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Puis, se tournant vers Christiane :

— Je vous confie à notre ami Brétigny, ma chère ; mais ne restez pas longtemps dehors, ménagez-vous. Vous pourriez attraper froid, vous savez. Prenez garde, prenez garde !

Elle murmura :

— Ne craignez rien, mon ami.

Et Andermatt entraîna Gontran.

Dès qu’ils furent seuls, un peu loin de la foule, le banquier s’arrêta.

— Mon cher, c’est de votre situation financière que je veux vous parler.

— De ma situation financière ?

— Oui ! La connaissez-vous, votre situation financière ?

— Non. Mais vous devez la connaître pour moi, puisque vous me prêtez de l’argent.

— Eh bien, oui, je la connais, moi ! Et c’est pour cela que je vous en parle.

— Il me semble au moins que le moment est mal choisi… au milieu d’un feu d’artifice !

— Le moment est fort bien choisi, au contraire. Je ne vous parle pas au milieu d’un feu d’artifice ; mais avant un bal…

— Avant un bal ?… Je ne comprends pas.

— Eh bien, vous allez comprendre. Votre situation, la voici : Vous n’avez rien, que des dettes ; et vous n’aurez jamais rien que des dettes…

Gontran reprit avec sérieux :

— Vous me dites cela un peu crûment.

— Oui, parce qu’il le faut. Écoutez-moi : Vous avez mangé la part de fortune qui vous revenait de votre mère. N’en parlons plus.

— N’en parlons plus.

— Quant à votre père, il possède trente mille francs de rente, soit un capital de huit cent mille francs environ. Votre part sera donc, plus tard, de quatre cent mille francs. Or, vous me devez, à moi, cent quatre-vingt-dix mille francs. Vous devez en outre à des usuriers…

Gontran murmura d’un air hautain :

— Dites à des juifs.

— Soit, à des juifs, bien qu’il y ait dans le nombre un marguillier de Saint-Sulpice qui s’est servi d’un prêtre comme intermédiaire entre lui et vous… mais je ne chicanerai pas pour si peu… Vous devez donc à divers usuriers, israélites ou catholiques, à peu près autant. Mettons cent cinquante mille, au bas mot. Cela fait un total de trois cent quarante mille francs dont vous payez les intérêts en empruntant toujours, sauf pour les miens, que vous ne payez point.

— C’est juste, dit Gontran.

— Alors, il ne vous reste plus rien.

— Rien, en effet… que mon beau-frère.

— Que votre beau-frère, qui en a assez de vous prêter de l’argent.

— Alors ?

— Alors, mon cher, le moindre paysan logé dans une de ces huttes, là-bas, est plus riche que vous.

— Parfaitement… et après ?

— Après… après… Si votre père mourait demain, il ne vous resterait plus, pour manger du pain, pour manger du pain, entendez-vous, qu’à accepter une place d’employé dans ma maison. Et ce serait encore là un moyen de déguiser la pension que je vous ferais.

Gontran dit, d’un ton irrité :

— Mon cher William, ces choses-là m’embêtent. Je les sais d’ailleurs aussi bien que vous, et, je vous le répète, le moment est mal choisi pour me les rappeler avec… avec… avec aussi peu de diplomatie…

— Permettez, laissez-moi finir. Vous ne pouvez vous tirer de là que par un mariage. Or, vous êtes un parti déplorable, malgré votre nom qui sonne bien, sans être illustre. Enfin, il n’est pas de ceux qu’une héritière, même israélite, paye d’une fortune. Donc, il faut vous trouver une femme acceptable et riche, ce qui n’est pas très commode…

Gontran l’interrompit :

— Nommez-la tout de suite, ça vaut mieux.

— Soit : une des filles du père Oriol, à votre choix. Et voici pourquoi je vous en parle avant le bal.

— Et maintenant, expliquez-vous plus longuement, reprit Gontran d’une voix froide.

— C’est bien simple. Vous voyez le succès que j’ai obtenu, du premier coup, avec cette station. Or, si j’avais entre les mains, ou, plutôt si nous avions entre les mains toutes les terres conservées par ce finaud de paysan, j’en ferais de l’or. Pour ne parler que des vignes qui vont de l’établissement à l’hôtel et de l’hôtel au Casino, je les payerais un million demain, moi, Andermatt. Or, ces vignes-là et les autres, tout autour de la butte, seront les dots des petites. Le père me le disait encore tantôt, non sans intention, peut-être. Eh bien…, si vous vouliez, nous pourrions faire là une grosse affaire, tous les deux ?…

Gontran murmura, en ayant l’air de réfléchir :

— C’est possible. J’y penserai.

— Pensez-y, mon cher, et n’oubliez pas que je ne parle jamais que de choses très sûres, après y avoir beaucoup songé, et quand je connais toutes les conséquences possibles et tous les avantages certains.

Mais Gontran, levant un bras, s’écria comme s’il venait d’oublier brusquement tout ce que lui avait dit son beau-frère :

— Regardez ! Que c’est beau !

Le bouquet s’allumait, simulant un palais embrasé sur lequel un drapeau flambant portait Mont-Oriol en lettres de feu toutes rouges, et, en face de lui, au-dessus de la plaine, la lune, rouge aussi, semblait apparue pour contempler ce spectacle. Puis, quand le palais, après avoir brûlé quelques minutes, fit explosion ainsi qu’un navire saute, en projetant dans le ciel entier des astres de fantaisie qui éclataient à leur tour, la lune resta toute seule, calme et ronde sur l’horizon.

Le public applaudissait avec rage, criait :

— Hourra ! Bravo ! Bravo !

Andermatt dit soudain :

— Allons ouvrir le bal, mon cher. Voulez-vous danser en face de moi le premier quadrille ?

— Mais oui, certainement, mon cher beau-frère.

— Qui avez-vous l’intention d’inviter ? Moi, j’ai retenu la duchesse de Ramas.

Gontran répondit avec indifférence :

— Moi j’inviterai Charlotte Oriol.

Ils remontèrent. Comme ils passaient devant la place où Christiane était restée avec Paul Brétigny, ils ne les aperçurent plus.

William murmura :

— Elle a écouté mon conseil, elle est partie se coucher. Elle était très lasse aujourd’hui.

Et il s’avança vers la salle de bal que les hommes de service avaient préparée pendant le feu d’artifice.

Mais Christiane n’était point rentrée dans sa chambre, ainsi que le pensait son mari.

Dès qu’elle s’était sentie seule avec Paul, elle lui avait dit tout bas, en lui serrant la main :

— Te voici donc venu, je t’attends depuis un mois. Tous les matins, je me demandais : Est-ce aujourd’hui que je le verrai ?… Et tous les soirs je me disais : Ce sera demain alors ?… Pourquoi as-tu tardé si longtemps, mon amour ?

Il répondit avec embarras :

— J’ai eu des occupations, des affaires.

Elle se penchait sur lui, murmurant :

— Ça n’était pas bien de me laisser seule ici, avec eux, surtout dans ma situation.

Il écarta un peu sa chaise :

— Prends garde, on pourrait nous voir. Ces fusées éclairent tout le pays.

Elle n’y pensait guère ; elle dit :

— Je t’aime tant !

Puis, avec des tressaillements de joie :

— Oh ! Que je suis heureuse, que je suis heureuse de nous retrouver ensemble, ici ! Y songes-tu ? Paul, quelle joie ! Comme nous allons nous aimer encore !