« Écoutez ! Vous deux patachons ! Vous pourrez-t-y rester tranquilles ? Il va falloir que j’aille à Tousne !… » C’était un bourg assez loin de l’autre côté du bois Berlot… « Il faut que j’aille chercher mon avoine. J’en ai plus moi dans mes sacoches ! J’ai ma belle-sœur qu’est là-bas… Elle est buraliste… Alors je resterai peut-être pour la soupe… Je serai rentré un peu plus tard… Mais pas plus tard que dix heures !… Alors vous ! Vous ferez pas les gourdes, hein ! J’ai plus un seul grain d’avoine !… Et puis tiens je vais emmener le dada… Comme il a son fer qu’est parti… Je passerai à la forge… Je rentrerai à cheval… Je serai plus tôt revenu… Alors c’est compris ? Hein ?… Vous laissez entrer personne ?… » C’était compris, entendu… Il s’emmerdait avec nous… Il allait se taper la cloche… « Bon vent ! » qu’on s’est dit… Il a retraversé devant la ferme avec son gaye à la bride… Je l’ai vu s’éloigner… Il commençait à faire nuit…
Nous tous les deux avec la vieille, on n’a pas mouffeté… J’attendais qu’il fasse vraiment noir pour sortir… chercher du bois… Alors j’ai fait vite… la palissade j’ai arraché trois planches d’un coup… Je cassais tout ça en margotins… mais qui fumaient forcément… C’était trop humide… Je suis retourné avec la vieille… J’étais content qu’on se réchauffe… C’était pas du luxe ! Mais il fallait fermer les yeux ! Ça piquait trop fort… Elle était redevenue toute sage après la séance… Mais encore comment inquiète !
« Tu crois ça toi les guignols ?… qu’ils vont rien nous dire de plus ? Tu crois pas qu’ils cachent encore une truquerie quelconque ?… » Elle m’interrogeait… « Tu les as entendus pourtant comment qu’ils m’ont soupçonnée ?… Et tous ! T’as bien vu au premier abord… Comme ça de but en blanc !… Ah ! Dis donc c’est un sacré vice ! Et allez donc ! Ah ! Alors !…
— Qui ça les bourriques ?…
— Ben oui ! Les bourriques quoi !…
— Oh ! le brigadier c’est qu’un gros plouc !… Comment qu’il a perdu le sifflet ! acacac ! devant les gerbes !… en cinq sec !… Il existait plus !… Il savait plus où il était !… Il avait plus un mot à dire !… Il avait rien vu ce poireau-là !… De quoi qu’il aurait causé ?… Les journalistes ils l’ont bien dit… Vous avez bien vu quand même !… Ceux-là, ils auraient remarqué… Ils la connaissent eux la musique !… Ils nous auraient sûrement prévenus… Ils l’aiment pas eux le zozoteur… C’était que des présomptions… Rien que des baveries !… pas autre chose !… Ils seraient pas barrés comme des pets… si ils pensaient nous posséder ! Ah ! non alors !… Pas d’erreur… Ils seraient encore là tous les bourres ! mais c’est évident voyons !… Plutôt quarante-deux fois qu’une !… Vous l’avez bien entendu !… le zozoteur lui-même ! quand il est sorti ? Comment qu’il a dit aux autres !… : “ Ça c’est un suicide ! ” Voilà c’est tout ! C’est pas midi à quatorze heures !… Le médecin aussi il l’a vu !… Je l’ai entendu quand il disait au petit bourrique. “ De bas en haut, mon ami ! De bas en haut !… ” C’était bien net ! Pas un charre !… Et voilà !… Faut pas inventer !… Ça suffit quand même !…
— Ah ! En effet, t’as raison !… » qu’elle me répondait tout doucement… Mais elle restait pas convaincue… Elle se fiait pas trop…
« Comment qu’ils vont l’enterrer ?… Ils font d’abord l’autopsie ? Et après ? Pour quoi faire ? Hein ?… T’as pas idée ?… Il faut qu’ils cherchent encore quelque chose ?…
— Ça je peux pas vous dire…
— J’aurais bien voulu tant qu’à faire qu’ils le remmènent à Montretout… Mais c’est bien trop loin à présent… Puisqu’ils l’emmènent à Beauvais… Ça se fera donc là-bas l’enterrement ? J’aurais bien voulu un “ Service ”… Je leur demanderai, moi… Tu crois qu’ils voudront ?… » Ça j’en savais rien non plus…
« Je me demande ce que ça peut coûter à Beauvais un petit “ Service ” ?… Simplement dans une chapelle !… La plus petite classe par exemple ?… C’est sûrement pas plus cher qu’ailleurs… Tu sais, il était pas religieux lui, mais enfin quand même… Ils l’ont assez martyrisé ! Un peu de respect ça fera pas de mal… Qu’est-ce qu’ils vont encore lui faire ?… Ils voyent donc pas assez comme ça ?… Il a rien dans le corps le pauvre homme !… Puisque c’est tout dans la tête… Ça se voit au premier coup d’œil mon Dieu !… C’est assez horrible !… » Elle recommençait à chialer…
« Ah ! Ferdinand mon petit bonhomme !… Quand je pense qu’ils ont pu croire ça !… Ah ! Et puis tu sais… tant qu’ils y étaient… fallait pas qu’ils se gênent… Moi ! Pour moi ! ça m’est bien égal !… À présent… Mais pour toi ? Tu crois que c’est fini ?… Toi, mon pauvre petit c’est pas la même chose… Il faut que tu te défendes !… T’as la vie devant toi !… Toi c’est pas pareil !… Toi tu y es pour rien dans tout ça… Au contraire !… Mon Dieu au contraire !… Il faudrait bien qu’ils te laissent tranquille… Tu viens avec moi à Beauvais ?…
— Si je pouvais… j’irais… Mais je ne peux pas… J’ai rien à faire à Beauvais !… Il l’a bien dit le zozoteur… “ Vous retournerez chez vos parents… ” Il me l’a répété deux fois !…
— Oh ! Alors, faut pas faire le Jacques !… Va-t’en mon petiot ! Va-t’en. Qu’est-ce que tu feras en arrivant ?… Tu vas te chercher quelque chose ?…
— Mais oui !…
— Moi aussi, il faudra que je cherche… C’est-à-dire… si ils me laissent aller… Ah ! Ferdinand !… pendant que j’y pense !… » Une inspiration qui lui passe… « Viens par ici… que je te montre quelque chose !… » Elle me ramène vers la cuisine… Elle se grimpe sur l’escabeau, le petit, elle disparaît dans la hotte jusqu’à la ceinture, elle trifouille dans un des recoins… Elle fait branler la grosse brique… Il tombe de la suie de partout… Elle secoue encore une autre pierre, ça bougeotte, ça tremble… elle extirpe… Du trou elle sort des fafiots… et puis même de la monnaie… J’en savais rien moi de cette planque-là… Ni Courtial non plus certainement… Y en avait pour cent cinquante points et puis quelques thunes… Elle m’a tout de suite refilé un billet de cinquante… Elle a gardé le reste…
« Moi je vais emporter les cent balles et la monnaie… Hein ?… Ça fera toujours mon voyage… et puis peut-être les frais de l’église ! Si je reste là-bas, cinq, six jours… Ça peut pas durer tout de même plus ?… J’aurai bien assez !… Tu ne crois pas ?… Et toi ? t’as-t-y encore tes adresses ?… Tu te souviens de tous tes patrons ?…
— J’irai voir tout de suite l’imprimeur… que j’ai répondu… J’aimerais mieux chercher par là… »
Elle a refouillé dans la crevasse, elle a retiré encore un louis, elle me l’a donné celui-là… Et puis elle a reparlé de Courtial… mais plus du tout exubérante…
« Ah ! Tu sais mon petit Ferdinand !… Plus j’y repense… Plus ça me revient l’affection qu’il avait pour toi… Il la montrait pas bien sûr !… Tu sais ça aussi… C’était pas son genre… Sa nature… Il était pas démonstratif !… Pas lécheur !… Ça tu le sais bien… Mais il pensait tout le temps à toi… Dans les pires traverses, il me l’a répété souvent !… Y a pas seulement encore huit jours !… “ Ferdinand… tu sais Irène, c’est une nature que j’ai confiance… Il nous fera jamais lui de misère !… Il est jeune ! Il est étourdi ! Mais c’est un môme de parole !… Il remplira sa promesse ! Et c’est ça Irène ! C’est ça qu’est rare !… ” Je l’entends encore m’ajouter !… Ah ! il t’appréciait va !… C’était bien plus sincère qu’un ami !… Va ! Ça je t’assure !… Et pourtant le pauvre homme ! Il pouvait avoir des méfiances !… Il en avait assez vu !… Et comment trompé ! Deux cent mille façons !… plus honteuses les unes que les autres !… Alors, il pouvait être aigri !… Jamais il m’a dit un mot pas favorable à ton sujet !… Jamais d’amertume !… Toujours que des compliments… Il aurait voulu te gâter… Mais il pouvait pas !… On avait la vie trop dure… Mais comme il me disait quand il me parlait de choses et d’autres… “ Attends un petit peu !… De la patience !… Je lui ferai son beurre à ce roupiot-là… ” Ah ! Ce qu’il pouvait bien te comprendre… Tu sais pas comme il te blairait bien…