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Nous commandons deux tartes au pigeon et un couscous, manière de se refaire les calories consacrées au culte de Vénus, comme emphasent certains qui veulent pas causer de cul carrément, les hypocrites ! On a les cannes en flanelle et le cœur en fête.

— Il a de l’allure, votre émir, murmure Sirella après avoir contemplé le beau vieillard. (Elle ajoute :) Ainsi vous croyez qu’il détient la vérité ?

— Fatalement : il possède le diamant ou pas. S’il ne l’a pas, le caillou est dans le camp britannique.

— Et vous espérez que ce vieil homme va avouer le vol, si ce sont ses gens qui l’ont commis ?

— Non, d’ailleurs il l’a formellement nié, accusant délibérément vos compatriotes, milady.

— Alors, qu’espérez-vous de lui ?

Je souris :

— Qu’il est un homme, ma douceur.

— C’est-à-dire ?

— Un potentat déchu rêve de remonter sur son trône, c’est humain. Plus un individu est avancé en âge, plus il est assoiffé de pouvoir, vous n’avez qu’à considérer celui des gouvernants actuels pour vous en convaincre.

— Vous allez lui promettre sa restauration ?

— Plus ou moins.

— En échange du Régent ?

— Parfaitement.

— Mais s’il ne l’a pas ?

— Je saurai qu’il ne l’a pas.

— Et s’il l’a ?

— Je saurai qu’il l’a.

— Et dans l’affirmative, le gouvernement français serait disposé à guerroyer en sa faveur pour récupérer la pierre ? Vous estimez que quelques grammes de carbone pur valent qu’on tue des hommes ?

Je pouffe.

— Ma chère chérie, il me suffit de vous dire bonjour pour que vous disiez le reste ! Ma mission consiste seulement à savoir si ce vénérable émir possède le joyau de la couronne républicaine française ; ou non.

— Il peut vous mentir, prétendre qu’il l’a, même s’il ne l’a pas, dans la perspective de son retour au Kalbahr.

— Naturellement, mais des preuves lui seront réclamées.

Sirella ne semble pas convaincue.

— Je pense que vous vous faites des idées, Antoine d’amour. Tout cela est un peu simpliste, sans vouloir vous vexer. Regardez cet homme, il dégage une impression de sagesse et de ruse. Il a été vaincu par la force d’un putsch militaire, mais vous ne trouveriez pas dans toute l’Europe un homme aussi malin que lui. Celui qui le dupera est à naître.

Je feins d’être un peu vexé ; la bouffe exquise qu’on nous apporte fait diversion. Je ne sais pas si tu es au courant, l’artiste, mais la tortore marocaine est l’une des premières du monde. Pour ma part, et sans téléphoner à Gaumiau, je te la situe pile après la française et la chinoise.

Tandis que nous attaquons la briffe, un gonzier s’approche de l’émir et vient lui susurrer des choses par-dessus son assiette. Kohnar ne bronche pas. Ne coule même pas un œil au messager ; il continue de s’alimenter lentement. L’autre se retire. Tout cela est impressionnant. A notre époque, la superbe époustoufle. Qu’on est tous à trépigner comme des goujons dans de la grande friture, affolés de nous-mêmes, talonnés par l’heure qui tourne. On a un compteur aux noix. On mène une pauvre vie grignotée, tarifée, mutilée.

Le vieil émir termine son bouffement. On lui présente un bassin de cuivre, on verse l’eau d’un vase sur ses doigts joints. De la flotte sur laquelle flottent des pétales de roses. On lui tend un linge délicat. La messe, te dis-je ! Quand Pépère a ses mimines bien proprettes, il se lève, puis dit quelques mots à son larbin, lequel s’incline comme dans les Mille et Une Nuits tournées par Hollywood. L’émir s’éloigne avec un froufrou soyeux, courbant les échines du personnel, comme le vent d’ouest courbe les blés beaucerons.

Alors, écoute bien ce qui va suivre, espèce de pauvre gaufré ! Moudu ! Chapardeur d’édicules.

Le valet de l’émir s’approche de notre table et s’incline. Beau mec, et qui vaut un détour, surtout si c’est lui qui le fait. Regard de braise, œil de jais, lèvres presque mauves, peau couleur de miel blond.

Il parle anglais, mais nul n’est parfait, comme dit l’autre.

— Sa Majesté Kohnar serait très honorée si vous consentiez à monter prendre le café dans sa suite royale, monsieur, madame. Puis-je rapporter à Sa Majesté une réponse favorable ?

On se regarde, Sirella and me. Par acquit de chose, on se retourne, s’assurer que le beau brun ne s’adresse pas à quelques-uns d’autres, mais non : il n’y a derrière nous que le mur mosaïqué à bloc comme une pissotière de luxe.

Santonio tente l’impossible qui est de ne pas avoir l’air d’un débile profond.

— Eh bien, je, nous, c’est avec un plaisir vachement extrême que nous aurons l’honneur de faire à Sa Vénérable Majesté l’honneur de notre présence, bafouillé-je.

Le valeton se casse d’un pas glissant.

Sirella n’ose parler la bouche pleine. Le hic c’est qu’elle ne se rappelle plus comment on fait pour avaler.

— Vous comprenez quelque chose à ce micmac, ma chatte délectable ? je lui articule par-dessus un tas de couscous qui ressemble au Salève, cette très sotte montagnette en forme de pâté en croûte.

Elle avoue que pas plus que moi ; et bon, on tortore en supputant. Peut-être que l’émir nous a retapissés, mine de rien, de son œil infaillible. Va-t’en savoir si ma très belle n’a pas éveillé sa convoitise ? Des fois qu’il voudrait se la respirer, le vieux bougre ? Tu connais leur santé, à ces Arbis ? La mère Schéhérazade, c’est toujours fête au village dans sa culotte. Les enfants des douars, oh ! pardon, ils n’ont pas la rapière en nougatine ! Chez eux, le cheikh sans provision, connais pas ! De sacrées épées, crois-en un pote à eux qui les pratique ! La pointe du baron Bic, c’est que tchi en comparaison de la bique des barons Lapointe ! Allah leur a fait une drôle de fleur, moi je te le dis. Et Mahomet, son prophète, leur a fignolé une religion extra, je trouve. Le pape m’excommunierait pour cause de santoniaiseries, je me convertirais aussi sec musulman. Ne serait-ce que par hygiène. La religion la mieux équipée. Pas de porc, pas d’alcool, ramadan une fois l’an, égal zéro de cholestérol. Chez eux, l’infarctus court pas les souks. Culture physique quatre fois par jour, je crois bien. A genoux ! Extension, prosternation. Extension, prosternation ! Tu gardes la forme, les rhumatismes osent pas venir rôder dans le secteur. Ensuite, la bibite toujours briquée après usage, c’est pas fréquent dans nos contrées. T’as qu’à considérer les toilettes publiques. Tu vois des gaziers se fourbir Popaul quand ils viennent de lancequiner, toi ? Les mains, à la rigueur, s’il y a du monde, pour parader ; mais Zizette ? Never, mon gars ! Tu te remises l’Anatole dans la soute à bagages toute larmoyante encore. C’est pas honteux de mépriser ainsi le point le plus noble de son individu ? Bon, et puis pour te finir, mes amis maghrébins, ils prient, eux. Ça c’est la véritable hygiène, le nettoyage de l’âme. D’où leur générosité, leur dignité : ils sont nettoyés zob et conscience, comprends-tu ?

Mais pour en reviendre à l’émir, m’étonnerait pas qu’il ait balancé son dévolu à moustache sur Sirella. Lui pratiquer le coup de la gandoura en délire, calçage façon photographe de jadis : Nicéphore Niepce vous l’offre. Gaffe ! Le petit zoiseau va sortir, pas çui qui vole t’en l’air avec une plume t’au cul, l’autre, le taciturne, qui passe le plus clair de son temps à couver ses œufs. Je te fais marrer ? Ben, marre-toi, profite de ce que je suis de passage. Parce que après moi, c’est pas le déluge qui te fera bidonner.