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À force d’employer des ruses pour trouver l’argent nécessaire à leur vie, de tromper les usuriers, d’emprunter de tous côtés, d’éconduire les fournisseurs, de rire au nez du tailleur apportant tous les six mois une note grossie de trois mille francs, d’entendre les filles conter leurs roueries de femelles avides, de voir tricher dans les cercles, de se savoir, de se sentir volés eux-mêmes par tout le monde, par les domestiques, les marchands, les grands restaurateurs et autres, de connaître et de mettre la main dans certains tripotages de bourse ou d’affaires louches pour en tirer quelques louis, leur sens moral s’était émoussé, s’était usé, et leur seul point d’honneur consistait à se battre en duel dès qu’ils se sentaient soupçonnés de toutes les choses dont ils étaient capables ou coupables.

Tous, ou presque tous devaient finir, au bout de quelques ans de cette existence, par un mariage riche, ou par un scandale, ou par un suicide, ou par une disparition mystérieuse, aussi complète que la mort.

Mais ils comptaient sur le mariage riche. Les uns espéraient en leur famille pour le leur procurer, les autres cherchaient eux-mêmes sans qu’il y parût, et avaient des listes d’héritières comme on a des listes de maisons à vendre. Ils épiaient surtout les exotiques, les Américaines du Nord et du Sud qu’ils éblouiraient par leur chic, par leur renom de viveurs, par le bruit de leurs succès et l’élégance de leur personne.

Et leurs fournisseurs aussi comptaient sur le mariage riche.

Mais cette chasse à la fille bien dotée pouvait être longue. En tout cas, elle exigeait des recherches, du travail de séduction, des fatigues, des visites, toute une mise en œuvre d’énergie dont Gontran, insouciant par nature, demeurait tout à fait incapable.

Depuis longtemps, il se disait, sentant chaque jour davantage les souffrances du manque d’argent : « Il faut pourtant que j’avise. » Mais il n’avisait pas, et ne trouvait rien.

Il en était réduit à la poursuite ingénieuse de la petite somme, à tous les procédés douteux des gens à bout de ressources, et, pour finir, aux longs séjours dans la famille, quand Andermatt lui avait tout à coup suggéré l’idée d’épouser une des jeunes Oriol.

Il s’était tu d’abord, par prudence, bien que la jeune fille lui parût, à première vue, trop au-dessous de lui pour consentir à cette mésalliance. Mais quelques minutes de réflexion avaient bien vite modifié son avis, et il s’était aussitôt décidé à faire sa cour en plaisantant, une cour de ville d’eaux, qui ne le compromettrait pas et lui permettrait de reculer.

Connaissant admirablement son beau-frère, il savait que cette proposition avait dû être longuement réfléchie, pesée et préparée par lui, que dans sa bouche elle valait un gros prix difficile à trouver ailleurs.

Nulle peine à prendre en outre, se baisser et ramasser une jolie fille, car la cadette lui plaisait beaucoup, et il s’était dit souvent qu’elle pourrait être fort agréable à rencontrer plus tard.

Il avait donc choisi Charlotte Oriol, et, en peu de temps, l’avait amenée au point nécessaire pour qu’une demande régulière pût être faite.

Or, le père donnant à son autre fille la dot convoitée par Andermatt, Gontran avait dû ou renoncer à ce mariage, ou se retourner vers l’aînée.

Son mécontentement avait été vif, et il avait songé, dans les premiers moments, à envoyer au diable son beau-frère et à rester garçon jusqu’à nouvelle occasion.

Mais il se trouvait justement alors tout à fait à sec, tellement à sec qu’il avait dû demander, pour sa partie du Casino, vingt-cinq louis à Paul, après beaucoup d’autres, jamais rendus. Et puis, il faudrait la chercher, cette femme, la trouver, la séduire. Il aurait peut-être à lutter contre une famille hostile, tandis que, sans changer de place, avec quelques jours de soins et de galanterie, il prendrait l’aînée des Oriol comme il avait su conquérir la cadette. Il s’assurait ainsi dans son beau-frère un banquier qu’il rendrait toujours responsable, à qui il pourrait faire d’éternels reproches, et dont la caisse lui resterait ouverte.

Quant à sa femme, il la conduirait à Paris, en la présentant comme la fille de l’associé d’Andermatt. Elle portait d’ailleurs le nom de la ville d’eaux, où il ne la ramènerait jamais ! Jamais ! Jamais ! En vertu de ce principe que les fleuves ne remontent pas à leur source. Elle était bien de figure et de tournure, assez distinguée pour le devenir tout à fait, assez intelligente pour comprendre le monde, pour s’y tenir, y faire figure, même lui faire honneur. On dirait : « Ce farceur-là a épousé une belle fille dont il a l’air de se moquer pas mal », et il s’en moquerait pas mal, en effet, car il comptait reprendre à côté d’elle sa vie de garçon, avec de l’argent dans ses poches.

Il s’était donc retourné vers Louise Oriol, et, profitant sans le savoir de la jalousie éveillée dans le cœur ombrageux de la jeune fille, avait excité en elle une coquetterie encore endormie, et un désir vague de prendre à sa sœur ce bel amoureux qu’on appelait : « Monsieur le Comte ».

Elle ne s’était point dit cela, elle n’avait ni réfléchi, ni combiné, surprise par sa rencontre et par leur enlèvement. Mais en le voyant empressé et galant, elle avait senti, à son allure, à ses regards, à toute son attitude, qu’il n’était point amoureux de Charlotte, et, sans chercher à voir plus loin, elle se sentait heureuse, joyeuse, presque victorieuse en se couchant.

On hésita longtemps, le jeudi suivant, avant de partir pour le puy de la Nugère. Le ciel sombre et lourd faisait craindre la pluie. Mais Gontran insista si fort qu’il entraîna les indécis.

Le déjeuner avait été triste. Christiane et Paul s’étaient querellés la veille sans cause apparente. Andermatt avait peur que le mariage de Gontran ne se fit pas, car le père Oriol avait parlé de lui en termes ambigus, le matin même. Gontran, prévenu, était furieux et résolu à réussir. Charlotte, qui pressentait le triomphe de sa sœur, sans rien comprendre à ce revirement, voulait absolument rester au village. On la décida, non sans peine, à venir.

L’arche de Noé emporta donc ses passagers ordinaires au grand complet, vers le haut plateau qui domine Volvic.

Louise Oriol, devenue brusquement loquace, faisait les honneurs de la route. Elle expliqua comment la pierre de Volvic, qui n’est autre chose que la lave des puys environnants, a servi à construire toutes les églises et toutes les maisons du pays, ce qui donne aux villes d’Auvergne l’air sombre et charbonneux qu’elles ont. Elle montra les chantiers où l’on taille cette pierre, indiqua la coulée exploitée comme une carrière d’où on extrait la lave brute, et fit admirer, debout sur un sommet et planant au-dessus de Volvic, l’immense Vierge noire qui protège la cité.