Sirella, gagnée par l’enchantement, frotte sa hanche contre la mienne, tout aussi impatiente que je le suis de « se mettre » à l’aise et de se laisser clouer vivante sur un lit par un clou vivant, comme disait poétiquement la dame à l’ours noir avant d’entrer chez Vivagel.
Et bon, les bagages s’annoncent (du pape), du moins le crois-je en entendant frapper à notre porte.
Je prie d’entrer. Mais il s’agit d’une serrure dont le loquet se trouve exclusivement à l’intérieur et qu’on ne peut déponner du dehors qu’à l’aide de la clé. Je vais donc ouvrir. A ma surprenance, me trouve nez à groin avec un gros mec plus boursouflé qu’un parachute mal replié, rouge de partout, au nez truffé de veines et de cratères d’où t’attends de voir jaillir m’sieur Haroun Tazieff que j’sais pas ce qu’ils attendent pour le mettre ministre des Volcans en activité, vu qu’il remplit toutes les conditions requises.
Le gonzier que je te cause bedonne dans un futal de lin bleu azur sillonné de plis dont aucun n’est vertical. Il porte une chemise fantoche, à manches courtes ; des lunettes de soleil pendouillent dans les poils gris de sa poitrine, maintenues par une chaîne d’arpenteur en or blanc javellisé.
— Salut, le Grand ! me lance-t-il, du ton jovial qu’emploie un charcutier de banlieue lorsqu’il te fait visiter son appartement Merlin de Pâle-Lavasse-des-Flots.
Je le scrute, cherchant à déblayer un paquet d’années de ce visage, mais sans y parvenir.
Ferait-il erreur ? Serais-je le sosie (son à l’ail) d’un pote à lui ?
Ce qu’il dit ensuite me détrompe.
— Eh ben, dis donc, Antoine, t’es guère physionomiste pour un flic. Tu te rappelles pas de moi ? Dutalion ! Eloi ! Eloi Dutalion, ça ne te dit plus rien ? J’étais ton moniteur de tir, à l’école de Police quand tu te préparais au grade de commissaire.
Oh ! le con ! Le sale, l’incroyable, le surdoué con ! Con, fils de cons, petit-fils de connards, arrière-petit-fils de connards ! Le monstrueux con ! L’indicible con ! Le con tous azimuts ! Patenté ! Homologué ! Indéniable ! Con à l’état pur ! Dont tous les composants sont cons, archicons, hypercons. Con blanc-bleu ! Cartier vendrait du con, il ne pourrait fournir mieux ! C’est le top niveau ! L’archétype du con !
Venir me disloquer la cabane, en deux coups les gros. A peine que j’arrive, lui, il se précipite. Tonitrue ! Me révèle, me trahit ! Maintenant, la belle Sirella a découvert le pot aux roses. Il a suffi de cette tête de con avec sa voix de con, pour tout foutre à terre. Oh ! comme je le hais ! Complètement, intégralement, définitivement ! Avec effet rétroactif. En remontant jusqu’à la treizième génération, façon templier.
Le triste et sombre et cancreleux salaud de con ! Je lui fais les gros yeux dans une tentative désespérée.
— Oh ! oui, oui, bien sûr, m’entends-je bêler : Eloi Dutalion, je me souviens parfaitement. Mais vous savez que je ne suis pas entré dans la police. En définitive, je me suis lancé dans le livre.
Il devrait piger, rectifier la fin de sa sottise. Prends n’importe qui en même situasse. Canuet par exemple, il pigerait, ferait marche arrière. Lui ? Tu penses, à ce point con, il pouffe, rigole comme un pissat d’ivrogne sur un trottoir, la nuit.
— Toi, plus dans la police ! Elle est bonne ! Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai rencontré Pinaud, ton adjoint, qui m’a raconté certaines de vos dernières prouesses.
Je vois tout blanc, comme éclairé au magnésium. Et dans tout ce blanc, la gueule rougeaude de ce monumental con. Je me dis : « Ça y est, je vais l’aligner. » Mon poing se crispe. Un prodige de volonté le laisse pendre au bout de mon bras contre mon cher pantalon que je rêvais de poser il n’y a pas trois minutes.
— Dutalion, murmuré-je, comme cause un corbeau souffrant d’angine à sa corbelle. Dutalion, si tu ne fous pas le camp à la seconde, j’écrase ta sale gueule comme je le ferais d’une noix véreuse !
Mon visage livide, mon regard de meurtre le déroutent. Les rouages de sa connerie se mettent à fonctionner en grinçant. Comme j’ai rouvert la lourde, il recule. J’accélère sa vitesse de départ en vrillant mon doigt dans sa poitrine d’ahuri.
La porte claquée lui cigogne le pif. Je l’entends exclamer, de l’autre côté du panneau :
— Ben ça, alors, on me la copiera !
A quoi bon la lui copier, l’original suffit : c’est de la pièce de musée.
Un grand coup de respirance, puis je reviens à Sirella. Elle est debout près du lit, occupée à ôter ses fringues. Elle fait glisser ses collants de deuil le long de ses jambes fabuleuses.
— Vous savez, Antoine, me dit-elle, ne soyez pas contrit : je savais qui vous étiez… (Elle a un mignon rire flûté.) et aussi ce que vous êtes venu chercher chez nous. C’est à propos de ce gros diamant, non ?
Les testicules m’en pendent, ma bonne dame ! Elle… elle savait…
Sirella a achevé de se défaire du collant. Sa belle toison luxuriante appelle à la luxure, justement.
La friponne meurtrière masse le dessous de ses seins agressifs, comme pour les rendre davantage opérationnels.
— Je me proposais de vous parler de tout cela, dit-elle. On fait l’amour d’abord, ou bien on bavarde ? Je ne vous cacherai pas que je suis pour la première option : l’amour a hélas une fin, la parlote presque jamais.
Elle s’agenouille, non pour une imploration, mais pour joindre la bouche à la parole. C’est ça, la franche connection. Au démarrage, je continue de macérer dans mon éberluement, mais la veuve Delameer est d’une telle « expertise », comme dit Béru, que, progressivement, sa technique a raison de mes pensées.
Et c’est bientôt l’enfourchement final par toute la troupe. Ali Babasse et les quarante violeurs ! Le chat botté jusqu’à la garde ! Je l’attaque en travers du plumard, comme on le fait par gros temps, la poursuite sur le canapé pour la troussée cosaque, puis on continue sur le pouf pour la figure intitulée « Immolation de l’esclave », et tout s’achève à même la moquette dans la Charge des paras. Très belle séance, variée, mais sans excès, pratiquée par deux partenaires indéniablement doués, qui ne se livrent pas à fond, aucun titre n’étant en jeu, mais se font une mutuelle démonstration de leur technique.
Galant, je me verticalise en premier et lui tends la main.
Elle respire profondément.
— Oh ! chéri, soupire-t-elle, qu’importe que vous soyez un flic, du moment que vous me faites l’amour aussi divinement.
Un baiser calme met un point final à sa reconnaissance.
Légèrement plus tard, drapés dans les peignoirs de bain mis à notre dispose par l’hôtel, nous devisons face à face, lovés dans deux fauteuils, avec, entre nous, une bouteille de champagne reconstituante.
— Eh bien, mon ange, je vous écoute, lui dis-je en m’efforçant d’avoir l’air dégagé.
Sirella me cligne de l’œil.
— Savez-vous qui m’a informée de vos fonctions ?