Выбрать главу

Ayant promis, il me prend le pistolet-mitrailleur des mains et, avec beaucoup de calme, fait sauter les deux cervelles des terroristes terrassés, car c’est un prince intraitable, qui n’admet pas qu’on vienne lui faire le coup du Petit-Clamart (en arabe « Kalamar »).

UN AGENT

ARRIVE

EN NAGEANT

Elle ne meurt pas pour le moment.

Le professeur Sa Fémâhl, qui l’a opérée, m’explique que Sirella a peu de chance de s’en tirer, compte tenu des perforations qui lui ont transformé l’abdomen en harmonica, surtout qu’une balle a touché le foie ; et le foie, même si tu écluses Vichy Saint-Yorre, faut pas trop y percer de trous sinon il dit merde au métabolisme de tes glucides, de tes lipides et de tes protides. Qu’à ce moment-là, pardonne ce cours médical sur le pouce, il cesse de se faire de la bile pour toi et dès lors c’est toi qui as du mouron à te faire, comprends-tu ?

Je quitte ma bien-aimée pour la laisser en réanimation, avec des drains, des tuyaux, des appareils à survivre bon gré, mal gré. Je ressens une peine mystérieuse : ma reconnaissance du bas-ventre qui s’exprime. Je sais bien que la carambole, quand elle n’est pas l’aboutissement de l’amour-passion, ne te mobilise pas davantage le palpitant qu’un pique-nique avec un cadre en retraite embarqué sur ton paquebot de croisière. Sirella, question performances, c’était la toute belle affaire à enlever de haute lutte ; mais elle glissait trop dans les manigances pour qu’un homme aussi averti que moi cède complètement à ses charmes. Il n’empêche que je lui dois des instants vachement passionnants, car elle s’exprimait avec son cul mieux qu’Armstrong avec sa trompette.

Aussi, est-ce un homme désorienté qui sort de la clinique Chouïa-Barka, la plus huppée de Marrakech. Je flânoche, indécis. Cette histoire débloque. Un charmeur de serpents fait se trémousser un cobra, à l’ombre d’un arbre que je te garantis séculaire avec l’estampille d’exportation.

Un couple de nœuds volants délabrés admire le topo. La dame, une vieille bique mitée, use gauchement d’un Instamatic, manière de flasher pour épastouiller Mme Gradelamoule, leur concierge. Son frometon : sandales de cuir, chemise à manches courtes, casquette blanche, regarde se dresser l’ophidien d’un air rêveur, comme quoi il aimerait bien que le charmeur joue un petit air à sa braguette, histoire d’en faire sortir son mignon reptile d’alcôve qui n’a pas levé les yeux au ciel depuis lulure, le pauvre chérubin.

Un gentil petit môme tout doré s’approche de lui pour solliciter un menu don en espèces. Le grelu l’envoie chez Dache, le perruquier des zouaves ; tout juste s’il ne lui flanquerait pas un coup de latte. Heureusement, la petite sœur du rebuffé secoue le larfouillet au kroum, en deux temps un mouvement, d’une menotte obstétricale.

Tout est bien qui se termine bien : les deux mômes s’éloignent, emportant en même temps que l’artiche marocain du vieux birbe, la photo de son fils aîné en tenu de para, sa carte d’identité préfectorale attestant qu’il est bel et bien un vieux con, un article sur le « lancer léger » découpé dans le Chasseur Français et son permis de conduire des véhicules à essence.

La dame, attendrie, a photographié la petite fille au côté de son mironton pendant qu’elle l’accouchait sans douleur. Et puis elle vient suggérer à son fossile de carmer une piécette au montreur de serpents ; le grigou refuse d’un bougonnement, mais ça ne change rien pour le montreur, puisqu’il n’a plus un dirham en fouille ; ce qui prouve que l’égoïsme est payant, parfois, car voilà un homme dont la sécheresse de cœur va retarder de quelques minutes la crise cardiaque.

Je me fends d’une obole.

Et alors bon, que fais-je ? Retour à Paname ? N’ayant plus rien à espérer, ni de l’émir ni de Sirella, ma présence dans cette sublime contrée est désormais sans objet.

Mais quelque chose me conseille de n’en rien faire. D’autant plus que… Ecoute, pour tout te dire, tu vois, ce mec basané, là-bas, près du marchand de bimbeloterie ? Oui, celui qui a un pantalon bleu et une chemise blanche. Eh bien, j’ai le sentiment qu’il s’intéresse à moi. Il se trouvait devant l’hosto quand j’en suis sorti, et maintenant il est laguche, à se branler les couennes avec cet air faussement innocent de ceux qui ont tellement envie de passer inaperçus qu’on ne regarde qu’eux.

Je gagne le centre de Marrakech et m’enquille dans le bureau de poste. Une petite plongée dans l’annuaire du téléphone, qu’aussitôt ensuite je m’installe dans une cabine pour appeler l’ambassade britannique de Rabat. Je réclame l’ambassadeur soi-même. Très évidemment on me le refuse, et j’ai droit à une secrétaire qui s’appelle miss Lenson.

— Parlez-vous allemand ? je lui demande en allemand.

Elle me répond qu’un tout petit peu.

— Prévenez Son Excellence qu’un attentat a eu lieu à Marrakech contre l’ex-émir du Kalbahr ; le prince n’a pas été touché, par contre une jeune Britannique qui se trouvait en sa compagnie a été abattue et on désespère de la sauver. Précisez qu’il s’agit de Mrs. Sirella Delameer. Ajoutez encore qu’elle est officiellement veuve, mais qu’on sait parfaitement que son époux est vivant. Avez-vous bien tout compris ? Si oui, résumez ce que je viens de vous dire.

Miss Lenson résume parfaitement d’une voix tranquille.

— Qui êtes-vous ? demande-t-elle pourtant.

— Un touriste allemand, je réponds.

Et je raccroche.

Pourquoi ce coup de turlu ?

Moi, tu me connais ? Agir d’abord, réfléchir ensuite. Toujours faire confiance à ses impulsions. Un écrivain, il écrit spontanément, ensuite il se trouve des chiées de bricoleurs pour expliquer ce qu’il a voulu dire. Dans l’existence, il y a ceux qui créent et ceux qui dépècent. Il n’est pas envisageable d’autopsier l’enfant qu’on met au monde.

Et alors, en gambergeant à mon acte, je regagne l’hôtel Mâ-Kâch. Toujours débusquer le gibier pour pouvoir le tirer.

Qu’elle n’est pas ma gaufrance, en arrivant au palace, d’apercevoir Achille dans le hall, beau comme une bite fraîche dans un complet à carreaux blancs et bleus, chemise à col ouvert, targettes à grille immaculées.

Il me guignait car, m’avisant, il se précipite sur moi, comme Robinson Crusoé sur une pute de Soho en débarquant en Angleterre après son séjour prolongé au Club Méditerranée.

— Ah ! vous voilà. J’ai mille choses à vous dire.

Je fous mon meilleur doigt devant mes plus belles lèvres pour lui intimer le silence. Le chope par le bras et l’entraîne à l’extérieur.

Il me suit, surpris mais silencieux.

— Allons déjeuner dans un restaurant où l’on trouve les meilleures spécialités marocaines, dis-je.

— Je ne suis pas seul ici, ergote le Dabe, j’ai amené Mlle Suzette Lasemainede, ma nouvelle collaboratrice, une personne que je dois adapter à mes habitudes.

Je me penche à l’oreille de Dabe :

— En ce cas, allez la chercher, mais ne dites rien d’essentiel dans l’enceinte de cet hôtel, vous risqueriez d’être enregistré.

— Je ne sais pas si Suzette est prête, elle défait sa valise…

— Alors, qu’elle vienne nous rejoindre au restaurant El Semoul, n’importe quel taxi en connaît l’adresse.

Le Dabe s’éclipse un instant. Pendant qu’il est absent, je cherche mon suiveur supposé et l’avise en effet en bordure du parking. Je lui adresse un signe joyeux de la main. Il doute que ce soit à son intention et semble tout étonné. Alors je pique sur lui d’un pas tranquille.

— Te casse pas la nénette, fiston, lui dis-je, je vais aller bouffer au restaurant El Semoul, vas-y le premier, tu me retiendras une table près de la fenêtre.