Je rafle sa menotte sur le drap blanc et lui en baisotte le dos.
— Que nous est-il donc arrivé ? me demande-t-elle.
— Des fleurs, lui dis-je. Celles qui étaient destinées à Mrs. Delameer et que vous avez cru bon d’emporter à votre chère petite maman. Un homme infâme, soucieux de tuer la jolie jeune femme dont il craignait qu’elle se remît de ses intempestives blessures, un homme sans vergogne, ce qui est grave, ni scrupule, ce qui l’est plus encore, fit placer dans une corbeille de fleurs au demeurant magnifiques, une capsule d’éthéro-brindzing flatulé, ce gaz qui tue plus sûrement et rapidement que l’alcool, le cancer ou la pneumonie double. Que je vous explique : la capsule contenant le gaz est faite de bougnazium mixte, matière qui se décompose en quelques heures au contact de l’humidité. Logée au cœur de la mousse détrempée dans laquelle sont piquées les fleurs, elle a rempli son office et s’est mise à se désagréger, libérant le gaz. Madame votre mère, que vous voudrez bien saluer de ma part, a respiré l’éthéro-brindzing flatulé. Effet immédiat ! Vous, frappée à votre tour… L’horreur ! Heureusement vous avez eu le sursaut d’appeler au secours votre dévouée collaboratrice à laquelle vous devez un grand merci. Et vous voici sauvées, l’une et l’autre. Supposez que vous ayez placé la corbeille dans la chambre de Sirella Delameer, cette dernière serait défuntée infailliblement.
— Comment va-t-elle ? s’inquiète la douce Aïcha.
— Son état paraissant s’améliorer quelque peu, le médecin-chef a consenti à ce qu’un avion l’emporte à Londres, m’a-t-on appris.
— Mais qui voulait la tuer ?
— Un vilain prince arabe qui ne règne plus que sur son compte en banque.
Je dépose un chaste baiser sur le front enfiévré de la ravissante.
— Remettez-vous, et nous aurons un destin nocturne, promets-je. Je vous dirai tout sur « le coup du Poséidon », « la lanterne sourde », « la moule farceuse », « le clapier en folie », « la charge des lanciers manchots », « le poulet ardent » et « l’enfûtage bourguignon ».
Elle accepte cette promesse avec un sourire béat.
Les choses se précipitent.
Comme je me repointe dans la maison déclose de Mamie, mon ouïe est alertée par des cris d’animaux dont il m’apparaît qu’ils doivent être domestiques, comestibles et appartenir au règne souverain des mammifères, tout comme le Président Reagan, Einstein, toi, ton clébard, les vaches de mon fermier, Marilyn Monroe et quelque quatre milliards de cons qui sont en train d’attendre la mort en faisant semblant de vivre.
Ces cris (des grognements) me donnent de l’espoir. Je trouve ma bande de gentils fripons au complet. Le Grêlé porte une combinaison bleue de mecano car c’est lui qui est chargé des animaux.
Mamie exulte.
— Vous allez voir comment ça va boumer, mes drôlets, promet la centenaire. Je les connais, moi, les vieux Arbis, votre émir ne résistera pas trente secondes. C’est la religion qui les mène, ces mecs !
Beau-Marle reste plus réservé.
Le Grêlé explique qu’il a eu du mal à trouver les gentils auxiliaires proposés par la grande-vioque. Pas fastoche à dégauchir dans ce pays de merguez.
Bon, nous retrouvons notre P.C. derrière la glace sans tain. Beau-Marle a amené une boutanche de Dom Pérignon rosé pour qu’on soye plus à l’aise. Mamie s’en cogne une coupette bien frappée, d’entrée de jeu. Elle pronostique une réussite franche et massive, la daronne. Comme quoi ses instincts la trompent jamais. Tout ce qu’elle déplore, c’est d’être miraude jusqu’au schwartz inclus, tant tellement elle aimerait assister à la saynète. Ça lui rappelle jadis, quand elle faisait le commentaire coquin pour les clilles huppés, tandis que Mina l’Alsaco s’expliquait avec Petit René, un julot gros comme une pompe à vélo mais chibré comme jamais vu, et plein d’extravagantes initiatives. Elle rassemblait des auditoires de choix : M. Lagonfle, le président de la chambre de commerce ; le commandant Branleur, un ancien bras droit de Lyautey ; Germain Tupuduque, le peintre fameux qui a refait le plafond de la chapelle Fifteen ; et d’autres qui aimaient à venir se régaler des exploits fracassants de Petit René. Elle raconte encore sur son erre, Mamie, la façon impériale qu’il vergeait la Mina, le brin d’homme. Seule l’Alsacienne pouvait héberger son monument classé, au René, car fallait un éteignoir féroce pour lui encaisser le guiseau, à cézig. Il traînait pas loin de quarante centimètres et quand il déballait l’outil, les dadames s’enfuyaient comme pour une alerte au gaz, se voyant défoncées à vie, le frifri en éclats, déchiqueté horrible comme dans un accident de chemin de fer.
Elle revit, la mignonne vieillarde ; c’est tout un passé héroïque qui remonte à la surface. Elle plaçait un commentaire impec pendant la séance de reluisance, disant tout bien comme il faut, ce qui se passait, soulignant l’exploit, préparant les prouesses suivantes. Qu’en fin de parcours, ses clilles d’élite sautaient comme des Huns sur son cheptel et basculaient leurs beaux dirhams sans compter, même le commandant Branleur, bien qu’il fallût des forceps pour lui extraire son morlingue. Et à présent, bon, le bouiboui est fermaga. Maison archiclose ! Beau-Marle a le projet de le transformer en restau de luxe pour les touristes huppés, avec peut-être bien deux ou trois moukères à l’affût des solitaires, histoire de complaire à Mémé, lui dissiper la nostalgie.
Et tandis que nous conversons, tout s’est mis en place dans le salon des cris. Mes potes y ont ramené l’émir Kohnar, l’ont dessapé et finissent de le badigeonner d’une préparation mystérieuse.
De le voir à loilpé, on ressent de la pitié. Il est si freluque, le vieux, tout décharné, avec juste les montants et pas de viande après.
Il continue de chiquer les stoïciens. Un grand dignitaire. Franchement, aussi fumelard soit-il, chapeau devant son courage.
Le Grêlé se pointe, coltinant un sac soubresauteur et hurleur sur son dos. Il repart en chercher un second après avoir déposé le premier dans le salon. Puis un troisième. Son convoyage achevé, il ouvre ses sacs. Trois cochons s’en échappent comme des dingues, grognant, furetant, chargeant en tous sens. Des porcs pas très gros, pleins de poils noirs, les yeux rouges.
Riton le Belge et le Grêlé s’installent sur le dossier d’un cosy pour mater la scène. Les gorets mènent une bacchanale du diable. Ils amorcent un début de bagarre, l’un d’eux commence à bouffer un coussin ; c’est dantesque. Et puis, le plus mastar, un mâle à l’air peu amène, finit par retapisser Son Altesse Rarissime, sur le tapis. Il le hume et commence à le lécher : Mmmmm, y a bon, purée mousseline ! Les deux autres potamochères veulent profiter de l’affaire du mois, eux aussi.
C’est alors que le père Kohnar n’y tient plus et se fout à bramer dans une chiée de dialectes en vigueur entre le trentième et le quinzième parallèles. La Mamie, miraude mais pas sourdingue et qui s’est familiarisée avec tous les patois qui sont pratiqués en Afrique et au Moyen-Orient, se met à glapir comme une fillette qui vient de dénicher le godemiché de sa grande sœur.
— Ça y est, il s’affale ! Il va en croquer ! Je le savais ! Les gorets, c’est leur hantise, aux plus vieux ! Tu leur approches un sandwich jambon du pif et ils s’enfuient pis que des rats malades. J’avais pas raison, mes petits durs ? Comme disait le Grand Louis : Pour que le mec naisse, il faut que le salaud nique. » Il avait fait les Dardanelles, mon homme ! Et le Tonkin, les Comptoirs de l’Inde, ceux de Pigalle ! Un vrai pedigree de julot. Votre émir de mes pauvres fesses veut se mettre à table, poulet. Il supplie. Mais faites-moi plaisir : laissez-le manger par les petits cochons, juste un chouïa, pas avoir dérangé ces braves bêtes pour rien !