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Au bout d’une heure, ils étaient intimes. Le lendemain, à la sortie du bain, il se fit présenter à Christiane dont il gagna la sympathie en dix minutes de conversation, et la mit en relations le jour même avec la duchesse, qui n’aimait point non plus la solitude.

Il veillait à tout dans la maison des Espagnols, donnait au chef d’excellents conseils sur la cuisine, à la femme de chambre des avis précieux sur l’hygiène de la tête pour conserver aux cheveux de sa maîtresse leur brillant, leur nuance superbe et leur abondance, au cocher des renseignements fort utiles de médecine vétérinaire, et il savait rendre les heures courtes et légères, inventer des distractions, trouver dans les hôtels des connaissances de passage toujours choisies avec discernement.

La duchesse disait à Christiane, en parlant de lui :

— C’est un homme merveilleux, chère Madame, il sait tout, il fait tout. C’est à lui que je dois ma taille.

— Comment, votre taille ?

— Oui, je commençais à engraisser et il m’a sauvée avec son régime et ses liqueurs.

Il savait, d’ailleurs, rendre intéressante la médecine elle-même tant il en parlait avec aisance, avec gaîté et avec un scepticisme léger qui lui servait à convaincre ses auditeurs de sa supériorité.

— C’est bien simple, disait-il, je ne crois pas aux remèdes. Ou plutôt je n’y crois guère. La vieille médecine partait de ce principe qu’il y a remède à tout. Dieu, croyait-on, dans sa divine mansuétude avait créé des drogues pour tous les maux, seulement il avait laissé aux hommes, par malice peut-être, le soin de découvrir ces drogues. Or, les hommes en ont découvert un nombre incalculable sans jamais savoir au juste à quel mal convient chacune. En vérité, il n’y a pas de remèdes ; il y a seulement des maladies. Quand une maladie se déclare, il faut en interrompre le cours suivant les uns, le précipiter, suivant les autres, par un moyen quelconque. Chaque école préconise son procédé. Dans le même cas, on voit employer les méthodes les plus contraires et les médications les plus opposées : la glace par l’un et l’extrême chaleur par l’autre, la diète par celui-ci et la nourriture forcée par celui-là. Je ne parle pas des innombrables produits vénéneux tirés des minéraux ou des végétaux que la chimie nous procure. Tout cela agit, il est vrai, mais personne ne sait comment. Quelquefois ça réussit, et quelquefois ça tue.

Et, avec beaucoup de verve, il indiquait l’impossibilité d’une certitude, l’absence de toute base scientifique tant que la chimie organique, la chimie biologique ne serait pas devenue le point de départ d’une médecine nouvelle. Il racontait des anecdotes, des erreurs monstrueuses des plus grands médecins, prouvait l’insanité et la fausseté de leur prétendue science.

— Faites fonctionner le corps, disait-il, faites fonctionner la peau, les muscles, tous les organes et surtout l’estomac, qui est le père nourricier de la machine entière, son régulateur et son magasin de vie.

Il affirmait qu’à son gré, rien que par le régime il pouvait rendre les gens gais ou tristes, capables de travaux physiques ou de travaux intellectuels, selon la nature de l’alimentation qu’il leur imposait. Il pouvait même agir sur les facultés cérébrales, sur la mémoire, sur l’imagination, sur toutes les manifestations de l’intelligence. Et il terminait, en plaisantant, par ces mots :

— Moi, je soigne par le massage et le curaçao.

Il disait merveille du massage et parlait, comme d’un dieu, du hollandais Hamstrang, qui accomplissait des miracles. Puis, montrant ses mains fines et blanches :

— Avec ça on peut ressusciter les morts.

Et la duchesse ajoutait :

— Le fait est qu’il masse dans la perfection.

Il préconisait aussi les alcools, en petites proportions pour exciter l’estomac à certains moments ; et il faisait des mélanges, savamment combinés, que la duchesse devait boire, à heures fixes, soit avant, soit après ses repas.

On le voyait chaque jour arriver au Café du Casino, vers neuf heures et demie, et demander ses bouteilles. On les lui apportait fermées par de petits cadenas d’argent dont il avait la clef. Il versait un peu de l’une, un peu de l’autre, lentement, dans un verre bleu fort joli que tenait avec respect un valet de pied très correct.

Puis le docteur ordonnait :

— Voilà ! Portez à la duchesse, dans son bain, pour boire avant de s’habiller, en sortant de l’eau.

Et quand on lui demandait avec curiosité :

— Qu’est-ce que vous avez là-dedans ?

Il répondait :

— Rien que de l’anisette fine, du curaçao très pur et du bitter excellent.

Ce beau médecin, en quelques jours, devint le point de mire de tous les malades. Et toutes les ruses étaient employées pour lui arracher quelques avis.

Quand il passait par les allées du parc, à l’heure de la promenade, on n’entendait que ce cri : « Docteur ! » sur toutes les chaises où étaient assises les belles dames, les jeunes dames, qui se reposaient un peu, entre deux verres de la source Christiane. Puis lorsqu’il s’était arrêté, un sourire sur la lèvre, on l’entraînait quelques instants dans le petit chemin qui longeait la rivière.

On lui parlait d’abord de choses et d’autres, puis discrètement, adroitement, coquettement, on arrivait à la question de santé, mais d’une façon indifférente comme si on eût touché à un fait divers.

Car il n’était point, celui-là, à la dévotion du public. On ne le payait pas, on ne pouvait l’appeler chez soi, il appartenait à la duchesse, rien qu’à la duchesse. Cette situation même excitait les efforts, irritait les désirs. Et comme on affirmait tout bas que la duchesse était jalouse, très jalouse, ce fut entre toutes ces dames une lutte acharnée pour obtenir les conseils du joli docteur italien.

Il les donnait sans se faire trop prier.

Alors, entre les femmes qu’il avait favorisées de ses avis, commença le jeu des confidences intimes pour bien prouver sa sollicitude.

— Oh ! Ma chère, il m’a fait des questions, mais des questions…

— Très indiscrètes ?

— Oh ! Indiscrètes ! Dites effrayantes. Je ne savais absolument que répondre. Il voulait savoir des choses… mais des choses…

— C’est comme pour moi ! Il m’a beaucoup interrogée sur mon mari !…

— Moi aussi… avec des détails… si… si personnels ! C’est fort gênant, ces questions-là. Cependant on comprend bien que c’est nécessaire.

— Oh ! Tout à fait. La santé dépend de ces menus détails. Moi il m’a promis de me masser, à Paris, cet hiver. J’en ai grand besoin pour compléter le traitement d’ici.

— Dites, ma chère, que comptez-vous faire ? On ne peut pas le payer ?

— Mon Dieu ! J’avais l’intention de lui donner une épingle de cravate. Il doit les aimer, car il en a déjà deux ou trois fort jolies…

— Oh ! Comme vous m’embarrassez. La même idée m’était venue. Alors je lui donnerai une bague.

Et on complotait des surprises pour lui plaire, des cadeaux ingénieux pour le toucher, des gentillesses pour le séduire.