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On achève la croûte et on demande l’adresse de la suite royale à la réception. Le préposé nous annonce. Troisième étage, au fond du couloir.

Pas besoin de se gratter, le larbin de naguère nous guigne près de l’ascenseur. On le suit à pas feutrés par les tapis superposés. Une double porte de style mauresque, tu penses bien. Et puis nous voici dans un immense salon plus mauresque encore, bien joli, une vraie gaufrette en couleurs. Le bleu est bleu foncé, le rouge rose et le vert pomme dominent. On en mangerait. Ces murs, de la pure confiserie orientale. Une banquette le cerne entièrement, basse et garnie de coussins de soie brochée (reliée, c’est trop dur), des tables plus basses encore, sont disposées çà et là, tel un archipel de cuivre ouvragé.

Sa Majesté Kohnar le Constipé est assis, dans un angle de la pièce. Elle fume un Quai d’Orsay béatement.

Se dresse pour nous accueillir, main sur la poitrine, après avoir jeté son barreau de chaise à peine entamé dans un cendrier grand comme un porte-parapluies d’hôtel.

— Merci d’avoir répondu à notre invitation, déclare le souverain d’une voix de loukoum, nous en sommes très honorés ; veuillez vous asseoir.

Impressionnés, Sirella et moi déposons nos massifs musculo-adipeux sur une pyramide de coussins.

— Nous vous avons priés pour le café, enchaîne l’émir, mais il est bien évident que nous serions heureux de vous offrir les boissons de votre choix. Préféreriez-vous du champagne ?

« Non, non, qu’on bredouille. Va pour du café, d’ailleurs il est si tellement bon, ici. L’arôme antique, positivement, m’sieur Votre Majesté ! »

L’ex-maître du Kalbahr remue deux phalanges de son index droit, presque imperceptiblement ; qu’aussitôt le valet s’éclipse (en brillant).

Je me risque :

— L’invitation de Votre Majesté nous comble, mais comme nous ne sommes que d’humbles mortels anonymes, nous aimerions savoir ce qui a pu motiver le bon vouloir mirobolant de Votre Majesté à toute épreuve.

Le prince Kohnar sourit.

— Ne souhaitiez-vous pas me rencontrer ? demande-t-il, donnant ainsi le coup de grâce à notre stupeur briochée.

— Mais, heu, Mamajesté, nous, je, elle… Qu’est-ce qui a bien pu donner à croire à Votre Extrême Majesté lubrifiante que nous, je…

— Monsieur San-Antonio, répond le magnifique vieillard sans se départir, comme beaucoup de chefs d’Etat renversés, nous sommes en butte à de grands dangers motivés par des haines tenaces. Le fait aussi que nous sachions beaucoup de choses sur beaucoup de gens fait souhaiter notre disparition par certains. C’est pourquoi nous sommes hélas contraints de prendre beaucoup de précautions. Notre vigilance ne peut se relâcher. Une seconde d’inattention rendrait notre dispositif de sécurité aussi inopérant qu’un mur d’enceinte dans lequel on aurait laissé une brèche.

Le sens de la métaphore. Ça aussi, c’est arabe. Le prince passe lentement sa main dans sa barbe.

— Cela vous amuserait de voir notre installation ? En ce cas passez dans la pièce voisine.

Je suis seul à me lever. Sirella, comme toutes les gonzesses, elle s’en bat les noix de la technique de pointe ; elle, seule la pointe l’intéresse vraiment.

Je me rends donc, sur les talons du serviteur muet, dans un petit boudoir attenant. Il a été transformé en studio de radio. Des consoles, des baffles, des casques d’écoute, des voyants lumineux… Un petit bonhomme maigrichon, à moustache élimée, vêtu d’un T-shirt blanc sur lequel figure une énorme banane, portant ses lunettes dans ses cheveux, à la Jean Dutourd, s’active au milieu de ce matériel.

Mon guide murmure :

— Il est branché sur la réception, le couloir, la salle à manger et le grand salon.

Puis il jaspine en arbi et le petit zig me présente son casque que je coiffe. Je perçois alors une converse en anglais, un vieux mec raconte son opération des testicules au Roubignoll’s Hospital de Manchester. Le technicien bitougne un taquet, et c’est la voix d’un Franchouillard qui, sur fond de bouffe, raconte à sa gerce la manière somptueuse qu’il va la verger, ce soir, dans leur chambrette, tout bien, le comment il lui filera le médius dans le rectorat tout en l’emplâtrant grand veneur, sans parler de son autre main qui lui triturera la laiterie, manière de parachever les prouesses. Il cause la bouche pleine, ce qui n’altère pas la beauté du programme. La donzelle glousse, murmure des « Tais-toi, tu me rends folle », bien propices aux desseins de monsieur.

Bon, j’ai pigé. Le prince, par l’intermédiaire de son équipe, peut surveiller tout ce qui jacte au Mâ-Kâch.

— C’est vachement au point, complimenté-je.

Le gars à la grosse banane sourit, puis rabat ses besicles sur son nez comme la visière d’un heaume pour me mieux considérer.

— Matériel américain, dit-il, la C.I.A. n’a pas mieux. Il me suffit de braquer mes microphones processionnaires dans la direction souhaitée pour capter les sons dans un rayon de cent mètres. Grâce à un goufrazeur capitulant, je peux procéder par paliers, m’attarder sur une conversation ayant lieu à dix mètres, puis l’abandonner pour passer à une autre située à cinquante. Ces cadrans modulateurs que vous voyez ici…

Bon, Sa Majesté Kohnar n’a pas raté une broquette de notre entretien à Sirella et Bibi. Ma mémoire rebrousse chemin pour tenter de récapituler les propos que nous échangeâmes ; ce qui m’amène à comprendre qu’il convient de jouer franco avec le vénérable exilé.

— Alors, concluant ? demande l’émir.

— Confondant, rectifié-je. Eh bien, puisque Votre Sidérante Majesté sait tout, peut-être consentira-t-elle à m’accorder un entretien ?

Le prince opine.

— Pourquoi pensez-vous que nous vous avons conviés ? Comme le dit un proverbe Kalbahr : « L’œil du bidet n’est pas une conscience pour la femme qui s’ablutionne. »

— Ça, c’est vrai, ça, Votre Majesté, m’hâté-je de convenir.

Kohnar le Constipé ajoute :

— De même, notre grand poète national Lamâhr-Tinn a écrit : « La girouette et le tournevis peuvent tourner dans les deux sens, mais la main du vent est plus puissante que celle de l’homme. »

— Je l’ai eu comme sujet de dissertation au bac, Votre Majesté, éhonté-je sans ciller, ce qui m’a valu une note de quinze.

Sirella sourit mollement. Le prince vient de lui offrir un narguilé et elle tire sur l’embout d’ébène comme naguère sur mon évanesceur à modulation de fréquence. Je sais pas ce que le vieux crabe a foutu dans sa marmite norvégienne, mais elle prend un air tout chose, ma vaillante plumardière. Dis, faudrait pas qu’elle contracte ! Une fille de son tonus, ça me ferait mal aux noisettes !

— Voyez-vous, poursuit l’émir (j’aurais pu l’appeler Obolan, mais j’en ai déjà eu un dans un précédent book), voyez-vous, homme de police, lorsque nous vous entendons parler de cette affaire de diamant, nous avons envie de hausser nos vieilles épaules.

— Et l’arthrite de Votre Majesté, Majesté ?

— C’est bien pourquoi nous nous sommes abstenus, convient le proscrit. Dans cette sombre histoire, tout n’est qu’étoffe de mensonges.

— Votre Majesté veut dire tissu de mensonges ?

— Nous voulons le dire, encore que nous distinguions mal la différence que vous pouvez faire entre un tissu et une étoffe. Passons. Cette soi-disant tractation avec votre honorable pays dont le Régent serait l’enjeu est proprement stupide. Jamais nous n’avons envisagé un échange pétrole diamant, la France et nous. Certes, votre gouvernement de l’époque nous a sollicités pour conclure un marché, mais les pourparlers ont tourné court à l’instigation de l’Angleterre. Nous étions contraints de céder aux pressions du Foreign Office. J’ajoute que notre police n’a jamais abattu votre agent ; elle ignorait sa présence sur notre territoire. L’enquête que j’ai ordonnée alors nous inclinait à penser que l’homme fut tué par des gens à la solde des Britanniques. Cela dit, nous n’oserions le jurer par Allah. Il n’en reste pas moins que le vice-consul fut rappelé par Londres aussitôt après l’incident.