Выбрать главу

Un assez long moment s’écoule.

— Mais le sentiment profond de Votre Formidable Majesté impétrante est bien que l’Angleterre a trempé dans ce louche attentat ?

— Sinon l’Angleterre, du moins son représentant, le vice-consul, répond le monarque rentier ; vous savez, notre très vénérable père, Soukon le Fortuit assurait, dans sa grande sagesse : « Le lait de la gazelle vierge ne fait pas le beurre du crémier. »

— Je méditerai ces nobles paroles jusqu’à mon lit de mort, Votre Majesté haltérophile.

Le barbichu coule ses mains blanches dans ses manches, façon moine en balade dans le jardin du cloître. Il clôt les yeux. Ses paupières bistres font songer à celles d’un oiseau de proie somnolent.

Il se tourne vers son domestique et lui déclare très exactement ceci, que je te reproduis in extenso tel que j’ai pu le recueillir, sans y changer une virgule :

- ;-) :µ, !(_*&=. /° :¨ ; :. ?§ »( ; ?

— Tout de suite, Votre Majesté, répond l’interpellé après s’être agenouillé et avoir frappé le sol du front à trois reprises et demie.

Et l’apôtre de se ruer sur le téléphone en disant au room service comme quoi mais qu’est-ce qui se passe ? l’heure du sang de pigeon de Sa Rupinos Majesté est passée et Sa Foudroyante Majesté à ressort l’attend toujours, nom d’Allah !

A quoi, le préposé hébété répond comme ça que comprendre, il peut pas, vu que son collègue est parti depuis déjà cinq minutes en chiffres arabes avec le bol de sang de pigeon et qu’est-ce y peut bien branler, cet enfoiré, dites ?

Et à ce moment, pile, on toctoque à la lourde.

— Ah ! le voici, dit le domestique privé de Son Extatique Majesté rutilante.

Il raccroche, fonce ouvrir.

Un larbin est laguche, impec, tenant un plateau avec sur le plateau un bol. Le sang de pigeon, tu sais ses vertus ? Comme aphrodisiaque, tu trouves pas mieux. M’est avis que l’émir adore (pas confondre avec les miradors) figfiguer malgré son âge avancé pour son âge. Lui, dételer ? Jamais ! Il a affublé son zobinche d’un maillot en thermolactyl, si bien que sa noble membrane n’a pas froid aux yeux.

Mais je t’en reviens au domestique qui se pointe. Et c’est palpitant, ne te mouche pas à cet instant, renifle, sinon tu risquerais de rater le plus beau.

L’arrivant avec son plateau et son bol, tu sais quoi ? Il a un geste brusque. Le bol était soudé au plateau comme les bouteilles coltinées par des clowns. Et il ne contenait pas du sang de pigeon mais de l’acide nitrique. Et ledit asperge les châsses du valet qui pousse un cri pis que celui de Mme Dalida, le jour que Samson l’a pratiquée. Parce que je ne sais pas si tu as déjà dégusté une bolée d’acide dans les carreaux, moi non plus, mais je peux t’avertir que ça fait jouir.

Le reste filoche à sombre allure. Un deuxième individu, fringué en loufiat lui aussi, bondit dans l’appartement, armé d’un pistolet-mitrailleur de marque tchèque ou polonaise (comme tous les flingues dans les affaires terroristes, j’ai remarqué). Il se cambre pour viser, tenant sa sulfateuse à deux mains, et sa frite est celle d’un kamikaze (sur l’air « d’encore un ami de casé, v’là le vitrier qui passe »). Regard démentiel, rictus, teint livide. Il prend bien son temps pour envoyer la soupe sur Kohnar le Constipé. Trop. Moi, le bel Antonio, toujours vif, force et santé, prestige et élégance, promptitude et efficacité, moi, redis-je, de choper le narguilé à Sirella par le col et vloum ! Mon adresse n’a d’égale que celle de ton concierge, rue des Filles-du-Calvaire. Le récipient frappe le tireur en plein front. Cézarin est déséquilibré. Il part en arrière, mais en pressant la détente de son vaporisateur. Une volée de frelons se répand dans la pièce. N’écoutant que mon initiative, je chope le récipient contenant les braises destinées à faire mijoter le contenu du narguilé au bain-marie et je fonce au tireur pour lui emplâtrer la chaufferette sur le museau. Le deuxième gus, l’homme au vitriol, extirpe un poignard à lame courbe de ses hardes. D’une savate aux burnes, je l’incite à changer d’avis. Un deuxième coup de saton sous le menton rend sa mâchoire inutilisable pour plusieurs jours, la manière que j’ai entendu craquer, ça, tu peux y compter. La situasse est à ma pomme. Ne me reste plus qu’à compléter ma besogne par une seconde rafale d’horions judicieusement répartis.

Puis à ramasser les armes.

Le larbin continue de se rouler au sol en glapissant, sa cécité fait loi.

Alors je m’intéresse à mes compagnons. Et que découvré-je ? Kohnar le Constipé est agenouillé et prie avec une indicible ferveur. Quant à ma Sirella jolie, merde ! Elle a ramassé des bastos dans le ventre et halète en crispant ses mains expertes sur la flaque de sang étalée au milieu de sa robe.

Des larbins parqués dans d’autres chambres, le préposé aux écoutes, des valets d’étage s’annoncent à qui mieux mieux.

Brièvement, je lance des ordres :

— Prévenez la police. Appelez le meilleur hôpital et dites qu’on envoie de toute urgence une ambulance.

Tout cela, en braquant les deux agresseurs.

Comme personne ne bronche, paralysés qu’ils sont tous par la stupeur, je tonne :

— Mais maniez-vous le cul, bordel !

Puis, m’adressant au préposé du radar :

— Au lieu de faire joujou avec tes micros à la con, tu ferais mieux de te servir d’un simple téléphone, il y a deux blessés graves ici, et ça urge.

Le mecton à la moustache loupée bredouille :

— Sa Majesté n’a rien ! Allah est grand !

En effet, elle n’a rien, pas même des gars valables pour la garder ! Et bon, l’effervescence se crée. Ça se répand en piaillant. Un gars appelle enfin la police, le petit guette-au-trou va dans son antre afin de prévenir l’hôpital, promet-il.

M. Bonot, le directeur de l’hôtel Mâ-Kâch, survient. Eperdu de confusion, de contrition, de construction. Il se traîne aux pieds de l’émir acculé, lui demande pardon que ça se soit passé dans son établissement, ce bigntz. Il recommencera plus.

Kohnar l’écarte d’une main dédaigneuse. Puis vient à moi. Il biche ma main libre et la porte à ses lèvres.

— Tu m’as sauvé la vie, homme de police, fait-il de sa belle voix feutrée, me tutoyant pour me marquer sa reconnaissance. Qu’Allah te protège, toi et les tiens jusqu’à la quatorzième génération ; mon existence t’appartient désormais et tu pourras me demander ce que tu voudras.

— Pour l’instant, je voudrais une ambulance et le meilleur chirurgien de Marrakech, lui dis-je.

Car elle n’a pas l’air d’aller fort, Sirella. Son teint plombé comme un fourgon en douane ne me dit rien qui vaille. Elle a le nez tout minuscule, soudain, et ses lèvres se retroussent de manière impressionnante.

— Elle va mourir, me déclare placidement l’émir, pour qui la mort des autres a moins d’importance qu’un vent de lapin venu du large.

Il me tapote l’épaule.

— Ne te désole pas, homme de courage, si elle meurt, je t’en achèterai une autre.