Il me file le dur admirablement, le gredin. Tout piger impec, l’arnaque monstre montée par l’émir et Adam Delameer, au temps où l’un et l’autre se trouvaient à pied d’œuvre au Kalbahr, chacun dans ses fonctions.
Le coup s’est situé pile au moment d’une grave crise pétrolière consécutive à la guerre de Suez, sous la Quatrième Raie Publique. Là, que le démarrage de l’aventure s’est opéré. La France dépétrolée : des idées, mais nibe de super, merde ! Alors, par le canal (je devrais dire le pipeline) de m’sieur le vice-consul britiche, Kohnar II fait une propose. Un traité ad vitam aeternam avec la France, lui réservant la production exclusive, pleine et entière, de cinquante mille barils de pétrole par jour. En échange, cet amateur de pierres précieuses exige qu’on lui remette le Régent. Ou plus exactement, qu’on le lui échange contre une autre pierre beaucoup plus petite, taillée comme l’illustre caillou. L’une remplacera l’autre et qu’est-ce que tu veux que ça branle ? Quand la famille Dubois-Ringard va admirer la gemme (c’est Shell que gemme) au musée, tu crois qu’elle retapissera la différence, ta pomme ?
C’est Adam Delameer qui, en grand secret, se charge des tractations occultes. Les Français aux abois acceptent. L’accord se fait. Notre ambassadeur au Kalbahr est prêt à le signer. Of course, il n’y est pas question du diam, ça c’est la face cachée de Lindbergh (comme dit Béru). La veille du jour où doit être signé le traité, un messager spécial, dûment convoyé, se pointe au Kalbahr avec le Régent attaché à ses testicules (ce qui, plus tard, me donnera l’idée d’en faire autant). Rendez-vous est pris au palais émirial. Mais là, la bite à Zozo ! Une méchante embuscade a été préparée. Le messager est enlevé, conduit en un lieu secret et dépouillé (voire découillé). Ensuite il ne reste plus qu’à l’abattre.
L’émir, un perfide, nettoie le gars devant le consulat de Grande-Bretagne. Il veut mouiller Delameer d’une certaine façon, le tenir à sa botte. Et ça boume, Delameer joue le jeu du Samaritain (de luxe).
Plus de diamant. Les accords prévus sont décommandés ; la pauvre chère vieille France n’a que le droit de fermer sa gueule, comme toujours. Elle s’est fait arnaquer féroce. C’est tellement énorme, tant tellement scabreux, si puissamment scandaleux, qu’elle écrase le coup, la France. Fait confectionner un Régent de secours chez Burma pour cacher la mère Dauchat.
Toinet, il en bave maintenant des ronds de chapeau melon (nous sommes des inconditionnels de Magritte dans la famille).
— Et après et après ! qu’il exige.
C’est beau comme les Trois Moustiquaires.
Et comme dans l’Etroit Mousquetaire, on fait une suite : Vingt ans après, dans laquelle le célèbre San-Antonio joue le principal rôle.
Je lui narre l’interview imprudente accordée par Kohnar à une petite journaliste. Ça rebrasse la merde. Dans le nouveau gouvernement, quelqu’un qui sait l’histoire du Régent (mais ça reste secret, d’un régime l’autre, comme les bananes) dit « Tiens, tiens ! ». Et de fil en aiguille, tout se recycle. On m’envoie voir du côté de chez Swan si Delameer y est. Dis donc, il a une belle maison, après tout, ce gusman. Tu crois que dans les services britannouilles on affure tellement de sterlinges ?
Alors je me pointe. Mais le bonhomme a été prévenu. Et mon petit doigt viceloque me chuchote par qui. Je ne dirai pas de nom et c’est pas la peine de suivre mon regard : je ne mate personne. Simplement je pense qu’il y a des drôles de rancœurs, en ce moment, chez des mecs débarqués du navire à coups de lattes dans le prose. Tu m’as compris tu m’as ? Merci, je le paie cinq francs.
Bref, Delameer se met à pâlir des genoux. Il prévoit des tuiles. Lui, ce qui le fait chocotter, c’est l’émir. Est-ce que ce vieux nœud voudrait le faire chanter ? Alors il convainc ses supérieurs qu’il doit disparaître, et le coup de l’homme zéro finit par lui être accordé. De quels moyens de pression a-t-il usé pour obtenir ce régime spécial ? Mystery. Tripotage et grenouillage sont les deux mamelles des services secrets.
Donc, tout est O.K.
Seulement voilà. Sa nana est éperdument amoureuse de moi (non, je n’ai ni la tête ni les chevilles enflées, mais seulement le zigognard farceur) et elle joue les fausses veuves soyeuses avec moi. Alors, là, il voit red, l’apôtre. Aux grands maux les grands remèdes. Est-ce avec la participation de ses chefs qu’il m’envoie Flavius Tedseuquitu, ou bien l’a-t-il engagé à compte d’auteur ? Je me fous de la réponse ; ce qui m’épargne d’approfondir un problème dont toi-même n’as strictement rien à foutre.
Je continue ?
Toinet l’exige. Tu peux pas laisser quimper la caravane au milieu du gué, non ? Lui dire : « Allez, dors, je te la finirai demain », relèverait des sévices gestapistes.
Bon, alors je poursuis.
Marrakech, terre de lumière, enchantement, paradis sur terre, cité blanche et ocre. Ouvre ton Atlas et tu verras !
Je suis retapissé d’entrée de game par le vieux Kohnar. Il tique, l’ancien monarque. Oh ! la la ! ce qu’il tique ! Ma converse l’a éclairé. Ce qu’il en a retenu, c’est que ma petite médème est la veuve de Delameer. Il se peut qu’elle sache tout. Alors, vite fait bien fait, il organise un attentat bidon contre sa personne, au cours duquel nous serons abattus tous les deux. Mais tu le connais, l’Antonio, dis, Ernest ? Avec lui, c’est pas de la gelée de foutre. Seule ma pauvre gerce est touchée ; cette gentille qui, prévoyant les représailles de son gros sanguin payait un traîne-patins pour me protéger. Je sors vainqueur de l’attentat. Ce que constatant, que fait l’émir Acculé ? Il abat froidement les soi-disant terroristes pour s’assurer leur discrétion.
Il enrage — ô désespoir — de cette bavure. D’autant que la petite Delameer n’est même pas clamsée pour de bon. Si elle reprend ses esprits et qu’elle sait quelque chose à propos du Régent, elle va me balancer le morcif. D’où la corbeille empoisonnée. Et ce sont ces fleurs du mal qui causeront la perte du vieux kroum. Puisque leur erreur d’aiguillage m’amènera à tout piger. En somme, ce sont ces maudites fleurs qui m’auront mis au parfum. You see ?
Très bien. Le reste, je le bonnis à mon Toinet, avant de souffler sa chandelle ; mais comme tu y sais, est-ce bien la peine que je t’y répète ? Avec mon éditeur qui déjà se plaint que je fais des books trop longs… Je pourrais économiser au moins deux cahiers (c’est le terme d’imprimerie) de 32 pages ; il affirme, en faisant plus court tu te rends compte, l’éconocroque qu’il réaliserait, le Fleuve Black ? D’autant que le prix de vente serait inchangé. Mais moi, ma faiblesse, c’est le lecteur. J’ai beau le chahuter, je pense qu’à lui, et pour lors, je coule la baraque. Note qu’un fleuve est fait pour couler, après tout, hein ?
Dans le noir, tandis que je suis déjà à la porte, Toinet m’interpelle.
— Dis voir, le Grand !
— Quoi donc ?
— Ce diamant mahousse, t’aurais pas pu l’affurer pour ta pomme et le revendre en petits morceaux ? Pour le coup, on était milords pendant deux générations, tous les trois.
— T’as de drôles d’instincts, soupiré-je. Faudra qu’un jour on parle de la vie, Toinet. De ce qui la rend possible, de ce qui la rend dégueulasse…
— D’accord, m’sieur l’abbé.
— Tu vois, lui dis-je, pour tenter de lui faire comprendre, si j’avais fait ce que tu dis, je n’aurais pas pu te raconter cette histoire.