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— Je ne sais rien, chère merveilleuse, n’étant qu’un pauvre petit flic au rabais.

— Mon époux.

— Pardon ?

— Ça vous étonne ?

— Vous voulez dire que ça me la coupe.

— Voilà qui est dommage, plaisante Sirella.

— Quand vous a-t-il prévenue ?

— La veille du jour où vous m’avez abordée. Ma stupeur ne fait que croître et embellir.

— Vous allez me raconter cela par le menu, l’en prié-je.

— Oh ! ce sera vite fait. Un soir, tandis que nous regardions un match de cricket à la télé, Adam m’a dit : « Darling, il faut que je te prévienne, un type vient de débarquer dans ce village, un flic français. Il se peut très bien qu’il entre en contact avec toi, cela concerne une affaire très embrouillée qui remonte à l’époque où j’étais en poste au Kalbahr. » Comme je le pressais de questions, il m’a vaguement expliqué qu’un agent français en rapport avec l’émir pour négocier la vente d’un fameux diamant avait été assassiné non loin du consulat britannique, et que la France s’imaginait que lui, Adam, avait peut-être trempé dans cette sale affaire…

Elle parle, le regard au plafond. Les plafonds sont des écrans pour les rêveurs.

— Et il prétendait être en dehors du coup ? insisté-je.

Sirella hausse les épaules.

— Il n’a pas précisé, mais son ton léger le donnait à penser.

— Puis-je vous demander quelle est votre conviction profonde, mon petit cœur ?

Ma fuligineuse a un sourire flou comme cette photo de mon cul que tu as prise l’été dernier, le jour que tu étais chlass au point de confondre ta boîte de Kleenex avec ton Polaroïd.

— Avec Adam, il était difficile de se faire une conviction ; c’était un être qui ne livrait de ses pensées que ce qui était nécessaire à la bonne marche de notre foyer…

— Mais encore ?

— Eh bien, je crois que s’il a été impliqué dans l’histoire, c’est sur l’ordre de ses supérieurs. Adam n’a jamais possédé de diamant rarissime.

Une musique maghrébine s’élève, lancinante, nostalgique, qui sinue dans l’âme tel un serpent à sornettes, un serment à sonnette, se faufile, investit, se love (I love you !) et fêle en vous on ne sait quoi de précaire, d’ignoré, d’indispensable.

— C’est étrange, soupiré-je.

— Quoi donc ?

— Ce mari qui annonce à son épouse qu’un flic français va tenter de forcer leur intimité ; et cette femme qui se laisse séduire — ou fait admirablement semblant, ce qui revient au même —, puis qui trucide son époux au moment où il les surprend. La logique n’y trouve pas son compte…

Sirella ne répond pas. Les pans du peignoir se sont écartés et je retrouve sa luxuriante (et luxurieuse) toison. Je ne m’en lasse pas : la fourrure m’a toujours excité.

— A mon tour de vous demander ce qu’est votre conviction profonde, dit-elle.

Je souris.

— Ma conviction profonde, c’est que vous avez la chatte la plus étonnante avec laquelle il m’ait été donné d’avoir un entretien en tête-à-tête.

— Et à propos de mon comportement ?

— A propos de votre comportement, je pense que vous n’avez pas abattu votre bonhomme pour mes beaux yeux, Sirella. Mais que vous l’avez liquidé de propos délibéré. Vous avez, si je puis dire, sauté sur l’occasion.

Je la regarde, tendrement, avance ma main toujours avide vers le siège exubérant de sa régalerie pour capiteuser des doigts. C’est chouette, ça chante, ça titille, ça chuchote déjà de nouvelles promesses pour des imminences dont je ne te dis que ça !

— Expliquez-vous, murmure la divine.

— Votre bonhomme vous annonce ma présence et mes intentions. Vous me laissez venir et m’accueillez inoubliablement. Vous tenez votre julot au courant du déroulement, en omettant de préciser toutefois ce qui pourrait désobliger son honneur, comme me disait la semaine dernière, y a pas plus tard, le vicomte de Bragelonne. Le jour de notre fatale rencontre, vous lui avez conseillé de revenir à l’improviste. Il. Ce qu’il découvre alors le bouleverse : il ne s’attendait pas à cela. Coup de sang. Vous le révolvérisez pour, officiellement, me sauver de ses intentions contondantes.

Sirella continue de sourire et de se laisser pétrir l’intimité. C’est vraiment le Sphinx. Ou l’une de ses pensionnaires.

— Fin du premier chapitre ? demande-t-elle.

— Ce serait une bonne chute, non ? Pan ! Mort, le mari, s’enfuit l’amant.

— Comment débuterait le second ?

— Par un autre mystère.

— Par exemple ?

— Concernant la crédibilité de la police. Je vais vous dire, jolie chérie, selon moi, les Britanniques ont un tas de défauts, dont le principal est d’être anglais parfois ; mais ils ont une qualité qui rachète tout : ils sont intelligents. Et j’ajouterai, n’étant pas homme à lésiner, très intelligents. Comme on est treize à la douzaine quand on fait l’œuf chez le crémier en période de soldes.

« Que vos flics aient mordu à l’histoire des agresseurs me semble plus improbable que de voir promouvoir le pape chef du Politburo. »

Nouveau silence relatif, car la musique serpentine continue de vous nasiller les testicules dans des lointains ensoleillés.

Sirella se met à me rendre l’appareil, ou plutôt à me prendre l’appareil afin de me rendre la pareille, comprends-tu ?

— Et vous poursuivriez comment ce passionnant deuxième chapitre, darling ?

— Là, j’ai plusieurs bifurcations envisageables, mon joli berlingot à crinière.

— Dont les principales ?

— Dont la principale serait que les autorités vous couvrent.

— Bigre, comme vous y allez !

— J’y vais par quatre chemins, justement, puisqu’on est à un carrefour.

— Et pourquoi la raide justice anglaise couvrirait-elle une épouse meurtrière ?

— Si la mort du mari est souhaitée en haut lieu ? Il n’est pas épicier, le mari, il n’est pas conducteur d’autobus, déboucheur de lavabos, assureur conseil, vendeur de grand magasin, éditeur de livres pieux ni importateur d’appareils japonais. Il est plus ou moins espion, ce brave conjoint. Il tripatouille dans les sphères hermétiques du Renseignement. Et le Renseignement britiche, ô pardon, Ninette ! C’est pas de la tarte aux myrtilles ! Les plus beaux sacs d’embrouilles de ma carrière c’est de l’autre côté du Channel que je les ai trouvés. Et c’était pas des sacs d’embrouilles Hermès, croyez-le !

Elle paraît s’amuser follement de mes propos. Pas bégueule. En v’là une qui trucide son vieux et qui, ensuite, fait l’amour et l’humour avec l’amant motivateur. Sa totale décomplexion vous fait un peu froid dans le dos.

— Donc, dit-elle au bout de son savourage, donc, vous croyez à un meurtre téléguidé. J’ai tué l’homme avec lequel je suis mariée depuis plus de dix ans pour rendre service aux Services ?

Je la mate très longuement au fond des yeux, là que t’aperçois Giscard. Le regard, fenêtre de l’âme, qu’on dit puis. Les pensées d’autrui ont tendance à être discernables dans leurs mirettes, un peu comme l’est l’avenir dans les lignes de la main, comme si l’avenir c’était pas un peu tous les jours, somme toute ! Pas d’autres repères que le passé pour pouvoir pronostiquer le futur. Ainsi, je t’annonce une prochaine guerre parce qu’il n’y a eu que ça depuis qu’ils se sont trouvés à trois sur notre planète et qu’ils sont toujours aussi cons, avec plein de jolies armes à la disposition de leur connerie flamboyante. Pour lors, tu peux engager une prédiction.

Dans le verre dépoli de ses fenêtres, j’aperçois des choses floues.

— Ecoutez, ma folle maîtresse, lui dis-je, je ne suis pas absolument certain d’avoir deviné juste, mais je sens ardemment que je brûle. Il y a à la base de cette affaire un amphigouri de première ; vous savez ce que signifie « amphigouri », n’est-ce pas ?