Выбрать главу

Le Vénérable émet un hennissement de cheval venant de se briser une jambe.

— J’ai à charge la coordination des polices, tonne-t-il, et par conséquent droit de regard sur toutes les affaires.

Le Mammouth hoche la tête.

— V’s’avez droit d’ regard sur mon cul, mon bonhomme, il dit. J’sus prêt à vous l’montrer, la cave déchéant, moi, mon bonhomme, je fais pas d’l’ouvrage de salon, mais d’la police. Faut vous fout’ dans l’cigare qu’les temps a changé.

Puis, à moi :

— Commissaire, vos visites privées, ça va t’êt’ encore long ? Si voui j’vas aller casser une graine, c’est l’heure de mon thé.

Le Vieux se plante devant Alexandre-Benoît.

— Ah ! odieux goret, murmure-t-il, avant longtemps tu seras révoqué comme l’édit de Nantes !

— Vot’ lady, qu’é soye d’Nantes ou d’Montaigu, j’l’encule ! déclare avec fermeté mon nouveau directeur.

C’en est trop pour le précédent qui sort en trombe, bousculant Mrs. Mahouss, ce qui n’est pas chose facile ; moi j’ai essayé de bousculer la tour Saint-Jacques, en vain, et elle est cependant moins massive que mon hôtesse.

Lorsque le Vieux est out, la paix revient. Béru sourit aux anges.

— J’sus pas fâché d’y avoir dit son faîte ; il m’a assez plumé les burnes quand t’est-ce j’étais sous sa ferrure, c’t’apôtre. (Puis, redevenant sérieux :) Commissaire, annonce-t-il, j’viens personnellement, moi-même en personne, pour l’histoire Adam Delameer. J’ai bien r’çu vot’message, comme quoi c’connard est clamsé, seringué par sa vieille. V’là un deuil qui tombe mal.

— C’est bien ce que je pense.

— V’savez ce dont j’viens d’apprendre, commissaire ?

— Je suis tout ouïe, monsieur le directeur.

— Le gazier qu’a été buté au Kalbahr transportait un diamant, v’v’rappelez ?

— Parfaitement.

— C’diamant, v’savez d’qui y s’agissait ?

— Non ?

— Le Gérant !

— C’est-à-dire ?

Mon supérieur commisère :

— Voyons, vous m’charriez. Un mec tel qu’vous, qu’a un brin d’culture, pas connaît’ le Gérant qu’est esposé au Louv’ !

— Vous voulez parler du Régent ?

Sa Majesté renfrogne :

— V’nez pas m’taquiner sur les mots, j’vous prille, commissaire.

— Ainsi donc, m’empressé-je d’enchaîner, le gouvernement français aurait consenti à un tel sacrifice ? Et onc ne l’a su ! Qu’est donc, en ce cas, le diamant qui continue de porter ce nom prestigieux dans sa vitrine ?

— Çu-là a été acheté à la Samaritaine de lusc pour trois cent cinquante-quatre francs et vingt centimes, révèle l’Important. Y a d’quoi s’l’estraire et s’la passer au papier d’verre, non ? Et les foules en délire défilent clivant en esclamant comme quoi c’est l’eau la plus pure, et qu’il est blanc-bleu, et toutes sortes d’conneries. Y a ben qu’le foie qui sauve, non ?

— Fallait-il que le marché passé fût important.

— Vital !

— Vous en connaissez les termes, monsieur le directeur ?

— Zob ! Les documents ont z’été détruits avant l’arrivée de d’Gaulle. On sait même pas qui c’est qu’a transactionné. Mais y reste quéqu’un dont on doit pouvoir apprendre la vérité.

— L’ancien émir, Kohnar le Constipé ?

— Gagné ! C’est au sujet d’son propos qu’j’sus con descendu à v’nir personnellement moi-même en personne, Santonio. L’vieux bougre habite la Suisse où qu’il a emmagasiné ses picaillons, mais pour l’instant, y passe l’hiver à Marasèche. Y a donc urgerie qu’vous v’s’arrangeasse pour l’rencontrer et lu tirer les vers du nez. J’vais vous espliquer, commissaire. Moi, j’dis, ce Gérant, y n’est pas paumé pour tout l’monde. De trois choses l’une : ou bien c’est l’émir qui l’a enfouillé et qu’a fait scrafer Fernal. Ou bien c’est les Britiches qu’ont manigancé l’coup. Ou bien c’est un troisième lard rond qu’aurait opéré. Pusque Delameer n’peut plus témoigner, faut changer d’braquet, mon drôle. Entreprendre l’émir, me fais-je-t-il bien comprend’ ? Moi, tout c’que j’sais : le Gérant n’a jamais plus reparu, on sait pas ce qu’il est devenu, et le gouvernement veut prend’ à toute force des nouvelles de sa santé. Me comprenez-vous-t-il complètement ?

— Je le pense, monsieur le directeur.

On perçoit la sonnerie du téléphone en coulisse. Il a une drôle de voix : chevrotante, acide. La citadelle de viande va répondre.

Et puis, pour la troisième fois, sa montagne cache la forêt.

— For you, mister Antonio !

De plus en plus revêche. Je lui provoque trop de tracas, décidément. Je romps sa quiétude, tu comprends ? Elle va me filer mon sac. De toute manière j’allais prendre congé.

Je gagne le hall. Le bigophone est mural, à l’ancienne. Drôlement vétuste, à classer maniement hystérique !

— Ici San-Antonio, j’écoute ?

Un souffle frais. Un timbre délicat. Je reconnais la voix de Sirella.

— C’est moi, darling.

Le cœur du darlinge exécute un triple saut périlleux.

— J’ai envie de vous voir, murmure la chérie.

— Où êtes-vous ? demandé-je en anglais, ce qui est très facile quand on parle la langue.

— Je viens de rentrer chez moi. Venez vite.

— Est-ce prudent ?

— Peu importe.

Un temps.

— Je vous aime, chuchote-t-elle, en anglais toujours.

Mais ça, tout le monde sait le dire.

LE PARLEMENT ?

PARLE-M’EN !

Si la montagne ne va pas à Mahomet, Mahomet va à la montagne, dit un proverbe arabe. Et Jacques Chazot d’ajouter : « La bite ne fêle pas le moine ! »

J’évoque ces sages maximes en franchissant au bras de Sirella le seuil de l’hôtel Mâ-Kâch (Bonnot, directeur) l’une des réussites les plus accomplies de Marrakech.

Car, magine-toi, l’abbé, que l’une des premières personnes que j’asperge en déboulant de mon bahut, c’est le vieil exilé, l’émir Kohnar en personne, altier quoiqu’un peu fatigué, dans sa gandoura et son burnous blancs, avec sa barbe en pointe, poivre et sel (en anglais « pepper and salt »), son regard étrangement clair et ses babouches de soie brodées d’or. Frime de prince, teint ambré, nez aquilin (« tout vous est aquilin, tout me semble zéphir », disait La Fontaine), démarche royale.

Il est flanqué d’un jeune secrétaire qui porte un attaché-case en crocodile (coins or massif, avec deux diamants sur les fermoirs) et gagne une Rolls blanche dont un chauffeur en djellaba lui tient la portière ouverte.

J’augure bien de ce voyage. Radiner pour mater illico la personne justifiant votre déplacement, voilà qui est baisant, non ?

Ma chambre a été retenue et un employé du prestigieux hôtel nous y conduit en faisant tinter contre le mur la plaque de cuivre fixée à la clé. Il est jeune, bien de sa personne, porte une chéchia et empoche le pourboire que je lui débloque sans le regarder, ce qui est une preuve de parfaite éducation.

Enfin seuls !

C’est dingue ce que cette jolie meurtrière me porte à l’épiderme !

En attendant qu’on nous grimpe nos valdingues, je la saisis par la taille et la conduis à la fenêtre. Ici, c’est le printemps. La vue donne sur un immense jardin complanté d’orangers et de citronniers entrecoupés de pièces d’eau. Dans le fond, l’Atlas majestueux, ocre, nimbé d’une légère brume bleutée. L’air est suave, des oiseaux ramagent à tout-va. Quand tu es là, tu te demandes pourquoi ailleurs existe, et tu doutes de Denain, de Boulogne-Billancourt, de Belfast, du Cap-Nord, de la baie d’Hudson, du P’tit Quinquin, du Gros Rogin, de l’onglée, du caleçon long, du sirop contre la toux, du naufrage du Titanic, des plates-formes en mer du Nord, des boulevards périphériques, des bébés phoques, de Bardot, de l’hypoténuse et de son fameux carré qui nous a fait tant de mal. Oui, tu oublies cela, plus tout le reste, pour ne plus songer qu’à vivre, à jouir.