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— C'était méthodique. Une pièce après l'autre.

Elle a ajouté:

— J'ai dû déclencher un système de mise à feu en entrant dans le bureau.

Le képi tenait sa visière bien droite au-dessus du désastre.

— Vous y avez vu quelqu'un, dans ce bureau?

— Je ne crois pas, non. Mais ça s'est passé si vite! La première explosion a créé une réaction en chaîne.

— D'où veniez-vous?

— Des Rochas, derrière les Revoux.

— A pied?

— A pied. On nous a volé notre camion.

— Quel camion?

— Un camion de location. Nous devions déménager les films.

— En accord avec le propriétaire?

— Oui. M. Bernardin a fait de moi sa légataire, pour ce qui concerne le fonds de sa cinémathèque.

— Legs enregistré?

— Oui. J'avais un fax, dans le camion. M. Bernardin devait me remettre l'acte avec les bobines.

— Et monsieur?

— C'est mon ami. Il m'accompagnait. Il m'a sortie de la maison.

— Vous confirmez?

— Point par point.

Questions sans arrière-pensée. Interrogatoire sans ton. La voix? Tenue par l'uniforme. Correcte. A peine un timbre. Les autres gendarmes photographiant et fouillant les alentours, les pompiers épuisant l'eau de la région dans ce cratère en fusion.

— Voilà le docteur.

Un blond médecin qui se penche sur le visage de Julie et déclare que ce n'est pas trop grave.

— Plus impressionnant que grave.

Pommade, gaze, bandes. Ma Julie momifiée.

— Je ne vous fais pas mal?

— Ça va.

— Vous avez dû avoir peur pour vos yeux.

— Un peu. Benjamin m'a enroulé la tête dans sa chemise.

— Bon réflexe. Tendez vos mains. Ce sont les poignets, surtout, qui sont brûlés… Vous avez dû vous protéger le visage en fermant les poings et en croisant les bras.

Le pays tout entier qui converge dans la vallée de Loscence. Et les copains de Julie, attirés comme les autres par l'incendie d'abord, puis la découvrant elle, debout, à côté de l'estafette. Emus, mais connaissant la musique: pas d'émotion apparente avec la Juliette.

CHAPAYS (à propos des bandages): Tu sais que ça te va bien?

MAZET: Un rien l'habille, la Juliette.

JULIE (faisant les présentations): Robert, Aimé. Benjamin.

Paluches. Solides, les paluches. Passablement burinées par les hivers, les trognes amicales.

CHAPAYS (regardant l'incendie): Saloperie. Tu parles d'un feu de la Saint-Jean. Il y a quelqu'un à l'intérieur?

JULIE: Je ne crois pas, je n'ai vu personne.

MAZET: D'un autre côté, ça a du bon. Chaque fois que des Parisiens montent jusqu'ici, ça nous fait trente ans de conversations.

Malgré les circonstances, ce qui secoue Julie sous la ouate et les bandages ressemble à un rire bref.

LE DOCTEUR: Ne bougez pas.

LE GENDARME: Vous vous connaissez?

CHAPAYS: Depuis tout petits. C'est la Juliette. Tu vas pas lui faire des misères, au moins?

LE GENDARME: A priori, non.

Chapays et Mazet échangent un regard qui condamne en bloc les a priori et autres a posteriori. Les a fortiori ne s'en sortent pas mieux. On sent que la Juliette relève du sacré, et que la maréchaussée serait bien venue de communier sous ses auspices.

CHAPAYS: Si tu as besoin de quelque chose, Juliette…

MAZET: On est là.

Et de redescendre donner la main aux pompiers qui s'activent autour de l'éruption.

— Voilà, dit le docteur en nouant le dernier pansement. Quand la douleur se réveillera, vous prendrez ça, deux cachets toutes les trois heures, et ça.

Exit le docteur. Le vent du nord s'est réveillé, affolant les colonnes d'étincelles. Frisson bref du sergent, sous sa chemise bleue.

— Vous êtes du pays? demande Julie.

L'adjudant-chef s'autorise un sourire.

— Ni moi ni aucun de mes hommes. C'est un principe dans la gendarmerie. Ce serait impossible, autrement. Non, je suis alsacien.

La grange s'effondre à son tour. Une brochette de sièges est projetée dans l'espace.

— C'était leur cinémathèque, explique Julie.

— Vous avez une idée? demande l'adjudant-chef. Je veux dire… Qui pouvait leur en vouloir à ce point?

Julie hésite une seconde.

— Non… Je ne vois pas.

Conversation presque rêveuse, interrompue par l'irruption d'un autre képi.

— Venez voir, chef! Venez! On a trouvé quelque chose.

Et, à nous:

— Venez aussi, vous pourrez peut-être nous aider.

Il passe devant.

— C'est là-haut, sur le chemin de Maupas.

Il grimpe à travers la broussaille. Nous suivons. Il passe un chemin pierreux et s'enfonce dans une forêt d'épicéas dont les basses branches tombent en poussière.

— Regardez!

Pour regarder, nous regardons.

Je crois même n'avoir jamais tant regardé.

Ni tant vu.

Là, devant nous, au beau milieu d'une clairière, à demi camouflé par des branches coupées: notre camion.

Le camion blanc de notre voyage.

Aucun doute possible.

— C'est notre camion, dit Julie.

— Celui qu'on vous a volé?

— Oui.

Un troisième gendarme a ouvert les doubles battants de la porte arrière. Le camion est rempli de bobines.

L'adjudant-chef ne bronche pas. Il se contente de grimper en invitant Julie à le suivre. Il lit à voix haute des titres de films sur des boîtes de fer-blanc.

— C'est la cinémathèque de M. Bernardin?

— Oui, dit Julie.

— Et c'est bien le camion qu'on vous a volé?

— Oui, répond un de ses hommes. On a retrouvé les papiers de location dans la boîte à gants. Corrençon, c'est ça? Mademoiselle Julie Corrençon?

— C'est ça, dit Julie.

Question de l'adjudant-chef à son subalterne:

— Vous avez trouvé un fax, signé Bernardin?

Réponse:

— Pas de fax, chef.

L'adjudant-chef à Julie:

— Où l'aviez-vous rangé?

Julie secoue une tête sans illusions.

— Avec les papiers, dans la boîte à gants.

— Pas de fax dans la boîte à gants, chef, répète le subalterne.

Moi, à toute allure:

— Le vol du camion a été enregistré par deux agents qui ont déposé leur rapport au commissariat central de Valence.

Comme c'est étrange, cette sensation de ne pas croire soi-même ce qu'on dit, tout en sachant que c'est la vérité vraie. Le sol qui s'ouvre sous vos pieds… La chute libre sous la terre ferme…

*

— Je suis désolé, dit l'adjudant-chef en raccrochant.

Et je sais ce qu'il va nous annoncer entre les quatre murs de sa gendarmerie de montagne: le commissariat de Valence ne confirme pas. La main encore posée sur le téléphone, le gendarme secoue la tête négativement. Il a vraiment l'air désolé. Ce n'est pas un de ces flics qui justifie son existence de flic en préférant le mensonge à la vérité. Il aime les citoyens innocents. Il aurait préféré que le commissariat de Valence confirme. Mais le commissariat de Valence ne confirme pas.

— Aucune plainte n'a été déposée ce matin pour vol de camion.

Julie se tait.

Julie a compris.

Julie mesure la perfidie de l'arnaque.

La profondeur du gouffre.

Moi seul continue à me débattre. Mais en nourrissant autant d'illusions qu'un hareng dans un filet de la Baltique.

— Il y avait un autre client de l'hôtel à qui on a volé sa voiture! Et la jeune fille de garde, qui peut en témoigner. Celle qui nous a accueillis le soir, et réveillés le matin, à l'arrivée des deux inspecteurs.