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Le docteur disait :

— Je n’ai pas besoin de vous vanter les avantages de la natation sèche qui ne mouille le corps que de transpiration et n’expose, par conséquent, notre baigneur imaginaire à aucun accident rhumatismal.

Mais un garçon vint le chercher, une carte à la main.

— Le duc de Ramas, mon cher, je vous quitte. Excusez-moi.

Paul, resté seul, se retourna. Les deux cavaliers trottaient de nouveau. M. Aubry-Pasteur marchait toujours ; et les trois Auvergnats haletaient, les bras rompus, les reins cassés à secouer ainsi leurs clients. Ils avaient l’air de moudre du café.

Quand il fut dehors, Brétigny aperçut le Docteur Honorat regardant avec sa femme les préparatifs de la fête. Ils se mirent à causer, les yeux levés sur les drapeaux qui auréolaient la colline.

— C’est à l’église que se forme le cortège ? demanda l’épouse du médecin.

— C’est à l’église.

— À trois heures ?

— À trois heures.

— MM. les professeurs y seront ?

— Oui. Ils accompagneront les marraines.

Les dames Paille l’arrêtèrent ensuite. Puis les Monécu père et fille. Mais comme il devait déjeuner, en tête à tête avec son ami Gontran, au Café du Casino, il y monta à petits pas. Paul, arrivé la veille, n’avait point vu seul à seul son camarade depuis un mois ; et il voulait lui conter beaucoup d’histoires du boulevard, histoires de filles et de tripots.

Ils étaient restés à bavarder jusqu’à deux heures et demie, quand Petrus Martel les prévint qu’on se rendait à l’église.

— Allons chercher Christiane, dit Gontran.

— Allons, reprit Paul.

Ils la trouvèrent debout sur le perron du nouvel hôtel. Elle avait les joues creuses, le teint bistré des femmes enceintes, et sa taille fortement bosselée annonçait une grossesse de six mois au moins.

— Je vous attendais, dit-elle : William est parti en avant. Il a tant de choses à faire aujourd’hui.

Elle leva sur Paul Brétigny un regard plein de tendresse et prit son bras.

Ils se mirent en route doucement, évitant les pierres. Elle répétait :

— Comme je suis lourde ! Comme je suis lourde ! Je ne sais plus marcher. J’ai si peur de tomber !

Il ne répondait pas et la soutenait avec précaution, sans chercher à rencontrer ses yeux qu’elle tournait sans cesse vers lui.

Une foule compacte les attendait devant l’église.

Andermatt cria :

— Enfin, enfin ! Dépêchez-vous donc ! Tenez, voici l’ordre : deux enfants de chœur, deux chantres en surplis, la croix, l’eau bénite, le prêtre, puis Christiane avec M. le professeur Cloche, Mlle Louise avec M. le professeur Rémusot et Mlle Charlotte avec M. le professeur Mas-Roussel. Viennent ensuite le conseil d’administration, le corps médical, puis le public. C’est compris. En avant !

Le personnel ecclésiastique sortit alors de l’église, et prit la tête de la procession. Puis un grand monsieur à cheveux blancs rejetés derrière les oreilles, le savant classique, suivant la forme académique, s’approcha de Mme Andermatt en la saluant profondément.

Quand il se fut redressé, il partit à côté d’elle, nu-tête pour montrer sa belle chevelure scientifique, le chapeau sur la cuisse, l’air imposant comme s’il eût appris à marcher à la Comédie-Française et à faire voir au peuple sa rosette d’officier de la Légion d’honneur, trop grande pour un homme modeste.

Il causait :

— Monsieur votre époux, Madame, me parlait de vous, tout à l’heure, et de votre état qui lui inspire quelques inquiétudes d’affection. Il m’a dit vos doutes et vos hésitations sur le moment probable de votre délivrance.

Elle était devenue rouge jusqu’aux tempes et elle murmura :

— Oui, je me suis crue mère bien longtemps avant de l’être. Maintenant je ne sais plus… je ne sais plus…

Elle balbutiait, toute confuse.

Une voix disait derrière eux :

— Cette station a le plus grand avenir. J’obtiens déjà des effets surprenants.

C’était le professeur Rémusot s’adressant à sa compagne Louise Oriol. Il était petit, celui-là, avec des cheveux jaunes mal peignés, une redingote mal coupée, l’air malpropre du savant crasseux.

Le professeur Mas-Roussel, qui donnait le bras à Charlotte Oriol, était un beau médecin, sans barbe ni moustaches, souriant, soigné, à peine grisonnant, un peu gras, et dont la douce figure rasée ne semblait ni d’un prêtre ni d’un acteur, comme celle du Docteur Latonne.

Le conseil d’administration venait ensuite, conduit par Andermatt, et dominé par les coiffures gigantesques des deux Oriol.

Derrière eux marchait encore une compagnie de hauts chapeaux, le corps médical d’Enval, auquel manquait le Docteur Bonnefille, remplacé d’ailleurs par deux nouveaux médecins, le Docteur Black, un vieil homme très court, presque un nain, dont l’excessive dévotion avait surpris le pays entier dès le jour de son arrivée, puis un très beau garçon, très coquet, coiffé, lui, d’un petit chapeau, le Docteur Mazelli, un Italien attaché à la personne du duc de Ramas, d’autres disaient à la personne de la duchesse.

Et derrière eux le public, un flot de public, de baigneurs, de paysans et d’habitants des villes voisines.

La bénédiction des sources fut très courte. L’abbé Litre les aspergea l’une après l’autre avec l’eau bénite, ce qui fit dire au Docteur Honorat qu’il allait leur donner des propriétés nouvelles avec le chlorure de sodium. Puis toutes les personnes spécialement invitées entrèrent dans la grande salle de lecture, où une collation était servie.

Paul disait à Gontran :

— Comme les petites Oriol sont devenues jolies !

— Elles sont charmantes, mon cher.

— Vous n’avez pas vu M. le président ? demanda soudain aux jeunes gens l’ancien geôlier surveillant.

— Oui, il est dans le coin là-bas.

— C’est que le père Clovis amasse du monde devant la porte.

Déjà, en allant aux sources pour les bénir, la procession tout entière avait défilé devant le vieil invalide, guéri l’année d’avant, et redevenu à présent plus paralytique que jamais. Il arrêtait les étrangers sur les routes, et les derniers venus de préférence pour leur conter son histoire :

— Chéjeaux-là, voyez-vous, cha ne vaut rien, cha garit, ché vrai, et pi on r’tombe, mais on r’tombe prechque mort. Moi, j’avais les jambo qu’allaient pu, à ch’t’heure, v’là que j’ perds les bras, par chuite de la cure. Et mes jambo, ch’est du fer, mais du fer qu’on couperio plutôt que d’ le plier.

Andermatt, désolé, avait essayé de le faire emprisonner, en le poursuivant judiciairement pour préjudice causé aux eaux du Mont-Oriol, et tentative de chantage. Mais il n’avait pu réussir à obtenir une condamnation ni à lui fermer la bouche.

Aussitôt informé que le vieux jasait devant la porte de l’établissement, il s’élança pour le faire taire.