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« — Beau langage, non ? Même quand ces demoiselles s’engueulent, on dirait qu’elles chantent. »

Un jour, je lui ai répondu que je préférais l’italien ; il est resté un mois sans me saluer…

Bon, de la vie paisible, de la vie archiquotidienne, il en est de partout, n’importe l’hémisphère, les latitudes. C’est de la mousse, le quotidien. Ça forme des grandes plaques moelleuses. Si, par hargne gratuite tu te mets à les arracher, tu découvres la hideur du néant, plus quelques vilains cloportes surgis de nulle part et qui y retournent.

Maintenant, t’attends des explicances concernant ma présence à Eggs-to-the-Cook. Mais ça ne presse pas. La rate au court-bouillon, merci bien ! Toujours se décarcasser l’oigne pour raconter ceci, expliquer cela, te mastiquer l’action, fignoler les personnages, bien que tu puisses suivre, ça finit par me les rompre un tant soit peu. On est des purs galériens, nous autres de la romancerie. A dévotion. S.V.P., le syndicat d’initiative… Et quand on en prend trop, d’initiatives, voilà que ça se met à rouscailler dans les chaumières, comme quoi on outrepasse, on décrédible.

Alors mollo, tu m’entends, fiston ? Chaque rose en son champ, comme disait M. François Mitterrand à l’époque où il présidait la République. Tout viendra à poing pour qui saura t’attendre. Tu l’auras ton carnet d’entretien. Mes books, tu le sais bien qu’ils sont « vidange-graissage » garantis, avec resserrement des culbuteurs et du jeu de Paume toutes les cinquante pages.

Je m’ennuie comme la dernière pomme du compotier. Une bonne tringlée me calmerait la tubulure, mais fourrer qui ? Pas la mère Mahouss, elle n’est point accouplable cette masse-dame. Je pense avec nostalgie à la jolie Sirella qui a flingué son vieux pour mes beaux yeux chatoyants. J’ai la clavicule nasebroque. A propos, je t’avais dit que c’était la droite, tu veuilles bien rectifier, please : c’est la gauche ; j’ai trop besoin de mon bras droit pour m’en priver d’un mot écrit à la galopette. Donc, je souffre de l’épaule gauche, du bras gauche et de tout ce que tu voudras encore de gauche. N’empêche que si je tenais la veuve Delameer, j’oublierais ma douleur pour l’étreindre comme qui-peu-embrasse.

La pendule du salon me râpe la patience.

Que fiche ? Attendre de nouvelles directives, d’en haut ? Je souris en songeant que, désormais, « en haut », c’est Bérurier. Si par malchance, négligence ou impossibilité majeure tu n’as pas lu mon précédent chef-d’œuvre modestement titulé Va donc m’attendre chez Plumeau, ouvrage qui a été couronné par l’Académie San-Antonio à l’unanimité du jury, si donc tu as passé à côté de cet événement littéraire, tu ignores encore, à l’heure où je mets au four ce soufflé de conneries, la nouvelle la plus fracassante de cette entre-deux-guerres : Bérurier a été promu directeur des services de police, à la suite d’un canular de Marie-Marie, sa nièce inspirée, qui l’inscrivit aussi clandestinement qu’opportunément au parti socialiste.

Le fait, en tout cas, est indéniable, brutal, effarant mais véridique : on a viré le Vieux, notre bel Achille super-mondain, pour fourrer dans son fauteuil ce gros lard mal embouché, qui meurtrit la langue, pète des alexandrins vigoureux comme du Corneille, ne se lave pas davantage le visible que le caché, bâfre, baise et boit (ce qu’on appelle à la Grande Taule les trois « B » du Grand B), malmène qui lui résiste, pleure aux Deux Orphelines, respecte autant un menu de restaurant que les Evangiles (mais pas plus), se vante d’être cornard, encorne à tout-va, sème à tout ventre et qui, une fois nu, ressemble à un poste à essence (colonne de benzine pour la version suisse romande) tant son pénis est conséquent. Ce gueulard, ce cogneur, ce soiffard (ne les a-t-on pas surnommés, Berthe, Alfred et lui : « Les Trois éméchés » ?) est donc devenu, par le jeu des mutations et transmutations, mon patron. J’attends des ordres à présent de ce goret à qui j’en ai tant donnés ! Retour de manivelle ! Ainsi est la vie : audacieuse et surprenante.

Il a quelque peu changé, l’Obèse, à mon endroit. Depuis son entrée (des gladiateurs) en fonction, il se croit obligé de me vouvoyer. L’autorité désempare celui qui ne la porte pas en soi naturellement, de même que la fortune met en porte à faux l’homme qui n’a pas une mentalité de seigneur.

Mrs. Mahouss obstrue le formidable encadrement de la porte.

— Une tasse de thé vous ferait-elle plaisir, mister Antonio ?

Elle m’a eu déjà une fois, avec son eau chaude et ses biscuits rances, la mère ; elle peut se les filer dans la culotte. Je décline poliment, alléguant que la Faculté m’interdit formellement les excitants.

Navrée, elle se retire, comme l’océan lorsque sonne l’heure de la marée basse. Quand elle quitte une pièce, il se met à y faire plus clair, dirait-on.

Et c’est le moment où un coup de sonnette retentit en coulisse. Mrs. Mahouss va délourder. Très peu après, sa masse informe revient me pomper la lumière.

— Quelqu’un pour vous, mister Antonio, m’annonce l’himalayeuse.

Elle débouche l’horizon, et alors ma vue se brouille comme les œufs aux truffes de chez Lasserre. Qui vois-je ici surgir ?

Non, mon petit bonhomme, pas la couine, non plus que son prince des daims bourre, pas davantage que lady d’ail ou son grand glandu qui a l’air tellement spirituel quand il dort ou joue au polo (mais c’est rien, faut le voir baiser !).

Tu sais qui vient ce soir, dans ce bed and breakfast de la mère Tate-z’y ?

Quelqu’un que je te causais y pas deux minutes, mon pote : Achille ! Parfaitement, mon ex-dirluche, disparu au faîte de sa carrière pour abandonner son noble fauteuil au derrière mal torché de Béru.

Le Vieux ! The Old ! Le Tondu ! Dont nous ignorions ce qu’il était advenu depuis sa purge.

Il est là, impec, dans un complet bleu, pull de cachemire ; un Berburry sur le bras, une casquette irlandaise à la main. Grave, comme toujours, le regard limpide comme du Pernod blanc avant la souillure de l’eau.

Je me lève d’un élan de médium houspillé par la voix de Jehanne d’Arc.

— Seigneur ! fais-je.

— Ah ! il me reconnaît, hargnit le déplumé intégral.

Et il s’avance. Je me jette à sa rencontre comme un parachutiste se jette à la rencontre des deux mille mètres de vide placés sous ses pataugas. Son attitude réfrène mes ardeurs.

— Salut ! me fait l’arrivant en me présentant sa main à baiser.

Mrs. Mahouss, impressionnée par la classe du personnage, le défait de son imper et de sa gapette avant de nous laisser.

Je propose un fauteuil à Achille. Il en choisit un autre, près de la fenêtre, s’y dépose aristocratiquement, le fessier aérien, les cannes Louis quinze, ses bras modelant les accoudoirs. Et de le retrouver, tel qu’en lui-même, si farouchement identique à ce qu’il fut toujours, l’émotion hydrate ma prunelle. Achille s’en aperçoit, un éclair de contentement humanise ses yeux translucides (toujours lucides, rarement en transe).