il m'attend?

Le visage de la nièce s'illumina d'une joie enfantine.

— Alors, on y va?

Elle sauta sur ses pieds et battit des mains.

— On y va?

Une seconde, Postel-Wagner demeura interdit. Puis, se levant lentement:

— Allons-y.

— Formidable! dit la nièce.

Et, comme ils sortaient du salon pour gagner le couloir de l'entrée, elle s'exclama gaiement:

— Vous restez assis dans le canapé, tous les deux, hein? Vous ne bougez pas, surtout. Sinon, je tue le docteur. D'accord?

La grand-mère et le petit-fils la regardèrent sans un mot.

— Je le jure sur vos deux têtes!

Elle désigna les deux têtes du bout de son canon. La grand-mère et le petit-fils étaient incapables du moindre mouvement.

— Bon, allons-y.

Postel-Wagner entendit le parquet craquer sur toute la longueur du couloir. Il sentit le canon du revolver s'enfoncer dans ses côtes quand il posa la main sur la poignée de la porte d'entrée.

— On ne bouge plus, docteur.

Postel-Wagner suspendit le mouvement et fit mine de se retourner.

— Ne vous retournez pas, je vous ai assez vu, fit la nièce sèchement.

Postel-Wagner garda la pose.

— Le père Beaujeu à la télé en quête de famille, ce n'était pas mal, admit-elle. Je me suis laissé avoir. Sinon, je n'aurais pas envoyé quelqu'un se renseigner à Belleville. Mais avec vos voitures banalisées, vous m'avez vraiment prise pour une conne. Vous ne savez donc pas que ça pue, un flic? Même à travers une voiture? Même à travers un cercueil, je reconnaîtrais une odeur de flic! Combien en avez-vous, dans votre morgue, qui jouent les infirmiers? Deux? Trois? Plus?

Postel-Wagner ne répondit pas.

— Bon, fit la nièce, vous en avez.

«Eh, merde!» pensa Postel-Wagner.

— Heureusement que j'ai rencontré le petit Thomas et son panaris, hier…

— Hier?

Postel-Wagner avait sursauté.

La bouche de la nièce vint se coller à son oreille.

— Hier, à midi, oui! Un enfant qui sort d'une morgue, ce n'est pas courant. Je lui ai posé deux ou trois questions…

Silence.

— Et je me suis occupée d'eux toute la nuit. La vieille et lui. Je les ai un peu préparés…