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«Oh! non…» gémit intérieurement le médecin.

— Alors, voilà mes instructions. Je vous veux ici à deux heures du matin, avec une ambulance et le père Beaujeu à l'intérieur. Deux heures du matin. Question de circulation. Je ne veux pas être prise dans des encombrements et je ne veux pas être suivie. Il me faudra du matériel pour dépiauter le corps aussi, je suis loin de mes bases. Vous savez ce dont j'ai besoin, après tout nous sommes dans la même partie.

— Vous ne préférez pas que je le fasse moi-même à la morgue? demanda Postel-Wagner.

Un petit rire courut sur la peau de son cou.

— Non, docteur, murmura la nièce à son oreille. Primo, vous saloperiez le boulot, secundo, vous me priveriez d'un grand plaisir. Tertio, je tiens à vous emmener en promenade tous les trois, avec mon oncle.

Changement de ton.

— Deux heures précises. Vous vous garerez tout contre la porte de l'immeuble. Vous ouvrirez la portière du passager sans sortir de l'ambulance. Je descendrai avec la vieille et le panaris. A la moindre embrouille, je les abats tous les deux.

Elle fit une pause et reprit:

— Ne réfléchissez pas. N'essayez pas de trouver une autre solution. Déconseillez à vos amis de tenter un siège. Ça prend du temps un fort Chabrol. La grand-mère et le petit-fils y mourraient… de terreur.

Postel-Wagner se taisait.

— Compris?

— Compris.

La nièce émit un soupir de soulagement. Puis, sur un ton badin:

— Et pas de flic allongé sur une civière qui jouerait les morts à la place de mon oncle, hein? Evitez ce genre de bêtise. Vous et mon oncle. Rien que la famille.

Silence.

— Vous conduirez et nous suivrons l'itinéraire de mon choix. Si on nous file, vous êtes morts tous les trois. Si on s'en sort, je vous lâche dans la nature quand tout sera fini. Correct?

Postel-Wagner ne répondit pas.

— Autre chose. Dites-vous que jusqu'à deux heures du matin je vais continuer à leur parler. Vous avez entendu ce que je suis capable de faire avec des mots? Alors soyez à l'heure, ne prolongez pas leurs souffrances. Un peu d'humanité, quoi. Sinon, vous récupérerez deux cinglés qui n'oseront plus jamais écouter qui que ce soit. Et tel que je vous devine, vous vous en voudrez pour le reste de vos jours.

35

A deux heures du matin précises, l'ambulance vint se ranger contre la porte de l'immeuble. Postel-Wagner se pencha, ouvrit la portière du passager sur l'obscurité du hall.

Et son cœur commença d'égrener les secondes.

La porte de l'ascenseur claqua, quelque part dans les étages. Les câbles vibrèrent. La cage descendit en chuintant. Elle s'annonça par un halo de lumière qui se répandit comme une flaque sur le carrelage du hall. Puis la cage s'immobilisa dans un soubresaut. Postel-Wagner vit sortir l'enfant d'abord, petite silhouette rigide sur le carrelage irisé. La grand-mère suivait, tête soudée sur son cou. Postel-Wagner sursauta. On parlait, derrière la vieille femme.

— Mais non, s'exclamait la voix aigrelette de la nièce, ce n'est pas vraiment grave… Une petite semaine de repos après l'opération et il n'y paraîtra plus.

Le volume du hall étouffa les quelques mots prononcés par la seconde voix.

— Indispensable! claironna la nièce, elle pourrait en mourir si on attendait encore.

Le ton de la nièce était celui de la compétence.

— C'est souvent le cas pour ces opérations bénignes. Trois fois rien, et si on traîne… hop!

L'enfant atteignit le premier la porte du hall. Il s'immobilisa comme un jouet téléguidé, le regard vide, les membres raides. La vieille femme s'arrêta derrière lui. Ses deux mains s'agrippèrent aux épaules de son petit-fils. Postel-Wagner se demanda si c'était un geste de protection ou un réflexe de noyée.

— Si elle avait été mieux conseillée… continuait la voix de la nièce.

Et Postel la vit enfin.

Elle portait une blouse blanche. Elle affichait un sourire professionnel. Elle parlait en gesticulant avec un homme âgé. Le vieil homme approuvait timidement.

— Je suis ravie que vous soyez d'accord avec nous! affirma la nièce en s'immobilisant à son tour dans l'encadrement de la grande porte.

— A nos âges, nous avons besoin de repos, c'est un fait, admit le vieil homme.

— Et de voisins discrets, enchaîna la nièce.

Elle regardait franchement son interlocuteur. Ses yeux verts souriaient.

— A son retour, dit-elle en désignant la grand-mère de Thomas, soyez gentil, faites-vous moins encombrant… comme voisin, je veux dire… ne la dérangez pas à tout bout de champ.

Le vieil homme eut un mouvement de surprise.

— Je ne vous dis pas de ne plus lui rendre visite, corrigea la nièce, sur un ton compréhensif, je vous demande juste de ne pas trop la fatiguer.

— Oui, bien sûr, docteur… balbutia le vieil homme.

— Oh! non, protesta la nièce dans un rire clair, moi, je ne suis que l'infirmière! Le docteur, c'est lui, dans l'ambulance. Regardez…

Le vieil homme se pencha. Postel-Wagner croisa un regard chargé de surprise, de timidité et de gratitude.

— Allons, laissez-nous monter, à présent.

La nièce redressa l'homme et le poussa de côté, mais sans lâcher son épaule.

— Monte, Thomas.

Son autre main flanqua une tape sèche sur le crâne de l'enfant qui vint se blottir contre Postel-Wagner.

— Pas si près, corrigea la nièce, il faut que le docteur puisse passer les vitesses. Réfléchis un peu.

Thomas recula, comme sous l'effet d'une décharge électrique.

— Voilà, fit la nièce. A vous, maintenant.

Deux doigts dans les côtes — une frappe de serpent —, la vieille femme cassée en deux fut jetée sur le siège, à côté de son petit-fils. Dans le même mouvement, la nièce se retrouva derrière le vieil homme et le plaqua contre la porte arrière.

— Où alliez-vous, à une heure pareille?

L'homme voulut répondre, mais la pression et la douleur de son bras retourné lui coupèrent le souffle.

— A votre âge! Vous n'avez pas honte?

Le vieil homme eut un sanglot de frayeur. La nièce relâcha un peu son étreinte.

— Ouvrez la portière.

Les doigts du vieil homme tâtonnèrent, il trouva la poignée et parvint à ouvrir. Il fut arraché à la voiture, repoussé violemment, et pendant qu'il s'affalait sur le carrelage du hall, la portière arrière de l'ambulance claqua et la crosse du revolver s'abattit sur le crâne de Cissou que recouvrait un drap blanc.

— Bon, fit la nièce, ce n'est pas un flic et il est très mort.

Elle arracha le drap, exposant le corps tatoué à la lueur des réverbères.

— Et c'est bien mon oncle… murmura-t-elle.

Puis, toute joyeuse:

— Regarde, Thomas, comme c'est beau, un oncle à héritage.

L'enfant ne se retourna pas. Postel-Wagner sentait les ondes de sa frayeur.

— Fouette cocher, c'est parti! s'exclama la nièce en tapotant l'épaule du docteur.

Le médecin légiste embraya et l'ambulance s'engagea doucement dans l'avenue déserte.

La nièce continuait dans la joie.

— Vous avez remarqué, docteur? Je ne me suis pas trouvée exposée une seule fois pendant toute l'opération. Toujours couverte par le corps d'un autre. L'art du bouclier!

Elle s'était penchée sur le dossier du siège avant.

— Retiens bien ça, mon petit Thomas. L'homme doit être un bouclier pour la femme.

Postel-Wagner enclencha la seconde en douceur.

Une deuxième fois, la crosse du revolver siffla. En trois coups secs elle pulvérisa le système radio de l'ambulance.