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Et elles rougissaient, en effet, toutes les deux ; et Louise balbutiait de son air grave :

— Oh ! Monsieur, comme vous êtes fou !

Il répondait :

— Bah ! Vous en entendrez bien d’autres plus tard, dans le monde, quand vous serez mariée, ce qui ne tardera pas. C’est alors qu’on vous en fera, des compliments !

Christiane et Paul Brétigny l’approuvaient d’avoir ramené Louise Oriol ; le marquis souriait, amusé par ce marivaudage enfantin ; Andermatt pensait : « Pas bête, le gaillard. » Et Gontran, irrité du rôle qu’il lui fallait jouer, porté par ses sens vers Charlotte et par son intérêt vers Louise, murmurait entre ses dents, avec des sourires pour celle-ci :

— Ah ! Ton gredin de père a cru me jouer ; mais je vais te mener tambour battant, ma petite ; et tu verras si je m’y prends bien.

Et il les comparait en les regardant l’une après l’autre. Certes, la plus jeune lui plaisait davantage ; elle était plus drôle, plus vivante, avec son nez un peu relevé, ses yeux vifs, son front étroit et ses belles dents un peu trop grandes, dans sa bouche un peu trop large.

Cependant, l’autre était aussi jolie, plus froide, moins gaie. Elle n’aurait jamais d’esprit, celle-là, ni de charme dans la vie intime, mais quand on annoncerait à l’entrée d’un bal : « Madame la comtesse de Ravenel », elle pourrait bien porter son nom, mieux que la cadette peut-être, avec un peu d’habitude et de frottement aux gens bien nés. N’importe, il rageait ; il leur en voulait à toutes les deux, au père et au frère aussi, et il se promettait de leur faire payer sa mésaventure plus tard, quand il serait le maître.

Lorsqu’on fut revenu dans le salon, il se fit dire les cartes par Louise, qui savait fort bien annoncer l’avenir. Le marquis, Andermatt et Charlotte écoutaient avec attention, attirés malgré eux par le mystère de l’inconnu, par le possible de l’invraisemblable, par cette crédulité invincible au merveilleux qui hante l’homme et trouble souvent les plus forts esprits devant les plus niaises inventions des charlatans.

Paul et Christiane causaient dans l’embrasure d’une fenêtre ouverte.

Elle était misérable depuis quelque temps, ne se sentant plus chérie de la même façon ; et leur malentendu d’amour s’accentuait chaque jour par leur faute mutuelle. Elle avait soupçonné ce malheur pour la première fois, le soir de la fête, en emmenant Paul sur la route. Mais, comprenant qu’il n’avait plus la même tendresse dans le regard, la même caresse dans la voix, le même souci passionné qu’autrefois, elle n’avait pu deviner la cause de ce changement.

Il existait depuis longtemps, depuis le jour où elle lui avait crié, avec bonheur, en arrivant au rendez-vous quotidien :

— Tu sais, je me crois enceinte vraiment.

Il avait éprouvé alors, à fleur de peau, un petit frisson désagréable.

Puis, à chacune de leurs rencontres, elle lui parla de cette grossesse qui faisait bondir son cœur de joie ; mais cette préoccupation d’une chose qu’il jugeait, lui, fâcheuse, vilaine, malpropre, froissait son exaltation dévote pour l’idole qu’il adorait.

Plus tard, quand il la vit changée, maigrie, les joues creuses, le teint jaune, il pensa qu’elle aurait dû lui épargner ce spectacle et disparaître quelques mois, pour reparaître ensuite plus fraîche et plus jolie que jamais, en sachant faire oublier cet accident, ou peut-être en sachant unir à son charme coquet de maîtresse, un autre charme, savant et discret, de jeune mère, qui ne laisse voir son enfant que de loin, enveloppé de rubans roses.

Elle avait d’ailleurs une occasion rare de montrer ce tact qu’il attendait d’elle, en allant passer l’été à Mont-Oriol et en le laissant à Paris, lui, pour qu’il ne la vît pas défraîchie et déformée. Il espérait bien qu’elle le comprendrait !

Mais, à peine arrivée en Auvergne elle l’avait appelé en des lettres incessantes et désespérées, si nombreuses et si pressantes qu’il était venu par faiblesse, par pitié. Et maintenant, elle l’accablait de sa tendresse disgracieuse et gémissante ; et il éprouvait un désir immodéré de la quitter, de ne plus la voir, de ne plus l’entendre chanter sa chanson amoureuse, irritante et déplacée. Il aurait voulu lui crier tout ce qu’il avait sur le cœur, lui expliquer combien elle se montrait maladroite et sotte, mais il ne le pouvait faire, et il n’osait pas s’en aller, et il ne pouvait non plus s’abstenir de lui témoigner son impatience par des paroles amères et blessantes.

Elle en souffrait d’autant plus que, malade, alourdie chaque jour davantage, travaillée par toutes les misères des femmes grosses, elle avait plus besoin que jamais d’être consolée, dorlotée, enveloppée d’affection. Elle l’aimait avec cet abandon complet du corps, de l’âme, de son être entier, qui fait de l’amour, quelquefois, un sacrifice sans réserves et sans limites. Elle ne se croyait plus sa maîtresse, mais sa femme, sa compagne, sa dévouée, sa fidèle, son esclave prosternée, sa chose. Pour elle, il ne s’agissait plus entre eux de galanterie, de coquetterie, de désir de plaire toujours, de frais de grâce à faire encore, puisqu’elle lui appartenait complètement, puisqu’ils étaient liés par cette chaîne si douce et si puissante : l’enfant qui naîtrait bientôt. Dès qu’ils furent seuls dans la fenêtre, elle recommença sa tendre lamentation :

— Paul, mon cher Paul, dis, m’aimes-tu toujours autant ?

— Mais oui ! Voyons, tu me répètes cela tous les jours, ça finit par être monotone.

— Pardonne-moi ! C’est que je ne puis plus le croire, et j’ai besoin que tu me rassures, j’ai besoin de t’entendre me le dire sans cesse, ce mot si bon ; et comme tu ne me le répètes plus si souvent qu’autrefois, je suis obligée de le demander, de l’implorer, de le mendier.

— Eh bien oui, je t’aime ! Mais parlons d’autre chose, je t’en supplie !

— Oh ! Que tu es dur !

— Mais non, je ne suis pas dur. Seulement… seulement, tu ne comprends pas… tu ne comprends pas que…

— Oh oui ! Je comprends bien que tu ne m’aimes plus. Si tu savais comme je souffre !

— Voyons, Christiane, je t’en conjure, ne me rends pas nerveux. Si tu savais, toi, comme c’est maladroit ce que tu fais là.

— Oh ! Si tu m’aimais, tu ne parlerais pas ainsi.

— Mais, sacrebleu, si je ne t’aimais plus je ne serais point venu.

— Écoute. Tu m’appartiens, maintenant, tu es à moi, et je suis à toi. Il y a entre nous cette attache d’une vie naissante que rien ne brise ; mais promets-moi que si tu ne m’aimais plus, un jour, plus tard, tu me le dirais ?

— Oui, je te le promets.

— Tu me le jures ?

— Je te le jure.

— Mais alors, tout de même, nous resterions amis, n’est-ce pas ?

— Certainement, que nous resterions amis.

— Le jour où tu ne m’aimeras plus d’amour, tu viendras me trouver, et tu me diras : “Ma petite Christiane, je t’aime bien, mais ce n’est plus la même chose. Soyons amis, là, rien qu’amis.”

— C’est entendu, je te le promets.

— Tu me le jures ?

— Je te le jure.