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Nonobstant sa requête, j’enclenche le signal lumineux pour signifier à mes deux potes qu’ils délivrent provisoirement Sa Majesté cochonnée et attaquent le grand questionnaire à vingt balles.

Ça chauffe, les gars !

Que dis-je : ça brûle ! Ça carbonise !

* * *

Ils sont là, tous les trois : Achille, Béru et l’Américaine platinée au décolleté padiraquien. Ils rigolent, à l’enregistrement de l’aéroport. Visiblement, ils ont passé une nuit pas déplaisante, avec picole tout terrain, troussées géantes et félicités diverses laissées au bon cœur et à l’imagination de ces messieurs.

En m’apercevant, Achille retrouve quelque gravité.

— Je ne pensais pas que nous dussions quitter cette merveilleuse ville la queue entre les jambes, me dit-il. Nous venons de perdre le Maroc pour la seconde fois de notre Histoire, San-Antonio.

Je hausse les épaules.

— Il est des fatalités auxquelles on ne peut que se soumettre, patron.

Ce doux mot de « patron », si frisant à ses tympans, calme à peine son aigreur.

— Depuis que j’ai dû quitter mon poste précédent, mon pauvre vieux, il faut reconnaître que rien ne va. Il n’y a plus d’âme, partant plus de motivation profonde. Enfin, quand ces socialistes benêts nous auront cédé le terrain et que je serai ministre de l’Intérieur, ou plus exactement commissaire du peuple à l’Intérieur, je procéderai à une refonte complète de notre appareil policier.

— Je n’en doute pas, patron.

Comme c’est mon tour d’enregistrer, je présente ce qu’on appelle officiellement un « titre de voyage » à la préposée, une charmante Marocaine dont le front s’orne d’un minuscule tatouage qui fait penser à trois crottes de mouche.

— Pour Genève ? dit-elle.

— Comme vous le voyez, miss.

— Des bagages ?

— Une valise.

Je dépose ladite sur la bascule dont le cadran accuse vingt-huit kilogrammes quatre cents.

C’est à cet instant précis seulement que le Dabe sursaute.

— Comment ça, Genève ? Vous ne rentrez pas à Paris avec nous ?

— Non, monsieur le ministre, je prends le vol Swissair qui décolle vingt minutes plus tard.

— Ah ! ça, en avez-vous référé à votre directeur ?

— Je le ferai après, monsieur le ministre.

— Après quoi ?

— A l’achèvement de ma mission, tout cela figurera sur mon rapport, soyez tranquille.

— Non, mais c’est l’anarchie, le bordel, la merde ! se met à hurler le Vieux et sa voix enfle, répercutée par le hall.

Bérurier, qui avait coulé sa dextre sous le pull en cachemire de la Ricaine pour lui constater les mammaires en vadrouille sous le vêtement, croit opportun d’intervenir :

— Qu’est-c’est, c’coup de sang, Chilou ? Y a du rebecca de la part d’un suborneur dont auquel j’sus le chef ?

— Figure-toi, Sandre, que cet emplâtre prétend aller en Suisse pour y prolonger sa mission, alors que nous sommes convenus de stopper les frais.

Bérurier mâchouille des choses définitives à proférer.

— C’t’ennuillieux, j’ai pas d’bureau ici, fait-il au bout de ses cogitances, j’aimerais ce pendentif avoir une converse av’c le commissaire. Santantonio, v’nez un peu jusqu’au bar, qu’on s’isole, mon cher. Chilou, soye complaisant : continue d’me chauffer c’te p’tite dévergondée dont j’lui f’sais les bouts de seins en camarade, elle raffole. C’te nana c’est comme les z’hauts-fourneaux du Creusot : faut jamais la laisser s’éteindre et on est pas trop d’deux pour assurer la permanence, qu’autrement sinon, un voyant rouge s’allume dans sa culotte.

Et le Gros, survolté par l’autorité que lui confère sa fonction, me précède jusqu’au rade où il prie un certain Abder ben Hussin, trente-quatre ans, marié, père de six enfants, de nous servir de toute urgence des whiskies doubles.

— Commissaire, me déclare mon directeur, j’aime pas que ce vieux nœud d’Achille vinsse nous battre les blancs en neige dans nos propres slips. C’est pas l’mauvais ch’val, mais, j’vous l’aye dit, y la tendance à fout’ son grain de poiv’ partout. De quoi s’agite-t-il, dont au sujet de ce voiliage en Suisse ?

— De conclure la mission que vous avez bien voulu me confier, monsieur le directeur.

— Messe encore ?

— Je crois entendre que votre vol est appelé, vous n’allez pas rater votre dur et laisser cette vorace Américaine dans les bras insatiables du Vieux, si ?

— Je vous prille en deux mots, d’m’espliquer, commissaire.

Alors moi, tu sais pas ?

Je pose ma main sur l’immense épaule du Mastar et lui soupire à dix centimètres du naze :

— Alexandre-Benoît, je veux bien faire joujou de temps en temps, seulement vous commencez à me faire chier, tous, avec vos momeries ; y a des moments où on a besoin de parler à des adultes, tu comprends ? Alors file prendre ton zinc et me tripote plus la prostate, je suis à la limite du hors jeu.

Le Gravos écluse son double rye.

Il règle le ticket modérateur et me laisse pour rallier le tandem. Je l’entends clamer à l’intention du Vénérable :

— Le commissaire agit sur mes directrices franches et massives, Chilou ; aussi j’te prillerai d’plus nous les briser. Y a des moments qu’on a b’soin d’rester ent’adultes, tu comprends ?

Dès lors, les choses sont simples.

Parvenu à Genève, je prends une chambre à l’Hôtel du Rhône. Ensuite je me rends au siège de la C.B.H. (Compagnie de Banques Helvétiques).

A 15 heures 10, le directeur adjoint me reçoit. Je lui remets une lettre manuscrite de Sa Majesté Non Ignifugée Kohnar. Il sonne son chef Machin aux fins de contrôle et lui remet la lettre.

A 15 heures 19, le chef Machin revient et dit que c’est « en ordre ».

A 15 heures 22, le directeur adjoint se fait remettre la carte de location du coffre 618. Il écrit mon nom, mon âge et mon adresse à la rubrique « procuration », il me prie de signer en regard de mon blaze, ce que je fais.

A 15 heures 26, le directeur adjoint me dit qu’il va faire poster la carte en exprès à l’adresse que lui a donnée Sa Majesté à Marrakech, c’est-à-dire S.A.S. Kohnar, c/o M. Henri Van Deboot, rue Mouley Agauffr 101, Marrakech (Saône-et-Loire). C’est l’adresse de Riton qui va devoir en changer ensuite, y compris d’identité, mais de toute manière, ce n’était pas sa vraie.

Je passe une soirée délectable au Griffin’s de Genève, repas délicat, bordeaux de classe, ambiance euphorisante. Et en quittant ce temple du bien vivre, imagine-toi que je propose à une ravissante jeune femme noire bottée haut, jupée court, avec une coiffure à la Noah, de la raccompagner jusqu’à mon hôtel. Elle accepte, n’ayant pas de préjugés raciaux.

Nuit exquise, qui nous grise…

Le lendemain, matinée à libre disposition. Déjeuner au Bœuf Rouge : pieds de mouton, boudin, chirouble.

L’après-midi : cinoche.

A 20 heures et du retard, Riton le Belge déboule avec la procuration visée par Son Altesse Délabrée. Je l’invite à claper chez Girardet ; bien que toutes les tables soient retenues depuis 1978. Freddy accepte de nous servir dans l’escalier de son grenier où il lui reste encore deux marches de libres que l’embolie survenue à l’un de ses clients ont rendu vacantes. Riton déclare que ça le change des frites de sa vaillante nation et du couscous marocain. Son enthousiasme est tel qu’il se fait inscrire sur la liste d’attente pour le 19 mars 1986, jour anniversaire de son vieux père qui atteindra ses quatre-vingt-cinq ans.