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— Adam ! crie-t-elle, arrête sinon je tire !

Le gros veau n’a cure. Entend-il seulement ? Son geste irrémédiable, déjà armé, va s’achever, au grand dam de mon visage avenant.

Alors deux coups de feu claquent. Je ne te les écris pas ici, ma machine ne comportant pas le signe de résonance. Toujours utile (ou est-il) que mon tagoniste sursaute. Le chenet lui choit de la pogne avec un gros bruit. Son visage devient plus grotesque encore sous l’effet de la stupeur. Puis on a l’impression qu’il se replie sur lui-même, se ratatine comme un masque de caoutchouc qu’on vient d’arracher. Et l’homme s’écroule enfin, brisant une table basse d’acajou, sur tréteaux. Il a quelques ruades, ouvre grand la bouche… Ses yeux se révulsent. Tu sais ? Comme ça. Rien que du blanc ! Il est étalé sur le dos, plus gros mort que vivant, contrairement à Guise qui, lui, était plus grand, mais c’était un noble et tu ne vas pas me comparer la mort d’un duc avec celle d’un porc, s’il te plaît ! Je t’en grille, un peu de détenu, comme disait un directeur de prison.

Une tache pourpre s’étale sous le rouge du traininge.

Moi, je suis là, le bras fané, la bite sortie, l’air plus glandu que le type qui s’est torché par inadvertance avec son billet gagnant de la Loterie. Ah ! pas fiérot le moindre, espère ! Me dis que si je ne suis pas embastillé par les Rosbifs pour complicité de meurtre, je n’aurai plus que la ressource d’entrer dans les ordres, après un tel désordre. Reusement que la peine de mort a été abolie en Anglaiserie. Merde ! Haut et court, l’Antonio ! Tu juges ?

Je me tourne vers Sirella.

Cette personne est d’un calme effrayant. Le veuvage n’apaise pas la haine conjugale d’une femme. L’homme, bon, dès la première pelletée de terre, il se tourne vers l’avenir ; la gonzesse, comptes-y, julot ! Elle n’en finit pas d’écumer le bouillon de ses rancœurs. Jamais un linceul n’a enveloppé le passé pour une épouse vindicative. Et à la façon dont elle considère l’agonisant, je constate une montagne de haine dans ses grands yeux de limpide-lazuli.

— Votre intervention a été opportune pour ma santé, mais elle risque d’être néfaste pour la vôtre, ne puis-je me retenir.

La petite louve sombre, au regard de ciel, comme l’écrirait probablement M. Maurice Schumann dans son deuxième livre en préparation, daigne me défrimer. Son expression est dépourvue de gentillesse, et a fortiori de tendresse.

— Fichez le camp ! me dit-elle.

— Voyons, Sirella, je ne peux vous abandonner dans une telle situation !

— Ne compliquez pas les choses et partez !

— Mais comprenez que je suis votre unique témoin à décharge, si j’ose dire. Les faits réels plaident en votre faveur : légitime défense. Ma clavicule brisée, la posture du corps, le chenet, tout est éloquent.

— Je n’ai pas la moindre envie d’être traînée devant des juges.

— Mais c’est inévitable ! Vous ne pourrez prétendre que cet intempestif est mort de la fièvre typhoïde !

Elle s’emporte tellement que je me demande si elle ne va pas me plomber à mon tour.

— Oh ! grand Dieu, vous ne comprenez donc pas ? Je vous demande de disparaître. Et tâchez de ne pas vous faire repérer !

— Je n’ai pas l’habitude d’abandonner lâchement une femme qui vient de commettre une folie pour moi, Sirella !

Elle tape du pied.

— Ce qu’il est con, ce type ! s’écrie-t-elle en bon français (j’ai relevé la même phrase dans Molière, dans Bossuet et dans « Pauvre Blaise » de Pascal Ségur, et même Roger Peyrefitte assure qu’on peut y employer quand c’est pris au figuré subjonctifiable).

Du canon de son arme, elle m’intime de foutre mon cher camp.

J’obéis.

Car retiens bien une chose, gamin : c’est qu’il ne faut jamais se montrer plus loyaliste que M. Loyal.

TU N’AS PAS NIQUÉ

PARCE QUE TU AS PANIQUÉ.

La maison de Mrs. Mahouss, mon hôtesse, s’élève à l’entrée de la localité. Tu vois la boucherie Bidoch ? Eh bien, en face.

Il s’agit d’une construction déjà ancienne, à laquelle une succession de propriétaires ont apporté leurs propres initiatives, ce qui donne une demeure tarabiscotée, avec des colombages, des terrasses inattendues, des haies que l’architecte initial n’avait pas prévues, et même un bout de tour octogonale résultant de la prétention du grand-père de Mrs. Mahouss, lequel fut colonel dans l’armée des Indes.

Mrs. Mahouss mériterait le qualificatif de « géante » si elle n’était pas si grande, mais dans son état elle échappe au vocabulaire. Lecteur au rabais (je t’appelle ainsi compte tenu de la modicité flagrante du prix de mes zœuvres, mais je te conserve en grande estime dans l’armoire de mon amitié), laisse-moi te dépeindre un bon morceau de Mrs. Mahouss, cela en vaut la peine. Imagine… Quoi, au fait ? Disons un tas, une masse, un agglomérat de chair dans lequel se définissent plus ou moins distinctement quatre membres et un tronc. Les membres paraissent atrophiés, le tronc, au contraire, surdéveloppé ; tronc de baobab aux branchages indécis. La tête est plutôt petite, comparée à son piédestal. Mrs. Mahouss n’aurait pas grand effort à fournir pour ressembler à quelque monstre antédiluvien sorti inopinément d’une caverne des monts Grampians où il aurait affronté quelques-uns des millénaires les plus sots de l’Histoire universelle.

Elle est si énorme, si formidable, si importante qu’elle a dû faire élargir chez elle les cadres des portes, ce qui fausse toute perspective honnête et contribue au baroque de sa crèche. Comparé à elle, je me sens de la race des avortons. Ce diplodocus femelle parle d’une petite voix feutrée qui fait peur, suintant de cet immense corps. On a la pénible sensation que ces chuchotis précèdent un formidable cri capable de faire craquer les tympans les plus éprouvés, tels ceux des manipulateurs de marteaux piqueurs, des secrétaires de commissaires-priseurs, des imprimeurs de journaux, des habitués de boîtes de nuit, et de l’ingénieur du son enregistrant la plainte désespérée du Mammouth enfonceur de prix.

C’est donc en cet antre d’animal préhistorique que j’ai trouvé refuge. Là que je cours me terrer en sortant de chez Sirella.

J’use le temps à écrire une longue lettre de tendresse à ma Félicie, à relire les Mémoires de Casanova, et à bouffer des mets insipides à l’auberge du pays qui s’intitule « On est mieux ici qu’en face » (l’en-face étant la maison qu’habita Ted Cut, le célèbre bourreau).

Jusqu’à l’heure du dîner, mon environnement reste quiet. Mais pendant que je suis à table, une effervescence s’opère. Ça se met à parler bas, des messieurs étrangers viennent s’alimenter, leur entrée fait cesser les conversations. Ils sont bientôt suivis de journalistes buveurs de scotch, dont les appareils photographiques s’entassent sur les tables.

Un qui se fait tout minard dans son coin, c’est ton pote Sana, mon chéri. Je me crois fourvoyé dans un polar de mamie Gaga Christie. La vieille Angleterre où un meurtre a été commis. Ne manque que Hercule Poirot-Delpech pour fignoler le tableautin. J’essaie de tendre l’oreille, mais au pays de la discrétion, il est malaisé de capter les conversations. Pourtant, au moment où la serveuse rouquine à pois orangés m’apporte une tranche de cake (cake tu racontes ?) dont les raisins secs sont restés plus secs que des crottes de chèvre, je risque un geste circulaire et murmure négligemment :