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— Eh, mon cher, il ne s’agit pas d’une gueuse ici, mais d’une jeune fille.

— Je le sais bien, aussi n’ai-je pas couché avec elle. La différence est très marquée.

Ils s’étaient remis à marcher, côte à côte. L’allure de Gontran exaspérait Paul qui reprit :

— Si je n’étais pas ton ami, je te dirais des choses très dures.

— Et moi je ne te les laisserais pas dire.

— Voyons, écoute, mon cher, cette enfant me fait pitié. Elle pleurait tantôt.

— Bah ! Elle pleurait ? Tiens, ça me flatte !

— Voyons, ne plaisante pas. Que comptes-tu faire ?

— Moi ? Rien.

— Voyons, tu t’es avancé avec elle jusqu’à la compromettre. Tu nous disais l’autre jour, à ta sœur et à moi, que tu pensais à l’épouser…

Gontran s’arrêta, et, avec un ton railleur où perçait une menace :

— Ma sœur et toi feriez mieux de ne pas vous occuper des amourettes des autres. Je vous ai dit que cette fille me plaisait assez et que s’il m’arrivait de l’épouser je ferais un acte sage et raisonnable. Voilà tout. Or, il se trouve qu’aujourd’hui l’aînée me plaît davantage ! J’ai changé d’avis. Cela arrive à tout le monde.

Puis, le regardant en pleine figure :

— Qu’est-ce que tu fais, toi, quand une femme cesse de te plaire ? La ménages-tu ?

Surpris, Paul Brétigny cherchait à pénétrer le sens profond, le sens caché de ces paroles. Un peu de fièvre aussi lui montait à la tête ; il dit violemment :

— Encore une fois il ne s’agit ni d’une drôlesse, ni d’une femme mariée, mais d’une jeune fille que tu as trompée, sinon par des promesses, du moins par tes allures. Cela n’est, entends-tu, ni d’un galant homme !… ni d’un honnête homme !…

Gontran, pâle, la voix cassante, l’interrompit :

— Tais-toi !… Tu en as déjà trop dit… et j’en ai trop entendu… À mon tour, si je n’étais pas ton ami je… je te ferais voir que j’ai l’humeur courte. Un mot de plus et c’est fini entre nous, pour toujours.

Puis, pesant ses paroles, lentement, et les lui jetant au visage :

— Je n’ai pas d’explications à te donner… j’en pourrais avoir plutôt à te demander… Ce qui n’est ni d’un galant homme, ni d’un honnête homme, c’est une sorte d’indélicatesse… qui peut avoir bien des formes… dont l’amitié devrait garder certaines gens… et que l’amour n’excuse pas…

Soudain, changeant de ton et badinant presque :

— Quant à cette petite Charlotte, si elle t’attendrit et si elle te plaît, prends-la, et épouse-la. Le mariage est souvent une solution dans les cas difficiles. C’est une solution et une place forte dans laquelle on se barricade contre les désespoirs tenaces… Elle est jolie et riche !… Il faudra bien que tu finisses par cet accident-là… Ce serait amusant de nous marier, ici, le même jour, car moi j’épouserai l’aînée. Je te le dis en secret, ne le répète pas encore… Maintenant, n’oublie point que tu as le droit, moins que personne, toi, de parler jamais de probité sentimentale et de scrupules d’affection. Et maintenant retourne à tes affaires. Je vais aux miennes. Bonsoir.

Et changeant brusquement de chemin il descendit vers le village. Paul Brétigny, l’esprit hésitant et le cœur troublé, revint à pas lents vers l’hôtel du Mont-Oriol.

Il cherchait à bien comprendre, à se rappeler chaque mot, pour en déterminer le sens, et il s’étonnait des détours secrets, inavouables et honteux que peuvent cacher certaines âmes.

Quand Christiane l’interrogea :

— Que vous a répondu Gontran ?

Il balbutia :

— Mon Dieu, il… il préfère l’aînée, à présent… Je crois même qu’il veut l’épouser… Et devant mes reproches un peu vifs il m’a fermé la bouche par des allusions… inquiétantes… pour nous deux.

Christiane s’abattit sur une chaise en murmurant :

— Oh ! Mon Dieu !… Mon Dieu !…

Mais comme Gontran justement entrait, car le dîner venait de sonner, il la baisa gaîment au front en demandant :

— Eh bien, petite sœur, comment vas-tu ? N’es-tu point trop fatiguée ?

Puis il serra la main de Paul, et se tournant vers Andermatt venu derrière lui :

— Dites donc, perle des beaux-frères, des maris et des amis, pouvez-vous me dire au juste ce que ça vaut un vieil âne mort, sur une route ?

IV

Andermatt et le Docteur Latonne se promenaient devant le Casino, sur la terrasse ornée de vases en simili-marbre.

— Il ne me salue même plus, disait le médecin, parlant de son confrère Bonnefille, il est là-bas, dans son trou comme un sanglier. Je crois qu’il empoisonnerait nos sources, s’il pouvait.

Andermatt, les mains derrière le dos, le chapeau, un petit chapeau melon en feutre gris rejeté sur la nuque et laissant deviner la calvitie du front, songeait profondément. Il dit enfin :

— Oh ! Dans trois mois la Société aura couché les pouces. Nous en sommes à dix mille francs près. C’est ce misérable Bonnefille qui les excite contre moi et qui leur fait croire que je céderai. Mais il se trompe.

Le nouvel inspecteur reprit :

— Vous savez qu’ils ont fermé leur Casino depuis hier. Ils n’avaient plus personne.

— Oui, je le sais, mais nous n’avons pas assez de monde ici, nous. On reste trop dans les hôtels ; et dans les hôtels on s’ennuie, mon cher. Il faut amuser les baigneurs, les distraire, leur faire trouver trop courte la saison. Ceux de notre hôtel Mont-Oriol viennent tous les soirs, parce qu’ils sont tout près, mais les autres hésitent et restent chez eux. C’est une question de routes, pas autre chose. Le succès tient toujours à des causes imperceptibles qu’on doit savoir découvrir. Il faut que les chemins conduisant à un lieu de plaisir soient eux-mêmes un plaisir, le commencement de l’agrément qu’on aura tout à l’heure.

« Les voies menant ici sont mauvaises, pierreuses, dures, elles fatiguent. Quand une route allant quelque part où on désire vaguement se rendre est douce, large, ombragée pendant le jour, facile et peu montante pour le soir, on la choisit fatalement, de préférence aux autres. Si vous saviez comme le corps garde le souvenir de mille choses que l’esprit n’a pas pris la peine de retenir ! Je crois que la mémoire des animaux est faite ainsi ! Avez-vous eu trop chaud en vous rendant à tel endroit, vous êtes-vous lassé les pieds sur les cailloux mal écrasés, avez-vous trouvé une montée trop rude, pendant même que vous pensiez à autre chose, vous éprouverez pour retourner à ce lieu-là une répugnance physique invincible. Vous causiez avec un ami, vous n’avez rien remarqué des légers ennuis de la marche, vous n’avez rien regardé, rien noté ; mais vos jambes, vos muscles, vos poumons, votre corps tout entier n’ont pas oublié, eux, et ils disent à l’esprit, quand l’esprit veut les reconduire par la même route : “Non, je n’irai pas, j’y ai trop souffert.” Et l’esprit obéit à ce refus sans le discuter, subissant ce langage muet des compagnons qui le portent.

« Donc, il nous faut de beaux chemins, cela revient à dire qu’il me faut les terres de cette bourrique de père Oriol. Mais patience… Ah ! À ce propos, Mas-Roussel est devenu propriétaire de son chalet aux mêmes conditions que Rémusot. C’est un petit sacrifice dont il nous dédommagera largement. Tâchez donc de savoir au juste les intentions de Cloche.